On peut adorer ou être agacé par Ruth Westheimer, alias Dr Ruth, sexologue américaine qui, à 88 ans, continue d’enseigner, d’intervenir dans les médias, de publier des livres (une quarantaine) et même de tweeter régulièrement (@askdrruth), entre deux conférences et deux pubs pour des crackers. Mais sous son discours décomplexé et pionnier sur la sexualité se dévoile quelque chose de profond et de touchant, sans doute lié à son parcours de vie.
Née Karola Ruth Siegel en 1928 en Allemagne, elle est envoyée par Kindertransport en Suisse en 1938 et ne reverra pas ses parents morts en déportation. À l’âge de 17 ans, elle part en Israël où elle devient sniper dans les rangs de la Haganah (du haut de son mètre quarante). Après des études à la Sorbonne, elle immigre aux États-Unis où elle obtient une maîtrise en sociologie (à la New School, l’université fréquentée par de nombreux réfugiés juifs, parmi lesquels Hannah Arendt et Claude Levi-Strauss), puis un doctorat en éducation de Columbia. Elle commence à travailler pour Planned Parenthood, une agence qui fournit des examens gynécologiques, du dépistage du cancer et autre services gratuits aux femmes. C’est là qu’elle commence à s’intéresser à la sexualité humaine et après une formation clinique de plusieurs années, elle se lance dans l’éducation sexuelle. Elle appelle cela « alphabétisation sexuelle », car à ses débuts, elle est l’une des premières à parler ouvertement de sexualité, de plaisir, d’orgasme et des secrets de la chambre à coucher avec un naturel parfois désarmant. Il faut dire que Dr Ruth encourage ses ouailles à passer sous la couette, à varier les positions et à explorer de nouvelles zones érogènes. Ses conseils professionnels sont souvent émaillés de souvenirs personnels et marqués par sa judéité : Pas seulement la Shoah et la Haganah, mais aussi la Torah, le Talmud, l’histoire juive ancienne et moderne et la culture juive d’aujourd’hui. Dr Ruth ne juge pas la sexualité de ceux qui lui demandent conseil, c’est sans doute ce qui lui permet de rester actuelle et populaire. Elle sait très bien ce que font les gens, comment et où ; elle est pour la sexualité protégée, elle dit mazal tov aux homosexuels et elle est favorable à la contraception et à l’avortement. Finalement, le but est d’être heureux en ayant du « good sex », peu importe l’âge, le partenaire ou le lieu des ébats. Et si elle peut donner un conseil, tant mieux.
Dr Ruth a apparu dans les premières émissions de télé et de radio qui parlaient ouvertement de sexualité. Aujourd’hui, elle est toujours très visible dans les médias, les universités (elle est docteur honoris causa du séminaire rabbinique libéral Hebrew Union College, entre autres honneurs), mais aussi sur les réseaux sociaux. Elle n’y a perdu ni son accent yekke, ni son humour rentre-dedans. Pour preuve, ce tweet du mois de mai 2016 : « Tant qu’ils n’auront pas retiré les airbags qui explosent, si vous faites l’amour dans une voiture, faites-le sur le siège arrière. C’est plus sûr et il y a plus de place. »