Delphine Horvilleur Cela fait des années que je réfléchis à la façon dont Tenou’a doit évoluer pour bien sûr toucher plus largement mais surtout parce qu’il me semble que notre travail doit être beaucoup plus réactif au monde pour que la pensée juive soit en dialogue permanent avec le monde, avec tout ce qui surgit dans notre actualité humaine et politique. Je suis troublée de voir que cette transition de Tenou’a arrive à un moment où il y a pour nous tous une perception si forte de transition du monde, où il y a quelque chose qui, on le sait, ne pourra plus être comme avant. Je suis entourée de gens qui ont l’impression de devoir redéfinir leur rapport à la nation dans laquelle ils vivent, leur rapport au sionisme, leur rapport à Israël, leur rapport à l’identité juive, pour certains leur rapport au parti politique qui était le leur, ou au féminisme, etc. Il me semble intéressant que notre transition, la transition de Tenou’a se fasse à ce moment-là, en se demandant ce que nous pouvons apporter aux gens dans cette mutation. Si je veux prendre une image un peu dramatique, je ne cesse de me demander comment le monde juif, les médias juifs, les associations juives ont réagi par exemple en 1933 au moment de l’accession du NSDAP au pouvoir en Allemagne, ou en 1967 au moment de la Guerre des Six jours, dans ces moments où les Juifs avaient le sentiment de vivre un séisme et une interrogation sur la possibilité de la fin d’un monde. Je me demande comment les forces en présence s’étaient réorganisées quand se posaient des questions de survie.
Stéphane Habib Déjà, c’est intéressant parce que ça implique une réorganisation, ça oblige à marquer qu’il y a un avant et un après et, conséquemment, à nous interroger et réinterroger. Dans l’histoire des Juifs de France, après la Shoah, il y a eu la création de ce qu’on a appelé l’École de pensée juive de Paris. Autrement dit, le judaïsme a été obligé de se repenser et de produire aussi de la pensée nouvelle. Je trouve assez fondamental de prendre acte, en fait, que quelque chose arrive, et prendre acte que quelque chose arrive, c’est être altéré par le quelque chose, c’est-à-dire de ne pas faire comme si on pouvait continuer sans porter la trace et écrire cette trace, « faire avec » disons-nous souvent avec Delphine, de ce qui a fait effraction. Nous avons été dérangés, abîmés, bouleversés dans notre manière de continuer à penser, à vivre, à écrire, à interroger. Il faut pourtant continuer.
DH Si je devais définir un peu plus ce qui a changé, j’ai le sentiment qu’on a détruit un peu plus le refuge et, pour moi, le refuge de deux ordres. D’abord le refuge de l’après-Shoah en France qui était peut-être un malentendu mais était une sorte de confiance que le monde autour avait compris, que le monde savait, que l’antisémitisme, même si on savait qu’il faisait retour depuis quelques années, était défait ; enfin il y avait quelque chose pour moi d’un refuge mental, d’une conscience juive post-Shoah, qui s’est un peu effondré. Et puis le refuge d’Israël qui n’est plus au rendez-vous : le 7 octobre, très fortement, est en jeu l’idée qu’Israël a fait son retour dans l’histoire juive – Israël est à nouveau une diaspora au sens où il est aussi vulnérable et fragile que les diasporas. C’est la fin d’un refuge et alors se pose à moi la question de comment on réorganise le refuge juif tout en étant fidèle à nos valeurs de non-repli sur soi. Comment y a-t-il encore du refuge dans un monde où les refuges habituels se sont effondrés ? Comment on fait refuge tout en n’étant pas enfermés ?
Antoine Strobel-Dahan Pour rebondir sur ce que vous dites, vous le savez, j’ai fait le choix de quitter le refuge français il y a huit ans parce que je n’y croyais plus, ou plus vraiment et, depuis, malheureusement, je n’ai vu ce refuge que s’affaiblir et s’atrophier encore. Et ce que le 7 octobre a provoqué dans ma famille, qui n’a pas non plus choisi le refuge israélien malgré les liens viscéraux que nous avons avec le pays, c’est que cela nous a obligés à considérer qu’on avait perdu un refuge dont nous estimions jusque-là ne pas avoir besoin. C’est au moment où Israël faillit dans sa mission première, protéger les Juifs, dans son rôle de refuge, que nous prenons conscience que nous venons de perdre ce refuge.
SH Ce qui nous ramène à notre condition normale d’être humain – Delphine écrivait dans Il n’y a pas de Ajar que « les Juifs sont un peuple comme les autres » – qui est de nous rendre compte de l’utilité de quelque chose quand on le perd. Pour nous en diaspora, nous qui ne sommes pas en Israël, ce qui apparaît après le 7 octobre, c’est que nous nous étions endormis : nous avons cru ou voulu croire qu’un refuge était quelque chose d’acquis. Or, comme son nom l’indique, un refuge est toujours un passage. Précarité structurelle de tout refuge…
DH Ce qui me fait penser aux refuges de montagne, que j’ai beaucoup fréquentés enfant. Un refuge de montagne c’est spartiate, c’est brinquebalant, on ne fait qu’y passer, on est toujours en train de le retaper.
ASD C’est rude, inconfortable mais, du moins le temps que cesse le danger, cela vaut toujours mieux que d’être dehors. Un refuge de montagne, c’est se mettre à l’abri seulement jusqu’au lever du jour nouveau, mais vraiment toute la nuit, jusqu’au lendemain.
SH Pour les Juifs hors Israël, le 7 octobre a été une effraction dans le repos intellectuel qui s’était installé pour beaucoup et qui voulait qu’Israël pourrait faire refuge en cas de nécessité. Et là, on ne peut plus penser comme ça, on est obligés de repenser le refuge, de le reconstruire, de réfléchir à comment on va le reconstruire, avec cette notion de vulnérabilité qu’on ne doit pas oublier si l’on veut que le refuge permette de faire refuge. La langue ne peut pas ne pas présupposer – mais encore faut-il que les oreilles soient disposées à l’écouter – que ce que présuppose un refuge, c’est un besoin (il y va de la survie) de protection. Or si besoin de protection il y a, c’est que le danger (toujours immédiat) rôde.
DH La question clé dans les années à venir pour la rédaction de Tenou’a, c’est comment on retape le refuge, tout en sachant que rien dans la vie n’est permanent. Nous devrons encore lutter pour qu’Israël, menacé dans sa survie, jouisse d’une véritable sécurité, tout en n’en faisant pas un bunker. La tendance actuelle est à la bunkerisation des gens, des idées, on le voit autour de nous dans le monde juif. Je ne porte pas de jugement là-dessus et je comprends très bien que les gens se disent – parce qu’ils ont l’impression que le monde ne les comprend plus et qu’il est hostile à leur égard – qu’ils ne font plus confiance qu’aux leurs.
ASD Le problème du bunker c’est qu’il implique d’avoir sacrément confiance dans la couche de béton et d’être absolument certain qu’elle résistera à tout ce qui peut venir de l’extérieur, ce qui est factuellement impossible.
DH Donc la question que nous nous posons est : quel genre de refuge ouvert sur le monde et protecteur pour nos consciences on pourrait construire demain ? Quel peut être le rôle de Tenou’a là-dedans ?
SH Est-ce que, pour vous deux, directrice de la rédaction et rédacteur en chef, entre le début de ce Tenou’a auquel vous avez participé et aujourd’hui, Tenou’a doit proposer quelque chose de différent ?
DH Pour moi, oui, parce que le monde a changé, nous sommes obligés aussi d’évoluer. Nous avons hérité de Tenou’a – rien que ça est intéressant : rien ne commence avec nous dans la vie –, nous sommes héritiers, fidèles je crois, d’une tentative par le Tenou’a d’avant nous, d’une pensée ouverte sur le monde venue du judaïsme libéral, où se pose la question du dialogue entre les Juifs et la République et le monde. Et aujourd’hui, il faut prendre en compte l’évolution du monde et notamment de la menace. Lorsque j’ai pris la direction de Tenou’a il y a 13 ans, j’étais évidemment dans un monde où j’avais moins la conscience de la menace, j’étais moins dans une pensée de la protection des Juifs.
ASD Bien des choses ont changé depuis 13 ans, qu’il s’agisse des attentats, du ressurgissement de l’extrême-droite, de l’amplitude de l’antisémitisme, de la radicalisation politique israélienne, etc.
Lorsque nous avons hérité de Tenou’a, une des grandes lignes de Delphine était de défendre que la pensée juive n’appartenait pas aux rabbins ou aux talmudistes, que chacun, dans son champ d’expertise, pouvait « faire » de la pensée juive, qu’il soit scientifique, artiste, historien, écrivain, ou autre.
DH J’étais effectivement très attachée à l’idée qu’il fallait bénéficier de la richesse des expertises. Dès le départ, quel que soit le thème, se posait la question de savoir comment un sociologue, un neurochirurgien ou un ingénieur pouvaient dialoguer avec la tradition. Par exemple, dans les premiers Tenou’a, nous faisions dialoguer un rabbin et un expert, comme lorsque nous avons demandé à un astrophysicien de réfléchir à la prière Adon Olam qui dit que Dieu était avant la création du monde, est, et sera. Tout ça, on le voit bien, était un projet d’ouverture : faire dialoguer l’expertise juive et la pensée juive traditionnelle et contemporaine.
ASD Et cela reste une méthode, plus qu’un but aujourd’hui.
Il y a un autre aspect dans le « nouveau » Tenou’a qui débute cette année : nous avons décidé que ce serait gratuit et accessible à tous. Or si on reprend l’historique de ces 13 ans de Tenou’a, nous avons offert gratuitement nos contenus les plus militants, ceux dont nous pensions qu’il fallait que le plus grand nombre y ait accès, chaque fois que nous avons fait un numéro qui bousculait notre tranquillité. Ça a été le cas de tous les numéros hors-série pour Yom haShoah, des numéros post-attentats, du numéro sur l’homosexualité, de celui qui s’appelait « Béni sois-Tu de m’avoir fait femme » ou encore du numéro post-7 octobre. Et nous sommes aujourd’hui dans un temps où beaucoup de sujets deviennent urgents ou viennent challenger notre sérénité.
SH Le premier article que j’ai écrit en rejoignant Tenou’a, c’était dans le numéro « Lettres à la France » qui a suivi les attentats de 2015. Dans ce texte, je disais à la France qu’elle avait démissionné de son analyse et qu’il fallait qu’elle revienne vite sur le divan. C’était à un de ces moments où l’inquiétude, en France et pour les Juifs qui étaient particulièrement visés, a fait retour au sein de Tenou’a. J’ai le sentiment que débutait alors déjà le temps de l’inquiétude à l’intérieur du « refuge » français. Inquiétude qui n’a pas cessé de se creuser depuis lors.
2015, c’était aussi un moment où le monde, juif et non juif, interrogeait régulièrement Delphine sur le phénomène d’aliya [émigration juive vers Israël], où les Juifs se demandaient s’ils devaient partir ou rester. Et aujourd’hui, après le 7 octobre, les Juifs se demandent de nouveau s’ils doivent quitter la France, mais sans se dire systématiquement « pour aller en Israël ». Ils ne savent pas où. Comme s’il n’y avait plus de lieu dans le monde garantissant la simple possibilité de leur vie.
DH En vous écoutant parler, je me dis que lorsque j’ai commencé à m’occuper de Tenou’a, l’enjeu était la question de comment sauver l’esprit juif, l’âme juive, la créativité juive. Et puis en crescendo s’est imposée la question du salut des corps juifs. Il y a 13 ans, on pouvait faire semblant d’éluder la question. Il me semblait alors naïvement que l’urgence était à penser l’esprit juif, la créativité juive, le génie juif, de façon très dématérialisée. Et puis il y a eu cette montée de la violence en diaspora et en Israël. Et on ne peut plus, aujourd’hui, ignorer la menace sur le corps juif.
SH D’abord on s’est fourvoyés, et c’est l’histoire de la philosophie, en voulant séparer corps et esprit. Aujourd’hui, je crois que lorsqu’on dit « corps juif », on n’exclut pas l’esprit, parce qu’il n’y a pas de dichotomie entre le corps juif et la pensée juive et, à vrai dire, ce sont ces phénomènes de corps qui nous obligent à reconstruire de la pensée, et à constater qu’on s’est trompés en croyant à l’abstraction des corps.
DH Cela fait des années qu’ensemble nous parlons du refus de la pensée paulinienne, « le corps versus l’esprit ». Mais dans les faits, nous sommes aussi les enfants de cette déconnexion par notre modernité.
SH Cette déconnexion dit plutôt le contraire : elle dit qu’à corps supposé non juif, la possibilité d’un esprit juif reste possible, sans pour autant que l’on sache vraiment tout ce que cela veut dire, « corps juif », « esprit juif »… À supposer qu’on sache ce que cela pourrait vouloir dire : un esprit juif dans un corps non juif est parfaitement envisageable et réciproquement. Au fond, on crée des passages entre des corps et des esprits et la possibilité que ce ne soit pas complètement déconnecté au sens où on ne pourrait bâtir, inventer ponts et passages. La dichotomie radicale voudrait qu’il y ait une différence de nature telle qu’on ne peut pas les penser ensemble.
DH Pour autant, il y a quelque chose là-dedans qui est problématique parce qu’aujourd’hui, la façon dont les gens s’en prennent à Israël et le caricaturent en État fasciste, ils disent en fait que l’État des corps juifs en Israël n’est plus fidèle à l’esprit juif et que, d’une certaine manière, on pourrait tuer les corps juifs là-bas parce qu’il y a ici des gens, peut-être même non juifs, qui sont beaucoup plus l’incarnation de l’esprit juif. Et nous devons être très attentifs à ne pas nourrir ça.
ASD Il y a ce danger-là et, en face, il y a le messianisme ou le suprémacisme juif aujourd’hui en Israël qui a quasiment le raisonnement inverse, en expliquant que les âmes juives ne sont pas à la hauteur des corps juifs, qui voudrait se voir comme une espèce de corps suprême.
DH Je voyais récemment une manifestation des ultraorthodoxes antisionistes en Israël, qui sont extrêmement opposés à la conscription dans l’armée, et qui brandissaient des slogans comme « plutôt mourir qu’être intégrés à l’armée ». Et c’est pour moi, qui considère le judaïsme comme une philosophie de la vie à tout prix, très perturbant que de voir ce slogan qui préfère l’esprit au corps.
ASD Et on peut penser aussi à ces militants des implantations qui sont allés début mars, monter un avant-poste de colonies dans la bande de Gaza… On atteint aujourd’hui un niveau de tension au sein du ou des judaïsmes qu’on a rarement vu.
SH Tenou’a a-t-il aussi pour vocation de montrer que le judaïsme, ce n’est pas ça ? de se dissocier de ça ?
ASD De facto, c’est : ces gens existent, donc je ne crois pas qu’on puisse dire qu’on va montrer que ce n’est pas. En revanche, nous en dissocier radicalement, oui, certainement, comme nous l’avons fait pour Zemmour lorsqu’il est arrivé, parce que son personnage s’entourait de sa judéité, au point qu’il a pu séduire des Juifs français qui, jusqu’à lui, n’auraient jamais voté pour l’extrême-droite. C’étaient des Juifs qui se sentaient en danger, et c’est un ressenti avec lequel il faut être très prudent, parce que c’est quand on se sent en danger qu’on commence à faire n’importe quoi. Alors il faut toujours se demander à quel point ce danger est immédiat et réel ou pas.
SH C’est tout le problème de la peur en politique, qui est très perverse, à double tranchant. Elle peut avoir une manière (je prends beaucoup de précautions évidemment) de « nécessité » et en même temps elle est catastrophique dans ce qu’elle fait faire. Pour en revenir à Tenou’a, l’idée est donc de montrer que « juif », ce n’est pas « que ça ».
ASD Cela va découler du travail que nous faisons, mais l’idée de Tenou’a elle-même se résume plus, à mon sens, dans le titre du numéro de décembre dernier : « Penser malgré tout », et penser contre soi malgré tout.
SH Ce qui n’est pas particulièrement juif et qui repose toujours la question : pourquoi, dans ce cas-là, est-ce de la pensée juive ? C’est d’autant plus intéressant que le « malgré tout » est le grand signifiant de la pensée de Georges Didi-Huberman depuis très longtemps – je pense notamment à son débat avec Claude Lanzmann sur les images de la Shoah. Et Didi-Huberman, à ma connaissance, ne fait ni ne revendique faire de la pensée juive, pourtant…
DH Peut-être que si… quand il pense la question du témoin, c’est quand même très juif.
ASD Attention, ce n’est pas parce que c’est juif que ce n’est pas aussi autre chose. Bien sûr que la question du témoin peut appartenir à plein de pensées, mais à vrai dire, je ne me pose pas la question de savoir si c’est de la pensée juive ou non.
DH Je me rends compte que je ne sais pas définir la pensée juive, mais je peux assez facilement identifier une pensée non juive, qui est une pensée bien ancrée, bien installée, une pensée tranquille et sereine.
ASD Ou une pensée qu’on qualifierait en anglais d’entitled, de « sûre de son bon droit ». Et il me semble qu’une pensée sûre est une pensée qui cesse un peu de penser.
SH Toute la pensée de Levinas interroge le fait d’être « sûr de son bon droit » – on se souvient de la fameuse citation des Pensées de Pascal ouvrant Autrement qu’être : « « C’est là ma place au soleil ». Voilà le commencement et l’image de l’usurpation de toute la terre ».
DH C’est cette pensée non inquiétée. Peut-être que le sous-titre de Tenou’a c’est ça : « la revue de la pensée inquiète ». De ce point de vue, l’un des plus beaux titres de livres est L’intranquille dans lequel Gérard Garouste raconte sa conversion au judaïsme, comment il a troqué la tranquillité de sa filiation contre une intranquillité de sa filiation. Et oui, la pensée juive, en résumé, est une pensée de l’intranquillité. La pensée juive n’est jamais grandiloquente, c’est un truc cassé…
SH … avec de l’humour, avec de l’ironie, avec une distance, un décollement, une pensée qui a un problème avec l’incarnation. Nous décoïncidons de nous-mêmes sans arrêt, si bien qu’on ne peut pas dire « nous », on ne peut pas dire « mêmes » ; tous nos mots sont hantés par une dissociation interne, et c’est ce qui nous conduit à ne pas parvenir à dire ce que c’est que « juif ».
ASD Enfin, « on » vaut sans doute pour nous à Tenou’a, mais il existe aujourd’hui un judaïsme qui arrive très bien à dire « je » et à dire des mots très complets. L’horreur du 7 octobre a été un renversement pour nous, et c’est un renversement qui se poursuit, c’est un culbuto, un renversement qui ne cesse pas, et qui ne cesse pas aussi en raison de la découverte de la puissance de cette parole juive-là très sûre d’elle-même.
DH C’est certain que ce judaïsme-là, par la sérénité, a gagné en tranquillité. Et je pense à la méguila d’Esther que l’on lit à Pourim et qui raconte comment les Juifs arrivés au pouvoir se vengent violemment des Perses. Il y a une telle mise en garde dans la méguila qui semble dire : « Quand vous accédez au pouvoir, êtes-vous sûrs de ne pas l’exercer aussi violemment que les autres ? ». Il y a cette mise en garde donc, et soit on l’entend, soit on prend le risque qu’elle se réalise.
SH C’est intéressant parce que ça veut dire que le texte juif indique que le pouvoir est toujours un pouvoir de mort sur l’autre : dès qu’on prend le pouvoir, on a la possibilité de tuer. Cela me ramène au mythe de Gygès dans La République de Platon, qui raconte comment le berger Gygès, sans expérience ni velléité de pouvoir aucune, trouve un anneau qui lui donne le pouvoir d’invisibilité et, dès qu’il l’a, il s’en sert pour son intérêt personnel. C’est connu, Platon montre que le pouvoir est structurellement et naturellement corrupteur.
DH C’est d’autant plus remarquable que, dans la méguila, les Juifs obtiennent le pouvoir par un anneau, celui de Haman que le roi confie à Mordechai… C’est toujours la question du pouvoir qui est posée : que fait-on avec les outils qui sont les nôtres ? Et puisque nous posons la question de Tenou’a : en quoi ce média pourra-t-il participer à faire de notre intranquillité une force ?