Paroles de rabbins

 

Nous ne pouvions pas imaginer un numéro sur les chefs et le leadership sans donner la parole à la défense. Tenou’a a donc demandé à des rabbins de différentes sensibilités ce qui fait un bon rabbin ou chef de communauté.

© Richard Kenigsman, TORAH TORAH TORAH, Huile sur panneau de peuplier, 82 x 122 cm, 2022 – www.kenigsman.com

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BITYA ROZEN-GOLDBERG
TA-SHMA, JÉRUSALEM
(MODERN-ORTHODOXE)

Qu’est ce qui fait un bon rabbin ?

Je crois que c’est d’abord le fait de s’inscrire humblement dans les pas de tous ceux et celles qui nous ont précédés. Et d’être, en conscience, le maillon d’une longue chaîne de ce qu’est la fonction principale des rabbins depuis 2000 ans : étudier, questionner, faire sienne la Torah pour mieux la transmettre.

C’est à mes yeux, le désir de s’engager dans le monde, en inspirant ou en portant des actions qui le rêvent et le rendent plus juste et plus moral.

Je crois que notre rôle est d’être au service de ceux et celles qui le demandent, sans imposer, sans juger. Partager les outils et le savoir pour que chacun et chacune puisse s’approprier son judaïsme. Et avoir le courage de résoudre les questions de notre temps à l’intérieur de la halakha, sans prendre des voies de traverse et sans faire l’apologie du monde d’hier.

Le sud de Jérusalem, où je vis, accueille mille laboratoires de cette sorte de rabbinat. Des chefs de communauté sans titre de rabbin et des rabbins sans communautés réunis dans l’expérience collective d’un judaïsme participatif qui répond aux besoins de son époque. Le projet Chuppot par exemple, où des rabbins orthodoxes, femmes et hommes, se sont donné pour mission d’accompagner les couples vers un mariage plus inclusif et bienveillant. La communauté Hakel et les nombreuses autres communautés halakhiques égalitaires, qui réduisent peu à peu le fossé entre la place de la femme à l’intérieur de la synagogue et sa place au dehors de l’espace synagogal. Le cercle d’étude Ta Shma, que je dirige, et les nombreux batei Midrash pluralistes, permettant aux femmes et hommes de se réapproprier leurs textes pour devenir responsable de leur judaïsme. Shaalu Shalom, ou toutes ces communautés qui œuvrent pour la justice sociale bien au-delà de la communauté juive et israélienne.

Et peut-être qu’un bon rabbin est finalement celui ou celle qui se demande en permanence ce qu’être rabbin signifie et qui est capable de se réinventer et d’être en mouvement pour servir

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HAÏM NISENBAUM
BETH CHABBAD, PARIS
(LUBAVITCH)

Tout responsable est l’incarnation d’une entité. Qu’il soit président d’un État, chef d’une collectivité, voire rabbin ou président de communauté, issu d’un processus électoral, il est investi d’un pouvoir qui va au-delà de lui-même. Pour le dire dans les termes hébraïques, il incarne le tsibour, au sens le plus strict « la communauté ». C’est un rôle exigeant. Il demande à la fois capacité de décision et profonde modestie, conviction solide et ce savoir suprême qu’est l’écoute de l’autre. Ainsi, il peut réaliser la synthèse indispensable entre le plus sincère amour du prochain et le plus authentique souci du collectif, être fidèle à lui-même et ouvert à toute la diversité des autres. La quadrature du cercle ? Sans doute, mais la réussite de l’entreprise est à ce prix.

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IRIS FERREIRA
UJLS, STRASBOURG (LIBÉRALE)

La notion d’un·e « bon·ne rabbin·e/chef·fe de communauté » étant très subjective, en fonction de ce que chacun·e entend par « bon·ne », ma réponse sera nécessairement personnelle.

Tout d’abord, je pense qu’un·e rabbin·e/chef·fe de communauté parfait·e n’existe pas, chaque personne possédant ses qualités mais aussi ses limites. Ainsi, chaque rabbin·e/chef·fe de communauté peut être « bon·ne » d’une manière qui lui est propre, en développant ses qualités et en travaillant sur ses points faibles. Néanmoins, tout le monde n’appréciera pas de la même manière ces qualités et ces défauts.

Pour ma part, voici les qualités qui me semblent importantes chez un·e rabbin·e/chef·fe de communauté. La capacité d’écoute me semble primordiale : il s’agit d’être à l’écoute d’autrui et d’encourager chacun·e à se réaliser, selon sa personnalité, ses aspirations et ses compétences. Un·e « bon·ne rabbin·e/chef·fe de communauté » chercherait avant tout, selon moi, à ce que chacun·e se sente accueilli·e et intégré·e ; iel ferait sienne la parole de Hillel, dans le premier chapitre des Pirké Avot : «Sois parmi les disciples d’Aaron, aimant la paix et poursuivant la paix, aimant les créatures et les rapprochant de la Torah». Ainsi cette personne aurait à cœur de favoriser un environnement où des gens venant de différents horizons, avec des expériences et des visions du monde différentes, puissent échanger, s’enrichir mutuellement, et construire des choses ensemble au sein de la communauté.

Il me semble aussi important qu’un·e rabbin·e/chef·fe de communauté sache se remettre en question et soit dans une démarche d’apprentissage permanent : il s’agit de l’apprentissage des textes juifs et de la culture juive (dont il ne me semble pas possible de tout connaître en une seule vie…), mais aussi d’autres domaines, ainsi que de la connaissance de soi-même, et de l’expérience acquise en s’ouvrant aux autres.

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PHILIPPE HADDA
JEM, PARIS (LIBÉRAL)

Qu’est-ce qu’un bon chef de communauté ?

Il est difficile de répondre sans y mettre de son ego. Qui suis-je pour dire qui est le bon rabbin, quand on n’est jamais sûr d’être à la hauteur de sa vocation ? Mais, soit, relevons le défi !

À mes yeux, le bon chef religieux (cela vaut aussi pour le chef politique ou d’entreprise) sera celle ou celui qui rendra sa communauté heureuse et bienveillante. C’est-à-dire que chaque membre, fidèle ou moins fidèle, homme ou femme, jeune ou âgé, se percevra valorisé pour lui-même dans ses attentes, dans ses besoins, se sentira écouté et compris. Car, ne nous cachons pas la face, même en grandissant, nous restons des enfants en espérance de reconnaissance. En nous, résonne toujours cette requête : «Aime-moi!»

Cela ne signifie pas qu’il faille rendre les fidèles individualistes et autosuffisants, car le bonheur authentique se partage, il rend les personnes responsables les unes vis-à-vis des autres.

En hébreu le mot ôsher (øùà) « bonheur » se construit à partir de la racine « avancer » ; et André Chouraqui, de mémoire bénie, eut cette belle inspiration en traduisant le premier mot des Téhélim non par « bienheureux », mais par « en marche ». Le bonheur n’enferme pas, il irradie au-delà de nous-mêmes.

Le grand désarroi contemporain découle de ce doute existentiel : « l’homme est-il un loup pour l’homme » ou bien « un frère / une sœur » ? En particulier, les religions mènent-elles à la violence et à la mort, ou à l’édification d’un humanisme universel dans l’harmonie des particularismes ? Bien entendu ce ne sont pas les discours apologétiques qui définiront les bonnes spiritualités, mais la manière dont elles permettront à chacune et chacun de grandir moralement.

C’est un fait constaté que beaucoup de personnes non-juives veulent se convertir au judaïsme parce qu’ayant participé à un shabbat ou une fête juive, elles se sont senties concerné par l’accueil abrahamique qu’elles ont ressenti. «Depuis ma jeunesse, je me suis toujours senti chez moi au sein du judaïsme.»

J’aime notre triptyque républicain «Liberté, Égalité, Fraternité» car il harmonise les revendications de droits (la liberté et l’égalité), au devoir altruiste (la fraternité). Depuis peu, certains ont ajouté «la Laïcité» en quatrième pilier, sans doute parce que la fraternité, dans son sens altruiste et dans sa vertu d’humilité, a été totalement érodée.

Un midrash raconte qu’Alexandre le Grand assista à un curieux procès à Jérusalem. Ainsi Levi avait vendu à David un terrain pour une certaine somme d’argent. En cultivant son terrain David découvrit un trésor, qu’il voulut rendre au premier propriétaire. «Tu m’as vendu une terre, non son trésor», avançait David. «Je t’ai vendu le terrain, et grâce à Dieu tu as trouvé un trésor», répondait Levi. Devant les yeux ébahis d’Alexandre, les plaignants ne revendiquaient aucun droit, mais un devoir d’honnêteté et de solidarité. «Qu’aurais-tu fait à Athènes demandèrent les rabbins au Grec? – Certes, je les aurais enfermés pour folie et j’aurais pris le trésor pour mes combats.» Et les rabbins de répondre : «Notre Torah nous éduque à nous soucier du bien d’autrui et de son honneur, et puisque, David et Levi, vous avez une fille et un fils à marier, offrez-leur ce trésor en dot!».

Cette belle légende nous parle de notre sujet. Le bon chef ne se réduit pas seulement au bon berger (n’oublions pas la bonne bergère) que l’on trouve décrit dans les traditions juive et chrétienne, plein de compassion et de patience pour son troupeau – mais qui reste au final un troupeau (De Gaulle le pensait) – mais le guide qui fera que chaque membre se considérera comme un pasteur envers autrui, en lui redonnant sa dignité humaine, faisant briller son image divine (tsélem Elohim).

Le bon chef, le bon rabbin, reste donc un idéal. En vivant dans une communauté vivante, avenante et pacifiée, nous goûtons un peu du monde à venir ; ce jour où enfin n’importe quel Caïn dira à n’importe quel Abel : «Oui, je suis ton gardien» au cœur de la famille humaine.