Imaginer l’avenir est toujours une grande aventure, tant il est vrai que l’on connaît le port d’où l’on part mais que tout le temps qui s’étend au-devant de nous est comme une terre inconnue qu’il nous appartient de découvrir. Et que cela peut être couronné de plus ou moins de bonne fortune. C’est ainsi que, comme des aventuriers, conquérants d’un nouveau type, bien pacifique celui-là, nous nous avançons avec une confiance en la Providence que l’expérience des siècles n’a pas pu déraciner. Cependant, dans cette épopée, nous emportons avec nous un trésor : l’absolue certitude que l’histoire a un sens et même un horizon dont nous sommes capables de pressentir la splendeur sans percevoir totalement les détails de sa lumière.
De fait, les prophètes ont décrit cet aboutissement et lui ont donné une appellation : la venue du Mashia’h, du Messie. Même lorsque le long voyage du peuple juif passait par des zones de tempête, et nous savons que cela se produisit bien trop souvent, l’attente de cet avènement est restée sans faille. Maïmonide compte d’ailleurs cette attitude parmi les treize principes fondamentaux qui définissent le judaïsme. Que faut-il donc espérer ?
Laissons-nous aller à rêver dans l’esprit des prophètes, en particulier Isaïe : un monde de paix et d’harmonie, sans guerre ni rivalité, un monde matériel où la nature est si paisible que les animaux mêmes ne s’entredévorent plus, un monde d’abondance où la mort, la maladie, l’impureté ne sont même plus des souvenirs, où les délices sont aussi communs que la poussière et perçus comme elle. Mais est-ce bien là ce but ultime vers lequel nous naviguons depuis tant de millénaires ? Est-ce bien là ce à quoi nous aspirions ? Juste un monde de satisfaction matérielle, où les soucis du quotidien n’existent plus ? Le rêve est-il donc limité à un tel espoir et nos ancêtres et nous-mêmes n’aurions prié que pour cela ? Certes, vivant dans des sociétés imparfaites, souvent injustes et inégales, nous nous prenons à penser que cet idéal est déjà très grand. Cependant, si c’est l’horizon de l’histoire, ne semble-t-il pas avoir des couleurs bien ternes ? Croire que nous aurons un monde semblable à celui que nous connaissons mais défait de ses problèmes, est-ce là ce que nous désignons par le si noble mot de « Délivrance » ?
Maïmonide nous met en garde contre une telle erreur. « Les sages, dit-il, ont espéré cette époque non pour les bienfaits matériels qu’elle apportera mais parce qu’avec elle nous serons libérés de tout souci extérieur et pourrons nous consacrer à la connaissance de D.ieu. » Car c’est bien de cela qu’il s’agit. En ce nouveau temps, la Divinité sera révélée en chaque élément de la création. En d’autres termes, selon la formulation de la Kabbale, nous ne verrons plus la matière telle que nos yeux grossiers la perçoivent mais nous y contemplerons sa réalité profonde : la vitalité Divine qui la fit apparaître et lui permet, à chaque seconde, de se maintenir à l’existence. Vivre dans cette vision, c’est aussi comprendre et ressentir, et donc entrer dans une phase nouvelle.
C’est pourquoi, le temps de Mashia’h n’est pas une fin de l’histoire mais comme un nouveau commencement. Disons-le : un nouveau monde. Et cela n’est pas un rêve, même s’il en présente les couleurs. C’est la réalité d’un voyage que nos ancêtres entreprirent il y a bien longtemps et que nous poursuivons à notre tour. Par nos actes de chaque jour, nous avançons sur ce chemin et les vigies nous le disent : le temps passe et déjà, à l’horizon, la lumière se lève.