Still Alive : même les feuilles mortes ont droit à plusieurs vies

Jusqu’au 24 novembre, la photographe israélienne Gali Eytan présente son exposition “Still Alive” au 33 rue des Tournelles. Cette exposition tente de redonner vie à des fleurs fanées, à des feuilles mortes. Une partie des bénéfices seront reversés à l’association Tribe of Nova. Nous avons rencontré Gali Eytan. 

 

© Gali Eytan

On entre dans une galerie du 3e arrondissement qui, auparavant, était un salon de coiffure. De son passé, la galerie garde ses décorations, des tresses de plusieurs teintes et des perruques esprit Sonia Rykiel, des cheveux qui trouvent leur place entre les meubles en bois, les céramiques et les photographies de Gali Eytan. 

Avant de commencer par faire un tour, Gali recontextualise son travail. “Je suis photographe et j’ai réalisé de nombreuses photos lifestyle. Pour certains clients, on avait l’habitude d’embellir leurs produits en ajoutant des fleurs. Après les shooting, je récupérais ces fleurs en fin de vie, pour les travailler, pour en faire un projet personnel”. En 2023, avec son mari et ses enfants, elle quitte Jaffa pour s’installer le temps d’une année sabbatique à Paris. En septembre, elle travaille avec la Mairie de Paris-Centre sur une série de photos autour des artisans, de ces hommes et ces femmes qui transmettent leur savoir-faire. 

“Après le 7 octobre, je suis complètement paralysée”, se remémore-t-elle comme si l’année défilait à nouveau sous ses yeux. Pas possible de faire quelque chose. Pas possible de sortir de ce chagrin. Vouloir tout arrêter. Accompagner son fils à l’école. Passer par le Jardin du Luxembourg pour rentrer. “Crier ma peine, ma frustration, mon deuil. Comme ces religieux qui s’enfoncent dans la forêt pour se faire entendre de Dieu”. Appeler sa famille, ses amis en Israël. Crier encore. Trouver une consolation, un refuge, un lieu dans lequel elle peut être, vraiment être. Croiser des feuilles mortes. Les ramasser. Les ramasser encore. Les déposer sur la table de la cuisine. Créer. Tout d’un coup. 

© Gali Eytan

Après des mois de déprime, elle ressent quelque chose, un besoin, un emballement, une envie de créer, de photographier. “J’essayais de donner une nouvelle vie à cette nature destinée à la poubelle”, confie-t-elle, le regard ailleurs. Elle congèle des feuilles mortes pour essayer de leur donner une nouvelle forme, une autre texture, pour que même, inanimées, elles puissent continuer à se réinventer. Face à nous, un bleu presque phosphorescent se détache d’un fond noir. Le temps d’une seconde, on prend cette image pour une radio des poumons. On s’attarde, on se ravise : ce sont des feuilles glacées, collées les unes aux autres. “Ça s’appelle ‘Blues for a reason’”, poursuit l’artiste. 

© Gali Eytan

Après le 7 octobre, elle et son mari ont réuni des amis et de la famille autour d’eux, autour de leur table, à Paris. Parfois, leurs invités débarquaient avec des fleurs. Des fleurs qu’il n’était plus possible de jeter même quand elles rendaient l’âme. “Je voulais qu’on les garde comme on garderait le souvenir de ces moments entre proches”. Alors, pour les garder sans les garder, Gali les a capturées : “je bougeais la caméra pour qu’elles soient en mouvement, pour qu’elles continuent à vivre”. On se dirige vers une série de fleurs vivant leurs derniers instants dont les pigments ressortent sur un noir opaque. Un dahlia, tête haute, révèle ses couleurs comme un paon dévoilant son plumage. Juste à côté, un bouquet en petite forme semble pris dans une tempête de vent, prêt à nous échapper, prêt à s’éclater sur le sol. “J’hésitais entre le flou et la netteté, je ne savais pas comment je me sentais, quel était mon état d’âme. J’étais à la fois en France et je savais aussi qu’en Israël, le deuil et le chaos étaient partout”. 

© Gali Eytan

Ensemble, on s’approche d’une série qu’elle appelle “les discrètes”, puis “les silencieuses apaisantes”. Des fleurs que l’on croirait aplaties ou dessinées par l’artiste Cy Twombly posent. Plus on les regarde, moins elles se ressemblent, plus elles se dissipent dans une espèce de brouillard. “Ces photos sont tirées sur du papier japonais. Si l’on regarde de plus près, on note la fragilité de cette matière. Aussi vulnérable que les fleurs”. 

Toutes ces fleurs sont vivantes parce qu’elle les immortalise. Plus Gali fabrique des natures mortes (“still life” en anglais), plus elle reprend des couleurs, plus elle se retrouve. Ce processus créatif l’apaise, la rend d’autant plus “still alive”, comme le titre de son exposition. “On ne va pas laisser cette nature sur le déclin disparaître, on va la maintenir en vie”, assure-t-elle, l’expression déterminée.  

Gali trouve essentiel de reverser une partie des bénéfices des ventes de ses photographies à l’association Tribe of Nova parce qu’elle aurait pu y être, à cette “rave”. Comme tous les danseurs du Nova Festival, elle aussi est fan de musique électro. Elle aussi a passé des nuits à tanguer au rythme de la musique, à attendre l’aube, “le soleil produit alors une énergie qui parcourt ton corps, c’est le pic de la vie”, murmure-t-elle, la voix un peu serrée. 

  • Léa Taieb

Modigliani / Zadkine: rétrospective d’une amitié

Modigliani et Zadkine étaient amis dans les années 1910. L’un a choisi la peinture, l’autre la sculpture. Leurs productions dialoguent, s’influencent et se subliment. Après la mort prématurée du peintre, Zadkine témoigne, à plusieurs reprises, pour faire vivre la personnalité de Modi, l’artiste que l’on a dit maudit. C’est ce que l’exposition “Modigliani/Zadkine. Une amitié interrompue” nous invite à explorer au Musée Zadkine, jusqu’au 30 mars 2025. 

 

5 min. de lecture