En anglais, l’intrigue d’une histoire se dit plot, c’est-à-dire « pelote de laine ».
En français, le récit est parfois « cousu de fil blanc ».
En hébreu, chaque traité du Talmud se nomme massekha, un mot qui désigne à l’origine un « métier à tisser ».
Dans chaque langue ou presque, le texte et le textile partagent un même univers sémantique. Il s’agit toujours de raconter l’entrecroisement de fils et la façon dont toute histoire est le produit d’un tissage. Marcel Proust l’énonçait magnifiquement dans Le Temps Retrouvé, quand il affirmait vouloir bâtir son œuvre « comme une robe ». L’écriture est toujours une forme de couture.
Le judaïsme semble en posséder une expérience particulière: celle du shmattes. Cette expression yiddish, qui désigne le chiffon et le rebut textile, finit par dire l’art de la confection en général, cette occupation qui fut celle de tant de Juifs à travers l’Histoire.
Cet art de « faire avec » ce dont on dispose, de repriser, de recoudre ou de surpiquer ce dont on a hérité, pour offrir une nouvelle vie à une fabrique, n’est pas sans lien avec l’interprétation.
L’exégèse des rabbins ne fait pas autre chose: elle hérite toujours de lectures passées mais s’engage à reprendre ou repriser le sens d’un texte pour y coudre de nouvelles interprétations possibles. Elle est un sur-mesure que chaque génération passe à la suivante pour qu’elle y ajoute des points.
En cela, ce numéro de Tenou’a est un shmattes de papier: un hommage-ouvrage à la centralité du tissu dans la tradition juive, et un entrecroisement de fils de pensées créatives. Écrivains, artistes, rabbins, historiens… ont contribué à ce patchwork, pour tenter de dire au plus vrai leur lien texte/textile.
Même si, comme toujours, la vérité est tailleur.