Comment envisagez-vous l’avenir de la mémoire de la Shoah ?
Une page se tourne définitivement, et nous passons de la mémoire à l’histoire. Cela dit, il n’y a d’histoire de la Shoah que parce qu’il y a eu cette mémoire, ce qui explique l’obsession de nombre de déportés qui voulaient à tout prix rentrer pour raconter cette chose inouïe prévue pour ne laisser aucune trace. Cette mémoire directe disparaît, certes, mais demeurera la mémoire orale, une mémoire qui se transmet des vivants d’avant aux vivants d’aujourd’hui, et qui a un rôle très important à jouer.
Ces témoins ont également été des combattants essentiels contre les négationnistes. Avec leur disparition, le risque de voir les négationnistes s’affirmer doit faire prendre conscience du rôle essentiel des gardiens de la mémoire, lesquels n’ont pas nécessairement été témoins de l’histoire. C’est là que le travail de Yad Vashem par exemple, est essentiel, y compris dans tous les pays dans lesquels il n’y a plus de témoins vivants depuis longtemps
Dans le contexte actuel, la notion de « juste parmi les nations » peut-elle avoir valeur d’exemple et d’éducation ?
Il faut être attentif à ne pas tout confondre : « Juste parmi les Nations » désigne quelque chose de très clairement défini dans un contexte particulier. Il faut donc éviter de considérer toute personne qui, dans sa vie, en a sauvé une autre, comme un « Juste », ce qui n’enlève rien à la grandeur de cette personne. Une fois cette précaution prise, il faut bien sûr valoriser l’exemple des Justes qui peut, à juste titre, être une source de réflexion dans le cadre des événements auxquels nous pouvons être confrontés. Car enfin, la seule existence des Justes permet de couper court à l’idée que « tout le monde était coupable », idée qui induit sournoisement celle que nul n’est coupable. Le fait qu’il y ait des Justes, des innocents, affirme la culpabilité des coupables et une idée forte : on a bien plus souvent qu’on ne le pense le choix de ses actions, on n’est pas en permanence confronté à des fatalités, et les Justes en sont l’illustration.
Votre histoire familiale, celle de votre mère, Simone Veil, vous pousse-t-elle à vouloir transmettre ?
Qui mieux que les descendants des survivants, de ceux qui ont raconté, pour assurer cette transmission et cette mission de conservation de la mémoire ?
Mon histoire personnelle joue bien sûr un rôle important dans mon engagement, parce que je suis fils de déportée, mais aussi parce qu’il y a 35 ans, j’ai été amené à plaider contre le négationniste Faurisson, que je qualifiai alors d’« assassin de la mémoire ». Aussi, lorsque j’ai été sollicité pour prendre ces responsabilités au Comité Français pour Yad Vashem, la question ne s’est même pas posée : il était impensable de ne pas le faire.
YAD VASHEM