Comment en êtes-vous venus à penser à la GPA ?
Assez rapidement après que nous nous sommes installés ensemble – le mariage n’existait pas encore alors pour les couples homosexuels –, nous avons eu un projet de paternité. Nous avons regardé du côté de l’adoption, mais elle était impossible sans mentir, puisque j’aurais dû me présenter comme célibataire. Et même avec ce mensonge, il était quasiment impossible d’adopter en père célibataire, en France ou à l’étranger. Au départ, j’étais assez opposé à la GPA, mais nous sommes allés nous rendre compte de ce qu’il en était aux États-Unis, ce qui nous a permis de dépasser nos préjugés.
Quelles étaient vos réticences ?
Très simplement, je ne voyais pas comment une femme qui avait porté un enfant pouvait s’en séparer sans douleur. Et la question de l’échange d’argent, de la marchandisation, me posait problème.
Pourquoi parlez-vous de femme porteuse plutôt que de mère porteuse ?
Il y a la même confusion pour la PMA lorsqu’on confond « donneur » et « père ». La femme porteuse n’est absolument pas dans une démarche de maternité (et ce n’est pas son ovocyte), n’y bâtit aucune relation de parentalité. La maternité (comme la paternité) est bien plus que fournir des gamètes ou porter un embryon. Lorsqu’on leur en parle, elles ont du mal à comprendre, par exemple, qu’en France, on puisse les qualifier de « mères » de ces enfants. Michelle, qui a porté nos deux filles, se définit comme une espèce de « super nounou » qui a pris en charge ces enfants, mais avant même leur naissance.
Comment définiriez-vous une « GPA éthique » ?
Elle se passe bien sûr entre adultes pleinement consentants. Il y a aussi le fait qu’il y ait deux femmes, une qui donne et une qui porte, que les relations d’argent ne soient jamais directes, que les sommes soient raisonnables pour compenser les quelques semaines où elles n’ont pas pu travailler, et que les femmes répondent aux critères légaux en termes d’âge ou d’enfants
Vous refusiez de mentir pour adopter. Quel est le devoir de vérité dans un couple comme le vôtre ?
Le parallèle est très simple avec la PMA. Aujourd’hui dans les couples hétéros qui ont recours à un donneur de gamètes, une majorité ne dit pas à leurs enfants com- ment ils ont été conçus, parce que l’histoire est dissimulable. Mais dans un couple homo, par définition, vous ne pouvez pas dissimuler: très vite l’enfant comprend bien qu’il ne peut pas être né de deux pères ou deux mères. Vous avez un devoir de vérité lié à votre modèle, une impossibilité du mensonge. Lors de son audition à l’Assemblée nationale, la pédopsychiatre Catherine Jousselme expliquait:
« Quand on sait que la santé mentale d’un enfant dépend largement de la qualité sensible et chaleureuse des interactions précoces, qui engendrent un attachement sécure, avec des parents possédant une capacité à répondre aux besoins fondamentaux et aux demandes de l’enfant, en lui transmettant une sécurité affective alliée à des stimulations cognitives adaptées à son âge, dans un cadre fiable et cohérent, sans violence, on comprend que ces études montrent que les enfants issus d’AMP ne semblent pas particulièrement en danger. […] Il apparaît clairement (clinique et littérature) que les enfants qui connaissent leur mode de conception, vont mieux que ceux pour qui il demeure secret: à 7 ans, ils ont un meilleur bien être et des capacités d’ajustement psychique supérieures. […] Les parents hétérosexuels qui maintiennent le secret le font, la plupart du temps, car ils craignent de révéler la stérilité de l’un ou de l’autre parent, particulièrement quand elle nécessite l’intervention d’un ou d’une donneuse. […] Les couples homoparentaux femmes ou hommes n’ont pas les mêmes problématiques sur la question puisque la nature des choses les pousse, pour quasiment 100 % d’entre eux, à révéler très tôt le mode de conception à leur enfant, puisqu’ils assument leur homosexualité. »
Comment en avez-vous parlé à vos filles ?
Dès la naissance, quand elles avaient quelques minutes, je leur ai expliqué leur histoire et le rôle de Michelle qui les avait portées, qu’elle ne les abandonnait pas, qu’en- semble elle nous avait accompagnés dans notre désir de parentalité et avait permis leur existence. Depuis, j’élabore le discours au fur et à mesure qu’elles grandissent. J’ignore ce qu’elles pouvaient comprendre ou non toutes petites, mais elles sont imprégnées de leur histoire.
Avez-vous choisi une donneuse d’ovocytes juive ?
Mon mari n’est pas juif donc ce n’était pas un critère mais, de toute façon, les seuls critères qui apparaissaient pour le choix étaient médicaux, ethniques et de cursus universitaire.
Vos filles se considèrent-elles juives ou chrétiennes ?
Nous élevons nos deux petites filles exactement de la même façon, il n’y en a pas une qui est plus la fille de l’un ou de l’autre. Nous nous sommes employés, et ce n’a pas été aisé, à ce qu’elles aient, aux yeux de la loi, deux parents au sens plein, avec le même lien de filiation reconnu légalement. Au début, la grande n’était que ma fille et la petite que celle de mon mari. Malgré l’absence totale de différence dans leur éducation, ma fille aînée, qui est aussi ma fille génétique, se revendique juive depuis qu’elle a 4 ou 5 ans, et ma deuxième fille, qui a 6 ans, se revendique catholique. Elles ont pourtant été dans les mêmes mariages juifs ou catholiques, dans les mêmes bar-mitsva, dans les mêmes communions, lorsqu’elles vont chez leurs grands-parents, elles y vont ensemble. Ceci me trouble beaucoup, je ne me l’explique pas et, d’une certaine façon, j’aurais été presque plus à l’aise si le choix avait été inversé, je me serais dit que c’était une histoire de personnalité, je ne me serais pas posé la question de la possibilité d’une transmission génétique.
Il existe une obsession juive de la transmission, comment cela se passe-t-il avec vos parents, vos frères et sœurs ?
Je partage cette obsession, elle a même été un des moteurs de mon désir de paternité: ne pas rompre cette chaîne. J’ai été baigné dans cette culture juive, j’ai des frères et sœurs très religieux et je m’en suis éloigné, pour ma part, principalement en raison de mon ho- mosexualité. Bizarrement, alors que j’étais parti assez loin de toute mon éducation religieuse, je suis rattrapé par ce besoin de transmission de valeurs, de religion, maintenant que je suis père. Mon mari n’étant pas religieux, voire assez antireligieux, ça amuse mes frères et sœurs de me voir le porteur de la transmission religieuse dans ma famille alors même que j’en ai été si étranger durant une trentaine d’années.
Vos deux filles sont nées aux États-Unis, elles sont donc américaines. Cette identité, qui leur appartient à elles et pas à vous, vous pose-t-elle question ?
Non, c’est principalement sur des raisons pratiques que cela nous a interrogés, pas tellement sur des questions d’identité. Au passage, alors même qu’elles sont nées dans un État conservateur, il a été cent mille fois plus simple de nous faire reconnaître comme les deux parents de nos deux filles aux États-Unis qu’en France. Ici, c’était presque insoluble et ce fut même hostile, nous étions considérés comme « un trouble à l’ordre public ». Là-bas, la dimension de famille et d’enfants prend le pas sur tout le reste: le juge nous a dit très chaleureusement à quel point il était heureux de participer à bâtir notre famille.
Vous n’êtes pas militant mais journaliste. Que pensez-vous du fait qu’on ouvre ce débat, qu’on demande à chacun d’avoir un avis sur votre famille ?
Je peux le comprendre, même si ce n’est pas toujours facile à vivre. Les modèles changent, ça ne peut pas se faire sans un peu de frictions. Il me semble assez logique que ça passe par le regard de l’autre. Ce qui est intéressant, c’est de confronter des débats théoriques avec des gens qui ne connaissent pas la réalité à notre situation concrète depuis huit ans. À partir du moment où le modèle est sous les yeux, il ne pose plus problème, y compris dans des écoles qui brassent tous types de population, comme celle où sont scolarisées nos filles.
Propos recueillis par Antoine Strobel-Dahan