Édito : POIL AUX CHEVEUX

© Benyamin Reich, Untitled (Chassidic couple Jerusalm 2006) – www.benyaminreich.com

Je dois l’avouer : lorsque Delphine Horvilleur m’a annoncé ce thème, j’ai eu peur qu’il ne soit un poil rasant. D’un sujet a priori anodin pourtant, on perçoit vite l’étendue. Le poil est peut-être le dernier de nos soucis mais, qu’il soit présent ou absent, il montre de nous bien des choses. Dans ce numéro, nous avons demandé à des auteurs, historiens, rabbins, psys ou philosophes, et à des artistes aussi bien sûr, de nous raconter ce que le poil dit de nous comme ce que nous ne disons pas de lui.

À une époque où la mode voit fleurir tout autant les crânes parfaitement lisses que les barbes soigneusement entretenues, à l’heure du retour de la moustache au moins un mois par an, qui n’a pourtant pas balayé l’usage de la (dé-)coloration, du défrisage et du si long brushing matinal, tandis que l’épilation intégrale est devenue commune, même dans certaines zones bien moins visibles qu’un crâne, après qu’une série de Netflix nous montrait le rasage en règle de la chevelure d’une jeune fille haredi de Brooklyn et que l’infidélité nationale pourrait bien se mesurer à la longueur de la barbe des uns ou à la couverture des cheveux des autres, Tenou’a vous entraîne dans l’intimité de son salon. On ne vous promet pas qu’on rasera gratis, mais on vous garantit que le poil vous passionnera bien au-delà de celui, disgracieux, qui vous pousse au nez, à l’oreille ou même au nombril.

Comment, une fois ceci posé, imaginer présenter un numéro sur le poil sans un article un peu facile sur toutes les expressions qui lui sont consacrées ?

Le français est une langue affectueuse, qui a pour le cheveu, le poil, la barbe, la moustache, une attention toute particulière. J’ai usé de ma fonction pour interdire soigneusement à tous les contributeurs de ce numéro d’écrire le moindre de ces jeux de mots. C’est ainsi qu’il me revient d’écrire cet article tiré par les cheveux et c’est bien là le moindre des privilèges réclamés par celui qui, chaque trimestre, se fait des cheveux blancs à chercher comment ne pas vous barber avant de boucler son numéro.

Ne croyez pas que j’aie un poil dans la main, loin de là mais, entendons-nous, si chacun des contributeurs de ce numéro avait pu à loisir couper les cheveux en quatre pour vous expliquer, dans un article se voulant forcément poilant, à quel point sa prose vous défrise, avouez que cela vous aurait mis de mauvais poil.

Je vous le dis, il s’en faut d’un cheveu que je me crêpe le chignon avec les auteurs de ce numéro à qui, nécessairement, cet article éhonté fera dresser les cheveux sur la tête – je les entends déjà marmonner dans leur barbe, je ne leur cherche pourtant pas de poux. Chers auteurs, ne vous arrachez pas les cheveux – il me faut bien un peu les caresser dans le sens du poil –, chacun de vos articles, s’il se lit dans ces pages, tombe pile poil contrairement au mien qui, lui, arrive comme un cheveu sur la soupe. Mettre un sujet à poil, c’est aussi ça le travail de Tenou’a.