FANNY ARAMA Dans quelles conditions cette librairie a-t-elle été créée ?
MYRIAM EZRA Elle a été créée en 1968 par un monsieur qui s’appelait Robert Lavi, qui venait de Tunisie. Là-bas, il avait un oncle qui avait lui-même une petite librairie qui s’appelait La librairie du Foyer. Il a ouvert la librairie dans une toute petite rue derrière Kikar Dizengoff, alors que la « grande librairie française », Alcheh, a régné pendant 30 ans sur tout le coin Dizengoff/Frishman. À l’époque, il y avait beaucoup de demandes, à cause des alyot [immigrations] d’Afrique du Nord. La librairie a grandi petit à petit, elle a déménagé dans le Dizengoff Center.Je suis arrivée dans la vie de la librairie en 1986. C’était une petite librairie en bas des escaliers roulants, au Dizengoff Center. Puis Robert Lavi est parti à la retraite. En 2001, le côté où se trouvait la libraire a brûlé. On a dû changer de lieu. Quand on est arrivés ici (sur Kikar Masaryk), on avait la boutique à côté, l’étage et, ici au rez-de-chaussée, c’était plus grand. En 2001, Sarah m’a rejointe, par amitié pour moi.
SARAH POSTEC Par amour, même !
MYRIAM Par amour tout court alors ! Et notre amitié est restée la même, depuis 22 ans.
FANNY À quel moment êtes-vous arrivée l’une et l’autre à Tel Aviv ?
SARAH Je suis arrivée en Israël pour des raisons familiales qui n’avaient rien à voir avec le sionisme. À Jérusalem, puis à Tel Aviv. Passer de Paris à Tel Aviv n’était pas évident, culturellement. J’avais fait des études de cinéma, je travaillais dans les effets spéciaux en France. En venant ici, je n’ai pas tout de suite trouvé de travail. Puis, j’ai été graphiste dans un journal appelé Globes.
MYRIAM En revanche, moi, je suis venue en Israël par sionisme. Je suis arrivée quatre ans après mon bac. En France, j’étais également librairie. J’ai donc frappé à la porte.
FANNY Pourquoi Tel Aviv ?
MYRIAM Tel Aviv était la seule ville envisageable pour moi. C’était la plus laïque, la plus bouillonnante d’événements, la plus vivante, je ne me suis même pas posée la question.
FANNY Y a-t-il une culture du livre à Tel Aviv ?
MYRIAM Chez les Israéliens oui, bien sûr. Il y a beaucoup de littérature israélienne. Quand les Israéliens traduisent du français vers l’hébreu, ce sont, malheureusement, souvent de petits éditeurs qui n’ont pas beaucoup d’argent. Soit ce sont des ouvrages libres de droits, soit ce sont des grands succès de librairie, peu représentatifs de ce qu’est la littérature française aujourd’hui. À part Houellebecq.
FANNY Comment est organisée la librairie ?
MYRIAM Maintenant que tout se trouve au rez-de-chaussée, c’est simple. Il y a les romans français, les essais, puis des romans traduits en français (anglo-saxons, espagnols, etc.) ; un rayon d’histoire, un autre sur Israël, un rayon de philosophie du judaïsme et enfin un large rayon de livres pour enfants.
Pendant vingt ans, à l’étage, nous avions un rayon de tous les auteurs français en hébreu (un lieu de référence pour ceux qui ne les trouvaient pas dans les chaînes de librairies). Faute de place, nous avons dû nous en séparer.
FANNY Diriez-vous que la clientèle a évolué, et comment ? S’agit-il majoritairement de Français ?
MYRIAM Quand je suis arrivée dans la librairie il y a presque 40 ans, la clientèle était constituée d’Israéliens de toutes origines. Des intellectuels russes, roumains, ou autres qui avaient comme bagage la langue française. Petit à petit, ces gens ont disparu. Il reste les Français qui sont là depuis longtemps. Les nouveaux Français qui sont arrivés ces dix dernières années sont trop proches de la France : ceux qui lisent s’approvisionnent en France, quand ils y font des voyages.
FANNY Avez-vous des accords avec l’Institut français de Tel Aviv ?
MYRIAM Oui, nous avons une belle collaboration avec l’Institut Français. Nous vendons les livres aux étudiants qui apprennent le français à l’Institut. Leur bibliothèque nous fait des commandes, également, régulièrement.
Il y a longtemps, une petite antenne de la librairie du Foyer existait dans l’Institut français. Elle a existé quelques années, puis ce n’était pas rentable. Quand il y a des événements littéraires, des rencontres à l’Institut, ils nous contactent et nous nous y rendons pour y vendre nos livres.
FANNY Vous souvenez-vous d’une période particulièrement faste de la librairie ?
MYRIAM Jusqu’à la pandémie, on faisait des événements à l’étage (on avait 30 chaises là-haut), on a reçu beaucoup de monde. On organisait aussi des ateliers de français, de conversation en hébreu pour les Français nouvellement arrivés, des cafés philo, des manifestations pour les enfants… Il y en avait pour tous les goûts ! Quand on est arrivées ici, entre 2000 et 2020, c’était vraiment une belle période. Pendant le Corona, les gens appelaient pour commander des livres, surtout des livres pour enfants.
Il y a eu plusieurs événements mémorables : avec Amos Oz, A.B. Yehoshua, Meir Shalev… les grands écrivains israéliens. Amos Oz est même venu deux fois. C’était entre 2000 et 2005, ses petits-enfants lui avaient fait la surprise de venir, un homme d’une grande modestie, il y avait beaucoup de monde.
Nous avons aussi accueilli, par exemple, Michel Kichka, il y avait un monde fou, beaucoup plus de trente personnes – j’avais même peur que ça s’effondre ! Il y avait des gens sur l’escalier, partout. Et puis en 2008, pour fêter les 40 ans de la librairie, on a fait une fête avec un accordéon sur la place.
FANNY Quelles sont les meilleures ventes réalisées par la librairie ?
MYRIAM Le Petit Prince de Saint-Exupéry et L’Étranger de Camus. Il y a beaucoup d’Israéliens qui les achètent. Ce sont des livres symboles. Il y a aussi quelques best-sellers moins historiques : les romans de Guillaume Musso, ou les Astérix.
La Librarie du Foyer se situe au
14 Kikar Masaryk, dans le centre de Tel Aviv.
www.librairiedufoyer.com