Lire : La Torah est un reflet

Au détour d’une table de libraire, on tombe sur ce tout petit livre coloré. Couverture matelassée, tranches dorées, mini format de type siddour de poche ou missel, un titre: “Le petit livre de la Torah”, pas d’auteur ni d’éditeur apparent. Cet objet si précieux est l’œuvre du rabbin Étienne Kerber qui publie chez Hachette ce livre illustré par Jérémie Solomon.

Organisé en sept parties, le livre – qu’il faut ouvrir pour en découvrir le sous-titre, “Le chemin de l’intériorité” – propose, souvent appuyée sur la mystique juive, une interprétation de la Torah à destination de tous, Juifs ou non-Juifs, en mots simples mais sans jamais de facilité. Après une introduction afin de “bien préparer le chemin”, le livre aborde le récit de la création, les patriarches et matriarches, les enfants de Jacob, l’exode, le don de la Loi, le Tabernacle et l’épreuve du désert. Pour guider le lecteur, plusieurs éléments didactiques: frise chronologique, lexique, etc. Le tout baigné des illustrations de Jérémie Solomon qui dialoguent délicatement avec le texte.

Tenoua a rencontré Étienne Kerber à Paris.

 

© Jérémie Solomon

Nous avons dans les mains ce petit objet aussi inhabituel qu’attrayant. Comment est né ce projet?

Cette collection, “Le petit livre de…” existe chez Hachette, principalement sur des thématiques chrétiennes, et l’éditrice voulait en publier un sur le judaïsme. Je lui ai donc proposé un commentaire qui mûrit chez moi depuis des années sans encore savoir comment adapter ça pour que ce soit accessible au plus grand nombre. En fait, c’est après le 7 octobre que j’ai perçu la nécessité et trouvé les ressources d’écrire ce commentaire à la fois comme une introduction pour tous ceux qui veulent découvrir la Torah et comme une plongée dans son aspect hassidique et moussarique [éthique] pour ceux qui la connaissent déjà.

À chaque début de chapitre, “le mot du rabbin” vient préparer à ce qui suit. Or l’introduction est titrée « Bien préparer le chemin ». Pourquoi cette idée de préparation vous est-elle importante?

L’idée de la préparation vient de ma conviction que toute la vie est un travail sur soi. Les sept chapitres sont comme des portes à franchir afin de pouvoir pénétrer dans l’intériorité de la Torah. Ce redécoupage en sept parties recouvre ce qu’on peut vivre au quotidien ou, en tout cas, ce que j’ai expérimenté depuis plus de 20 ans. Ce mot du rabbin en tête de chaque chapitre, vise à préparer le lecteur à une kavana, une « intention » dans sa lecture de la partie de la Torah qui sera évoquée dans les pages suivantes. Cette préparation est très chronologique: au départ, on se familiarise avec l’Éternel puis on travaille ses middot [littéralement “mesures”: traits de caractère, qualités morales ou dispositions intérieures]. Ensuite on va dans l’intégration des middot dans notre quotidien, la sortie d’Égypte comme une sortie de l’inconscient, l’acceptation de la Loi pour se forger et, enfin, la rencontre avec le divin et les dernières parashiot qui sont comme une boussole en ce qu’elles nous permettent de nous diriger dans le quotidien.

La Torah n’est pas un livre facile, il s’y passe des choses dures (meurtres, viols, abandons, guerres, cataclysmes, fratries qui se haïssent), tout n’est pas toujours intuitivement compréhensible, d’autant plus qu’on commence à l’étudier très jeune pour préparer sa bar ou bat mitsva. Comment gérez-vous ça dans ce commentaire, comment guidez-vous le lecteur dans ce cheminement pas toujours très rose?

La Torah est un reflet non seulement de l’âme mais aussi de la réalité. Et la réalité, c’est la difficulté: on doit constamment faire face à des épreuves, parfois assez anodines, parfois très difficiles. La Torah raconte la vie comme elle est, et c’est sûrement pour ça que le texte est parfois dur mais aussi pour ça qu’il n’a pas vieilli. Les personnages de la Torah ne sont pas des héros: ce sont des personnages torturés mais qui parviennent tout de même à faire leur chemin à travers la vie en essayant de se connecter à la “Source de toute vie”. Ce livre, en s’appuyant sur la tradition rabbinique, qu’on parle des rabbins du Talmud ou des rabbins mystiques, veut montrer que la Torah nous donne toutes les raisons de nous accrocher à quelque chose de plus grand pour transcender le quotidien.

Vous êtes un rabbin libéral qui s’appuie sur les enseignements de rabbins hassidiques, cela peut surprendre…

Les rabbins libéraux, depuis la seconde moitié du XXe siècle, sont profondément inspirés par la créativité hassidique qui a été révélée par le travail de Martin Buber, d’Abraham Joshua Eshel et Reb Zalman Schachter-Shlomi pour ne citer qu’eux. C’est une approche que j’ai découverte dans les sermons de mon maître, le rabbin Pauline Bebe et que je vois traverser tout le mouvement juif libéral. Je donne d’ailleurs un cours qui interroge: “Le judaïsme libéral est-il un nouveau judaïsme hassidique?”, notamment en raison de l’importance du kabbalat shabbat [office du vendredi soir] qui est une création hassidique de Tsfat, parce que le mouvement libéral est fortement imprégné des récits hassidiques de Martin Buber, et par la centralité du concept mystique de tikkoun olam[la réparation du monde]. 

Tout au long du livre, on trouve des traductions de courts passages emblématiques de la Torah. Mais vous expliquez que votre traduction n’est pas classique, en ce que vous l’avez voulue proche du souffle de l’hébreu, quitte à ce qu’elle soit un peu rugueuse en français. Pourquoi ce choix?

En fait, j’essaye d’amener le lecteur à traverser des épreuves qui ont pu être les miennes. Au cours de ma quête spirituelle et avant de pouvoir lire en hébreu, je me suis parfois retrouvé un peu “bloqué” par des traductions qui ne me “saisissaient” pas. Un jour, ma tante qui est ultra-orthodoxe, m’a offert Le H’oumach avec Rachi dont la traduction est assez abrupte. Cette traduction moins littéraire m’a permis de comprendre qu’au sein de l’hébreu se tient du mystère. C’est ce que j’ai essayé de transmettre à travers ce style de traduction.

© Jérémie Solomon

Parlez-nous des dessins qui épicent ce livre…

Ce sont les œuvres de Jérémie Solomon que je connais depuis plus de 10 ans lorsque, pour son travail final de l’école Penninghen, il m’a demandé d’écrire un conte qu’il pourrait illustrer. Or dans cette collection de Hachette, il y a des illustrations, donc j’ai proposé Jérémie. Tout son travail de dessin s’est fait en parallèle de longues discussions sur l’interprétation de la Torah. Prenons l’exemple de l’illustration que l’on voit ici: c’est Moïse bébé. Quand Jérémie m’a montré son étude, qui me touchait tant, je lui ai expliqué que, dans mon interprétation, il était fondamental que Moïse ait été sauvé des eaux par des femmes. Il a donc ajouté ces mains dans les flots de la rivière. C’est une véritable havrouta artistique! 

Le petit livre de la Torah, Étienne Kerber, dessins de Jérémie Solomon,
Hachette, 2024, 19,95€

Sur la couverture du livre, on voit une Torah enracinée qui surplombe un chemin. Quel est ce chemin?

C’est la première illustration qu’a faite Jérémie, avant que je ne trouve le sous-titre “Le chemin de l’intériorité”. Je lui expliquais mon but: que ce livre mène à l’intérieur de la Torah et à l’intérieur de l’âme de chaque personne qui voudrait s’en inspirer. C’est une initiation à la Pnimyut, l’intériorité de la Torah. Le titre m’est apparu évident en regardant ce dessin, haDerekh haPnimyut, “le chemin de l’intériorité”, il ne fallait pas chercher plus loin. L’idée est que plus on va à la rencontre de l’intimité de la Torah, plus on ira à la rencontre de notre intériorité. 

Propos recueillis par Ceren Inan et Antoine Strobel-Dahan