Tel Aviv Beyrouth – Frontières

L’affiche de Tel Aviv Beyrouth nous fait irrésistiblement penser à un celle d’un film culte… Pourtant, le nouveau long métrage de la réalisatrice israélienne Michale Boganim n’a pas grand chose à voir avec le road movie Thelma et Louise. 

Tel Aviv Beyrouth est en effet le film de l’empêchement, de l’enlisement. L’empêchement de franchir les frontières, toutes les frontières. La frontière géographique d’abord, entre le Liban et Israël qui, au fil des ans, se révèle de plus en plus imperméable. La frontière psychique ensuite, qui anéantit deux générations d’Israéliens et de chrétiens libanais, les empêchant de s’extraire du conflit.

La guerre israélo-libanaise est vue à travers le regard de deux femmes, Tanya (Zalfa Seurat), la Libanaise, fille de Fouad, un milicien qui collabore avec les Israéliens et Myriam (Sarah Adler), l’Israélienne, épouse de Yossi, soldat de Tsahal. Les deux familles vivent sur cette terre partagée et ensanglantée, noyée de soleil et de poussière, sublimée par la caméra de Michale Boganim qui s’attache à la lumière des paysages pour mieux l’obscurcir de l’ombre d’un hélicoptère de combat qui passe dans le ciel bleu.

Le conflit apparaît comme un douloureux bruit de fond qui ronge inlassablement les existences, gâche les Brit Milahs, désunit ceux qui s’aiment et rattrape tous les espoirs de fuite vers un ailleurs invisible. Parfois la guerre, absurde, fait des irruptions aiguës dans les vies de Tanya et Myriam. Quand une roquette tue une mère envoûtante et visionnaire (Sofia Essaïdi), quand l’exil entre les tirs croisés des Israéliens et du Hezbollah cisaillent les destins, quand le cercueil d’un fils otage est déposé sans un mot à la frontière. 

Structuré en trois temps, 1984 (début de l’occupation israélienne du Liban), 2000 et 2006 (années du retrait des forces israéliennes du Sud Liban), le film ne s’intéresse pas à la guerre comme événement politique pris dans le cours de l’Histoire mais s’arrête à hauteur humaine pour tisser, sans aucun pathos, un récit de deuils intimes et de tragédies individuelles. Là encore, les frontières sont mouvantes, même si, morts ou vifs, les hommes sont toujours ramenés là d’où ils viennent. Yossi (Shlomi Elkabetz), fasciné par le Liban et oublieux des siens, demeure un soldat israélien, à la fois un homme de devoir et un traître, un mari absent et un père écrasant. Quant à Fouad (Younes Bouab), il est replié sur ses souvenirs alors que sa mémoire le fuit, il fait le lien entre ses filles restées chacune d’un côté de la frontière, symbolisant le déchirement de celui qui a choisi le mauvais camp. 

Tel Aviv Beyrouth ne montre jamais ni Tel Aviv ni Beyrouth, mais il nous laisse entrevoir une ligne de chemin de fer fantôme. Celle qui, au temps du Mandat britannique, reliait les deux villes, ignorant la frontière.