Tu ne peux pas comprendre

Tu ne peux pas comprendre »; péremptoire aveu de celui ou de celle qui, amer, se heurte à la faillite d’un idéal amoureux. À tout le moins, la fusion se borne au corps, frontière physique insurmontable. Elle sera néanmoins, le plus souvent, limitée par une résistance du for intérieur qui, s’il peut être raconté, réagit et ressent avant même de pouvoir être compris ou saisi par la réflexion. Aussi, il est bien plus aisé de renvoyer à l’autre sa différence et donc sa carence à l’empathie, plutôt que de s’attacher à lui expliquer, méticuleux, chacune de ses vibrations émotionnelles, chacune de ses pensées.

Ces mots, c’est une décharge. Au-delà d’une montée d’adrénaline, ils sont à la fois une mise en accusation et un désabusement. Une culpabilisation et une relaxe déçue, le « C’est toi » face au « C’est moi ». Et alors que la déconvenue se jouera dans l’intimité du couple, il y aura cette petite voix, non sollicitée, qui vous dira qu’elle vous l’avait dit. Que tout ce qu’elle a toujours souhaité, c’est votre bonheur et que, justement, elle a « un plan pour ça », une check-list longue comme son bras, comme les fiches de présentation, interminables, que l’on rendait à ses enseignants le jour de la rentrée, « Âge, nom, adresse… Profession des parents… », mais surtout « de chez nous! ».

À leurs yeux, il constitue le premier critère, le plus important, le plus sacré. Comme s’il était un gage, une sûreté, de la réussite d’un Amour, oubliant toutes leurs luttes et querelles passées, tous les autres chemins escarpés qu’ils ont dû franchir, les petites ruptures, les compromis et les Grands Pardons sans pardonner.

À eux comme à vous, moi, j’ai une annonce à faire. Le couple mixte; le couple mixte, le couple mixte, il n’existe pas. Le couple mixte, ce fantasme! Quelle étrange absurdité que ce baptême lexical, cette paire mal assortie. On enferme la différence sous un label stérile qui ne renvoie à aucune autre réalité que celle de nos propres contemplations.

Ceux qui arguent de son existence sont des curieux, moins des indiscrets que de véritables artistes. À les entendre et à les voir, on se croirait au spectacle. Cirque triste ou feu d’artifices, ils agitent avec un rythme certain les étiquettes en rubans qu’ils créent, dansent les cancans et projettent en ombres chinoises leurs mots et leurs images sur les couples qu’ils auraient entoilés et tendus devant eux pour l’occasion. Ils n’y ont pourtant pas été invités.

La psyché sociale est mal élevée et se répand sans cesse autour des Amours qu’elle juge non désirées ou inattendues. Incapable d’y rester indifférente, elle fuse et s’éclate en bons sentiments et avis malaisés. Et puis, elle s’enorgueillit de qualifier la communion de deux intimes là où le singulier n’existe pas, puisque partout. Il y a, en effet, autant de couples mixtes que de couples. L’expression est seulement le témoin de notre passion à définir et à asseoir l’existence virtuelle de ce qui appartient déjà à tout réel. Le couple n’est, en effet, que la réunion de deux individualités qui, même en se mêlant, sont irréductiblement différentes, en paroles et en jouissance. Apposer sur celui-ci le nom de « Mixte » revient à le condamner à incarner une figure de comédie, un moyen d’invoquer de vieux poncifs, usés à la corde, réinventés toujours. C’est le donner en otage à Autrui et en déposséder les personnes qui le forment. Il devient un objet sur lequel est appliquée une échelle de valeurs, nous dépréciant tous.

Le « Couple mixte » ? Il infantilise, il condamne, il donne du « vous » au lieu du « tu », il donne à la dissemblance la primauté sur le couple tout entier, son essence, sa gloire, et, parfois, son échec. Le définir, pire, l’utiliser pour désigner, s’avère être la marque d’une tolérance très édulcorée. Hypocrites, les endogames qui s’ignorent peut- être tordent la réalité pour la considérer selon leurs intérêts et dénient la riche dissonance de tous les couples. Ils tronquent un absolu, l’amour, pour s’entêter d’illogiques vétilles.
Si les drôles d’amoureuses, d’amoureux, et de pariades, sont infinis, la seule constante qu’ils ont en partage est leur désillusion, un jour, de voir que la fusion n’existe pas et que leurs contradictions ne sont réconciliables que par compromis. C’est le malentendu du moi pascalien.

À défaut de savoir s’il n’y a pas d’amour heureux ou si celui-ci est à la plage, on peut affirmer sans crainte que le couple n’est pas un Éden, au contraire, il est une société. Au jeu de l’amour et du hasard, les uns se sont bien trouvés, les autres bien arrangés, mais rien de nouveau sous le soleil et sur les pavés. On juge plus qu’on ne s’entremêle, en collant des gommettes sur ses jouets que l’on range à de justes endroits bien désignés. Cela nous évite de nous comparer puisqu’il y aura toujours pire chez ses voisins.

Mais à ramener la mixité à la religion, à la couleur de peau, à des racines si lointaines qu’elles sont perdues, on confesse notre faiblesse et étrangement nos peurs. Pour nous, Juifs, celle de voir notre religion s’éteindre par le métissage. L’histoire, atemporelle, a pourtant démontré que nous sommes comme le roseau qui flanche mais qui jamais ne se brise. En réalité, c’est nous qui avons injustement été assignés en couple mixte avec nos sociétés, sans cesse renvoyés à notre seule judéité, stigmatisés par notre prétendue différence. L’accepteriez-vous ? Je ne le crois pas. C’est notre identité qui est mixte et non notre citoyenneté ou nos amours. Notre complexité individuelle, à chacun, juif ou non, nous rassemble et nous élève tous plus qu’elle ne nous éloigne, ne la cantonnons pas à une pâle étiquette vide de substance.

Le couple mixte ? N’en parlons plus.