L’humour en Israël

Qu’est-ce que l’humour israélien? Cette question en comprend en fait trois:
• L’humour israélien est-il une forme ou une évolution de l’humour juif?
• Comment la société israélienne a-t-elle intégré les folklores, les histoires et les mots d’esprit de plus de cent communautés juives revenues sur leur terre ancestrale? Quelle trace a laissé ce long séjour au cœur de nombreuses cultures?
• Comment rire ou faire de l’humour lorsque la guerre, le terrorisme et la mort sont le lot quotidien d’un pays?

 

© Tamar Hochstadter

Dès les années quarante, l’humour israélien se manifeste dans sa relation avec la guerre. Les exploits et ruses de guerre, dont certains ressemblent un peu aux aventures de Tartarin, appelés Tshisbatim sont racontés au coin du feu et forgent l’imaginaire humoristique de la Guerre d’Indépendance. Quoique la guerre fût particulièrement meurtrière, dans la mémoire collective israélienne, les jeunes du Palmah, de la Hagana et de l’Irgoun apparaissent aussi comme de joyeux drilles, prêts à de nombreuses plaisanteries ou canulars au soir de combats acharnés.

Dès les années cinquante, l’humour israélien se décline sur trois registres: la critique politique, l’armée et l’intégration des nouveaux immigrants. La satire des hommes politiques a toujours fait recette en Israël. Mais l’une des originalités de l’humour israélien est sans aucun doute la présentation des diverses communautés montées en Israël sous des aspects renforçant violemment les stéréotypes. Les différentes Alyot (vagues d’immigration) sont présentées dans un sketch classique des années cinquante où les personnages parlent avec des accents très prononcés et sont accueillis par les Olim de la vague précédente qui, déjà, se considèrent comme des vétérans. L’exemple le plus célèbre est sans doute le film culte d’Ephraïm Kishon Salah Shabati, joué par Haim Topol. Il raconte l’histoire des Maabarot, sorte de baraques provisoires destinées aux Olim des années cinquante, et montre avec un humour grinçant la lutte des petits contre la bureaucratie. L’arme fatale y reste le ridicule et le comique de situation bon enfant. Un des autres grands classiques du cinéma israélien, écrit dans le même esprit par Kishon, est Le Policier Azoulay, joué par Shaike Ophir, critique ingénue de la police et des préjugés sur la communauté juive marocaine.

À la fin des années soixante, c’est le théâtre qui devient le révélateur des grands talents de l’humour israélien, et notamment de ses tendances cyniques. Le dramaturge Hanoch Levin commence à écrire une critique amère et sarcastique de la société israélienne sans épargner aucun sujet. Son premier grand succès, La reine de la baignoire, raconte l’histoire d’une prostituée et, à travers elle, c’est toute la société qui est mise en cause. Il reste la figure de proue de toute une génération d’écrivains influencés par Ionesco et Beckett, utilisant le cynisme et la dérision. À la fin des années soixante-dix, la première émission télévisée de satire politique Nikoui Rosh, « Lavage de cerveau », reprit cette tendance d’humour grinçant dans ses émissions.

LE TRIO COMIQUE DEVENU SUJET UNIVERSITAIRE

Ce registre n’est pas le domaine du trio comique le plus célèbre de l’histoire israélienne, HaGashash Hahiver, littéralement « l’éclaireur pâle », qui occupa la scène israélienne pendant plus de quarante ans, grâce à un humour populaire avec des textes alliant les jeux de mots au comique de situation, et même la chansonnette. Un ton juste sur tous les plans, pas de critique politique acerbe, pas de « sujets qui fâchent », pas de violence dans le propos, mais une galerie de personnages de toutes les couches de la population. L’accent est mis sur le détail et certaines expressions de Gashashim sont entrées dans le langage courant, à tel point qu’ils ont déjà fait l’objet de thèses universitaires de linguistique et de sociologie. Le trio s’associa à Assi Dayan dans un film devenu l’un des canons des films comiques israéliens, Givat Halfon eina ona – L’unité Halfon ne répond pas, qui met en scène l’expérience, connue de tous, des périodes de réserve dans l’armée.

Le développement de la télévision amena un humour d’une autre facture, moins centré sur le texte et s’adressant à un public plus jeune. Le cas le plus célèbre est celui de l’émission ZeHouZe, « C’est ainsi », dont les animateurs ont été sans aucun doute les vedettes de la Guerre du Golfe: pendant que le taux d’audience était à son maximum, ils s’efforçaient de remonter le moral des Israéliens. Plusieurs autres phénomènes ont vu le jour, à partir de la télévision: les Guignols israéliens, Hartsoufim, exacte reproduction de ce que l’on connaît en France; Hahamishia Hakamerit, « le quintette » dont l’humour était ciblé sur la satire politico-sociale; ou encore Rak B’Israel, « Seulement en Israël », animée par la fameuse Limor, caricature de la « cruche ». Mais la mode israélienne en matière d’humour reste depuis les années quatre-vingt-dix le stand-up, l’improvisation d’un humoriste qui tance son public, notamment en stéréotypant les origines. Cet humour ethnique choque parfois en diaspora mais est assez bien vécu en Israël.

HUMOUR NOIR, PARFOIS MORBIDE

Les années deux mille et la vague de terrorisme aveugle virent apparaître un nouvel humour noir, parfois morbide sur les victimes et les assassins. C’est sans doute une expression du vieux réflexe de l’humour juif, utilisant la dérision comme dernier moyen de défense contre le désespoir et l’angoisse. La satire politique et sociale en Israël n’épargne personne et elle se caractérise par une liberté d’expression unique en son genre. Elle ne connaît ni limite, ni tabou, ni autocensure. Les clips des campagnes électorales en portent la marque. Les programmes satiriques ont fait florès ces dernières années sur les chaînes israéliennes et ont à chaque fois repoussé les limites du politiquement incorrect, qui caractérise l’humour israélien. Le plus connu est Eretz Nehederet, « Un pays magnifique » qui, depuis sept ans, à un rythme quasi hebdomadaire, taille en pièces la classe politique israélienne. Autre programme phare des dernières années, la série Avoda Aravit, « Travail arabe », écrite par l’écrivain arabe de langue hébraïque Sayed Kashua qui s’attaque aux préjugés à l’égard de la minorité arabe. La série culte des dernières années, Ramzor, revendue aux États-Unis, raconte les péripéties de trois trentenaires israéliens. Enfin, dernière en date du paysage audiovisuel israélien, Hayehudim Baim, « Les juifs arrivent », reprend en douze épisodes les principaux événements de l’histoire juive, en mettant en scène ses principaux personnages, sous un jour souvent peu flatteur. Et, pourtant, personne en Israël n’y voit la moindre atteinte à la religion ou aux bonnes mœurs, car blasphémer, ici, ce serait renoncer à rire de tout…