Vendredi soir, j’ai hâte de célébrer l’entrée de Shabbat avec mes camarades de la havoura Lev-ha-Ir, le minyan du centre-ville. Nous sommes une centaine de Juifs venus d’horizons divers et en quête d’une expérience spirituelle plus engagée, plus dynamique et plus collaborative que dans les communautés que nous fréquentons par ailleurs. Ici, point de rabbin ou de chantre, point de leader : tous les membres du minyan ont des responsabilités, un tournus naturel s’est instauré au début pour assurer le déroulement des offices, le choix des mélodies, les commentaires et études de textes, et le repas en commun. Mais avec les années, ceux qui savaient moins ont appris, ceux qui n’osaient pas chanter ont libéré leur voix, ceux qui n’avaient jamais étudié la Torah ont acquis les outils d’argumentation. Le minyan se veut un lieu de culte, mais aussi un lieu d’étude et de formation, puisque tous les membres sont nourris par les échanges et le partage des connaissances. Nous sommes nombreux à pouvoir lire la Torah et la haftara, à servir de gabbaï, à présenter une drasha.
Ce minyan indépendant a démarré de manière nomade, allant de maison en maison, avant de s’établir dans un lieu neutre, une salle mise à disposition par la municipalité tous les vendredis soir, samedis matin et jours de fête juive, pour un prix très modique. Il existe à côté des communautés, pas en concurrence, et répond depuis vingt ans à la demande d’un groupe de Juifs qui souhaitent davantage de participation individuelle. Vingt ans, une génération : le minyan a célébré des bar et bat-mitsva, des circoncisions et des présentations à la Torah, des mariages et des réunions de deuil. Ses membres tiennent à marquer le temps juif ensemble.
Nous sommes en 2063, il n’y a plus de support papier : les prières et chants se trouvent dans les montres connectées ou les oreillettes individuelles, ce qui permet d’alterner les textes, les mélodies et les thématiques à chaque Shabbat. Les jours de lecture de la Torah, le rouleau – don d’un musée juif afin qu’il soit utilisé – est apporté par un membre dont c’est la responsabilité, au même titre que les quelques autres objets rituels communautaires, les bougeoirs, une hanoukkia ou un loulav. Chaque participant apporte ses objets rituels personnels – kippa, tallit, tefillin – et sa vaisselle réutilisable pour les repas communautaires, vegans et à la fortune du pot.
Chaque semaine, les membres du minyan créent une ambiance fraternelle et chaleureuse, qui invite au recueillement, au partage, à l’engagement. Les nouveaux venus sont toujours bien accueillis, les enfants se réjouissent des activités qui leur sont réservées. Les membres réguliers participent toujours au minyan comme si c’était la première fois. Et c’est chaque fois une surprise, une découverte ou un sourire d’émerveillement. Une occasion renouvelée d’apprendre, de rencontrer, de partager et de s’élever.
Quarante ans de shul hopping (ou de shul shopping) en Europe et aux États-Unis pour finalement mettre en application le sage conseil d’un de mes maîtres en études juives : « Si tu ne trouves pas la synagogue qui te convient, créée ton propre minyan ! » On s’y voit bientôt ? La porte est toujours ouverte.