Se rendre compte

ÉTAPE 5: LA MORT DE SRUL RUGER

© Ethel Buisson

Auschwitz

Aller sur les lieux de la Shoah et, en particulier à Auschwitz-Birkenau où périrent au moins 67000 des 75700 Juifs déportés de France me paraît un hommage naturel des Fils et Filles à leurs parents qui furent abattus dans cet abattoir pour êtres humains. Lieu de mort, ultime étape des victimes. garder le lien avec l’être tant aimé pendant l’enfance exige parfois des actes et pas seulement d’y penser chaque jour, chaque nuit et à n’importe quel moment. Ces morts n’ont pas eu de sépulture; le camp entier de Birkenau est leur tombe, la terre de Birkenau, le ciel de Birkenau, les étangs de Birkenau ou les eaux de la Dvina, où furent jetées les cendres de centaines de milliers de Juifs. Birkenau où les trois quarts des Juifs de France furent gazés avant même d’y mettre les pieds, Birkenau où tant d’autres ont souffert avant de mourir ; Birkenau a été coupé des Juifs de France par la guerre froide. Je m’y suis pourtant rendu en février 1965 pour renforcer le lien avec mon père alors que Beate et moi attendions notre premier enfant. J’allais être père et je tenais à parcourir avec mon père l’étape que son sacrifice pour sauver sa famille m’avait empêché de faire avec lui. À Birkenau, j’étais seul dans un froid glacial ; les Polonais venaient en masse à Auschwitz I où ils rendaient hommage à la résistance polonaise. A Birkenau-Auschwitz II, le camp des Juifs, ils n’allaient pas. C’est là, à Birkenau, que j’ai décidé de m’engager pour la mémoire des victimes et pour la défense de l’État juif. Dans la logique de l’histoire, j’aurais dû y arriver, à Birkenau, en famille, le 30 octobre 1943 par le convoi 61 et y disparaître comme les 11400 enfants que j’ai dénombrés. Il n’en a pas été ainsi grâce à mon père; j’en ai tiré les conséquences; je n’avais pas survécu pour rien; il me fallait assumer mes responsabilités de Juif au XXe siècle, Juif de la Shoah et de la résurrection d’un État juif indépendant.
Ce qui vaut pour les rescapés de la Shoah n’est pas applicable aux jeunes qui se rendent en ce lieu. Pour les jeunes Juifs, c’est s’armer moralement pour les épreuves et les défis qui les attendent tout au long de ce xxIe siècle. Au XXe siècle, les Juifs ont été mis à mort en Europe, continent qu’ils ne cessent de quitter: sur neuf millions de Juifs en 1939, il n’en reste plus qu’environ un million et demi ; il y en a six en Amérique du Nord et presque autant en Israël où ils n’étaient qu’un demi-million en 1939. que décideront les Juifs français si l’antisémitisme continue de progresser?

Pour les jeunes non juifs, à l’âge où l’on se confronte aux chemins du bien ou du mal, faire connaissance avec Auschwitz-Birkenau, c’est se rendre compte des conséquences du totalitarisme raciste et se forger une sensibilité et une volonté de démocrate prêt à prendre les armes pour défendre les valeurs dites républicaines. Beaucoup plus de scolaires qu’aujourd’hui devraient se rendre à Auschwitz et, auparavant, au Mémorial de la Shoah à Paris, à Drancy, Orléans, Lyon, Izieu, au camp des Milles, aux camps de gurs, au Struthof…