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ENTRETIEN AVEC SERGE HEFEZ, PSYCHIATRE
Qu’est-ce que l’annonce de l’homosexualité de leur enfant va questionner ou bousculer chez des parents ?
C’est un moment compliqué pour tous les parents, même les plus ouverts, et à plus d’un titre :
1. D’abord, les parents ont le désir de se reproduire dans leur enfant. Il est donc difficile pour un père d’avoir un fils qui ne lui ressemble pas dans ce qu’il a de plus intime et de plus profond, sa sexualité, son désir, etc. ; tout comme il est difficile pour une mère d’avoir une fille qui ne lui ressemble pas.
2. Nous sommes tous plus ou moins normés et avons envie de destins normés, voire normatifs, dans la société dans laquelle on vit. Or dans ce cas, quelque chose sort de la norme, et donc interroge le parent qui va se demander ce qu’il a transmis, ou plutôt ce qu’il a raté, pour que son enfant sorte du chemin tracé de la norme.
3. Enfin, il y a un autre aspect auquel on pense peu mais qui me semble très important : les parents n’ont pas envie de connaître la sexualité de leurs enfants, de la même façon que les enfants n’ont pas envie de connaître la sexualité de leurs parents. Les parents savent bien sûr que leurs enfants ont une sexualité, mais ils ont envie d’en savoir le moins possible. Or, parler d’homosexualité, c’est mettre une lumière très crue sur la sexualité, c’est-à-dire que le parent est amené à se représenter cette sexualité dans des scènes pas faciles, dérangeantes dans leurs représentations. Quand votre enfant est en couple hétérosexuel, il vous est bien plus facile de refouler cette représentation de sa sexualité, parce qu’elle vous est connue.
Le vécu du parent est-il le même selon qu’il s’agit d’une fille homosexuelle ou d’un fils homosexuel ?
Ce n’est absolument pas vécu de la même façon : une fille homosexuelle, c’est beaucoup plus facile à admettre par les parents parce que, dans les représentations courantes, la bisexualité des filles est beaucoup plus représentable que celle des garçons. La pornographie hétérosexuelle en est un bon exemple : la bisexualité féminine y est surreprésentée tandis que la bisexualité masculine n’y existe pas. Une fille homosexuelle, pour les parents, cela veut dire que tout est encore possible, car tout paraît plus fluide. Et puis il y a quelque chose dans la représentation même de la sexualité entre deux filles qui va beaucoup plus du côté du féminin : l’homosexualité féminine est représentée comme une « surféminité », et donc, ne remet pas en question le féminin.
Tandis que l’homosexualité masculine remet très fortement en question la virilité et le modèle masculin. Le garçon homosexuel est vu comme un traître par rapport à son identité masculine. Cette vision amoindrie du garçon peut susciter chez les parents des rejets extrêmement violents, surtout de la part des pères ou, à l’opposé, une position de surprotection contre une société qui va lui être hostile.
Le fait que la dénomination « homosexualité » mette l’accent sur la sexualité et hypersexualise une relation qui inclue bien d’autres aspects renforce-t-il ces projections négatives ?
Effectivement ce terme d’« homosexualité » ne parle que de sexualité en oubliant tout l’univers émotionnel, affectif et relationnel, toute l’aspiration à la rencontre et à l’amour de l’autre. Derrière la question très crue de la sexualité, il faut du temps, souvent, aux parents, pour comprendre cette dimension : tout ça, ce sont des histoires d’amour. Lorsque ceci est compris, alors la question de la sexualité retourne où elle devrait se trouver : dans le secret de l’intimité du couple qui ne regarde personne d’autre.
Vous parlez de réactions familiales parfois violentes à l’homosexualité. On sait également que dans certains pays, la loi punit encore très durement l’homosexualité, parfois même de mort. Comment comprendre une telle violence ? Est-ce de la peur ? De la haine ?
L’homosexualité fait peur parce qu’elle fait partie du développement psycho-sexuel de tout un chacun : la bisexualité psychique dont parle Freud, c’est le fait que l’homosexualité est hébergée chez tout le monde avant d’être, à un moment, expulsée, souvent avec un conflit intérieur extrêmement fort.
Mais surtout, elle provoque de la peur et de la haine parce qu’elle vient contredire la position de domination masculine qui est inhérente au lien social dans toutes les sociétés. Cette position de domination masculine consiste à défendre sa patrie, la femme et l’enfant, ou les murs de la Cité. Tout ceci est très lié, du point de vue des représentations, au guerrier viril, puissant, pénétrant, phallique. L’homosexuel, c’est la figure inverse : celle de l’efféminé qui est pénétré, qui se laisse envahir par l’autre, qui est comme une femme et qui, dès lors, met en danger à la fois le lien social et la Cité elle-même qui n’est plus défendue. Cette idée des traîtres à abattre va être partagée par la plupart des femmes aussi.
Enfin, il faut avoir conscience que derrière cette question de l’homophobie, il y a fondamentalement celle de l’inégalité des sexes : l’homosexuel masculin est rangé du côté des dominés parce que l’on considère naturel que l’homme domine et que la femme soit dominée.
Propos recueillis par ASD