C’est une histoire de textile. Il y a là du fil qui répare et du fil qui sépare, qui tire, qui gratte, qui dessine en piquant autant qu’en traçant. Il y a là du linceul et de l’ouvrage.
S’il est des écrivains qui manient le texte comme on coud, comme on brode, des Pessoa, des Lorca, Pascal Monteil manie sa tapisserie comme des mots. Et ça raconte et ça sonne et ça choque et ça trouble, comme des mots.
Sans doute les origines marranes de Pascal Monteil ne sont-elles pas étrangères au choix de cette fresque épique, où un rabbin guide les Juifs hors d’Espagne au- dessus des tombes des hommes insoumis et des livres impudents.
Sans doute les origines marranes de Pascal Monteil sont-elles surtout le guide de ce média, de ce choix du tissu et du fil. En liant les unes aux autres ces illisibilités enchevêtrées, Monteil révèle un intraduisible de la vie juive. Avec cette évidence de l’œil si peu intelligible à l’esprit : cette œuvre est le réceptacle d’une pulsion charnelle, une maïeutique du geste conjuguée à des fantômes talentueux et à la conscience aiguë de la saudade, que seul le manque permet d’envisager ce qu’est la beauté.
Monteil fait œuvre d’insolence, se réapproprie une histoire subie, un récit violé, pour l’animer de la superbe des Juifs expulsés : à la fin, seul demeure l’insoumis tandis que meure le tyran dans la honte de l’Histoire et le mépris du ciel.
Cette tapisserie s’appelle Llanto por la monja gitana, « Lamentation pour la nonne gitane » allusion à deux poèmes de Garcia Lorca. On y croise qui on veut, qui nous parle, on imagine pour chaque personnage qui il pourrait être. Mais il n’est pas impossible qu’il y ait là Lorca et Sanchez eux-mêmes, une nonne gitane qui pourrait tout aussi bien être la Reine Esther ou une prostituée singeant Isabel la Catholique, un âne qui pourrait être celui de Bilal, un musicien éternel enfant (ou est-ce le roi David ?), un chariot vide, celui des exils et des errances… chacun voit, sur ce linceul des juifs d’Espagne, ce qui lui accouche ce non-sens si signifiant.
¿ Quién arruga el sudario? ¡No es verdad lo que dice ! Aquí no canta nadie, ni llora en el rincón, ni pica las espuelas, ni espanta la serpiente : aquí no quiero más que los ojos redondos para ver ese cuerpo sin posible descanso.
Qui froisse le suaire ? Ce qu’il dit est faux ! Ici personne ne chante, ni pleure dans un coin, ne pique des éperons, n’effraie le serpent. Je ne veux ici que des yeux grands ouverts pour contempler ce corps sans possible repos.
Extrait de Federico García Lorca, Llanto por Ignacio Sánchez Mejías
Textes : ASD