Un verset, dix lectures

« Avec un mâle, tu ne coucheras pas de coucherie de femme. C’est une abomination. » Lévitique 18:22
« L’homme qui couchera avec un mâle à coucherie de femme, ils font une abomination, les deux. Ils sont mis à mort, à mort, leurs sangs contre eux. »
Lévitique 20:13 (traductions A. Chouraqui)

Deux versets de la Torah parlent d’actes sexuels entre hommes, et ils sont brutalement limpides : abomination, mise à mort. Comme toujours dans le judaïsme, le texte appelle interprétations et commentaires. Ceux-ci ne font pas exception, qui peuvent être lus comme un interdit formel toujours légitime, comme un interdit clair s’appliquant à quelques situations particulières ou comme un tabou social n’impliquant pas d’interdit.

Dans ce numéro de Tenou’a, nous lisons des opinions bien différentes sur le sens de ces quelques mots. Certains, comme le rabbin américain Steven Greenberg ou la juriste Elaine Chapnik ont, dans une démarche traditionnelle de lecture orthodoxe, consacré des années à triturer le texte pour tenter d’en saisir les conséquences pratiques en termes de halakha. D’autres cherchent l’essence de ces mots, à définir s’il s’agit réellement de ce que nous croyons, ou s’attachent à trouver des notions qui pourraient supplanter cet interdit, comme la dignité humaine si chère à la Loi juive. D’autres enfin trouvent qu’il n’y a pas matière à débat autour de ces versets, simples et clairs.

Un seul point réunit tous les intervenants de ce numéro : tous condamnent sans ambiguïté toute forme de rejet des personnes homosexuelles pour ce qu’elles sont.

ואת-זכר–לא תשכב, משכבי אשה: תועבה, הוא
« Tu ne coucheras pas avec un homme comme on couche avec une femme. C’est une abomination. » Lévitique 18:22

Ces actes ne sont pas qualifIés de péchés

Joel Hoffman, linguiste, New York

Il existe, concernant le Lévitique 18:22 cinq déformations importantes entre la lecture moderne et le sens ancien du texte.

Au cœur de ce verset, les rapports sexuels entre hommes sont qualifiés de toeva en hébreu, communément en français : « abomination ». C’est la première déformation. Le terme hébreu toeva signifie « tabou » – un acte inapproprié en raison des normes sociales et non un mal absolu. Isolé, donc, le Lévitique 18:22 parle de tabou, et non d’abomination.

Le contexte, cependant, nous éloigne de ces nuances de toeva pour nous rapprocher du modèle général du Lévitique 18, chapitre dans lequel plusieurs synonymes décrivent des comportements indésirables : toeva ici, zimah (« crime ») plus haut, tevel (« perversion ») plus loin, etc. Par ce contexte, le Lévitique 18 liste des pratiques indésirables, quelles que soient les subtilités du terme hébreu toeva.

Mais pour indésirables qu’ils soient, ces actes ne sont pas qualifiés de « péchés ». La deuxième déformation, donc, est de prétendre que le Lévitique 18:22 parle de péché.

La troisième déformation consiste à étendre le domaine du Lévitique 18:22 à l’homosexualité en général. Il ne s’agit ici que d’un acte homosexuel masculin spécifique.

La quatrième déformation se fait en sens inverse : en s’appuyant sur le langage euphémistique (ne pas coucher avec un homme « comme on couche avec une femme »), certains suggèrent que les rapports sexuels entre deux hommes ne posent pas de problème tant qu’ils ne sont pas exactement identiques aux rapports sexuels entre un homme et une femme. Ceux-là se méprennent sur la façon dont fonctionnent les euphémismes.

Finalement, le Lévitique 18:22 ne fait qu’une ligne (ou deux si on y ajoute son double en Lévitique 20:13). La cinquième déformation consiste à considérer ces deux lignes hostiles aux rapports sexuels entre hommes comme plus importantes que, par exemple, le verset similaire de Lévitique 19:19 (qui proscrit le port d’un « vêtement tissé de deux espèces de fils » différentes).

Débarrassé de ces cinq déformations, le Lévitique 18:22 réprouve un acte homosexuel masculin, parmi une longue liste de prohibitions anciennes, dont bon nombre sont souvent ignorées dans le monde moderne, tant par nos contemporains religieux que laïcs.

Le Dr Joel M. Hoffman est spécialiste de la Bible à New York. Son dernier ouvrage, The Bible’s Cutting Room Floor : The Holy Scriptures Missing From Your Bible est paru en septembre 2014. Plus d’informations sur www.lashon.net

comment pourraIs-je avoIr en abomInatIon le juIf homosexuel ?

Gabriel Abensour
Animateur du blog modernorthodox.fr

Pour une raison que j’ignore, la Torah a en abomination l’acte homosexuel. L’acte lui-même, mais non pas le sujet qui le commet. A fortiori, la Torah ne peut pas haïr une identité. « Tu n’auras point en abomination l’Édomite, car il est ton frère » (Deutéronome 23:8), nous demande la Torah. Alors comment pourrais-je avoir en abomination le juif homosexuel, mon véritable frère qui, contrairement à l’Édomite, ne m’a jamais causé le moindre tort ?

La Torah, si consciente du statut de l’Autre et de l’abomination des oppressions sociales, ne peut tolérer une politique de discrimination. En Israël, le taux de suicide des homosexuels issus des milieux religieux est vingt fois plus élevé que celui du reste des jeunes. Ainsi, l’homophobie tue. Nous tuons tous un peu, par notre silence, par notre lâcheté, par notre refus de reconnaître que s’il existe une abomination en ce qui concerne l’homosexualité, celle-ci est sans aucun doute dans le rapport que nous, juifs hétérosexuels, entretenons avec nos frères et sœurs homosexuels.

Levinas nous a enseigné que « Le “Tu ne tueras point” est la première parole du visage ». Pourtant, « le meurtre, il est vrai, est un fait banal : on peut tuer autrui ; l’exigence éthique n’est pas une nécessité ontologique ». Je ne sais pas pourquoi la Torah a interdit à deux hommes d’avoir un rapport homosexuel. Je sais cependant que cette même Torah m’interdit catégoriquement le meurtre. J’aimerais que les zélotes, si prompts à nous rappeler ces deux lignes de la Bible, soient aussi capables de se rappeler les chapitres entiers qui condamnent la haine et l’oppression de l’Autre. J’aimerais que le monde religieux réalise que par son attitude, il verse du sang innocent jour après jour.

« La voix du sang de ton frère crie de la terre jusqu’à moi » (Genèse 4:10)

la bIble rItualIse la sexualIté, elle ne la moralIse pas

David Isaac Haziza
Philosophe

Avant toute chose, je crois qu’il convient de dissiper un malentendu. Même dans une perspective orthodoxe, la prohibition de l’homosexualité en tant que telle n’existe pas dans le judaïsme. Le Lévitique interdit une certaine pratique sexuelle, qu’il ne nomme d’ailleurs pas « sodomie » car c’est là une vision chrétienne tardive, et il l’interdit si elle a lieu entre hommes (là encore, soit dit en passant, cela reste permis entre hommes et femmes même dans une perspective orthodoxe ou « halakhiste ») ; il l’interdit néanmoins comme il interdit tout une série de pratiques que nous qualifierions d’hétérosexuelles. La Loi de Moïse ne raisonne pas selon les catégories sexuelles que nous connaissons : elle ne légifère pas sur des identités sexuelles qui n’existent certainement pas sous leur forme actuelle à l’époque, mais sur des gestes, qu’elle permet ou interdit. Il n’y a ni hétérosexuels ni homosexuels dans l’Antiquité : voyez les mœurs de Socrate et de Platon! Au reste, la Bible ne dit rien du lesbianisme et certaines militantes orthodoxes, aux États-Unis ou en Israël, tirent aujourd’hui profit de ce silence jamais vraiment comblé par la jurisprudence rabbinique, pour affirmer leur homosexualité (que ce soit sur le plan de l’identité ou du mode de vie) tout en restant fidèles au cadre de la halakha.

J’ajoute à ces considérations une chose : les interdits sexuels ne sont pas des interdits moraux mais plutôt des interdits rituels, des houkim plutôt que des mishpatim. Leur « moralisation » est selon moi une lecture chrétienne, qui a toutefois pu déteindre sur le judaïsme. Par exemple, c’est le Nouveau Testament qui fait de Sodome le symbole des « débauchés » alors que notre tradition y voit plutôt le nom de l’égoïsme, de l’injustice sociale et de la xénophobie, péchés bel et bien moraux pour le coup. La loi biblique ritualise la sexualité, ce qui ne lui est d’ailleurs pas propre, mais elle ne la moralise pas.

Cela dit, il reste que le monde a changé depuis le temps de nos prophètes. Ces pratiques condamnées alors parmi beaucoup d’autres comportements, sont revendiquées au nom d’identités qui n’existaient pas encore. L’Homme a des droits et non plus la seule responsabilité de garder la Loi. Le corps lui-même, le corps de l’individu, a désormais des droits – et non plus de simples « permissions » accordées à ceux qui savent par ailleurs se conformer aux commandements. Je suis de ceux qui croient à la nature partiellement historique de nos textes, je ne m’en cache pas. Cela n’en exclut d’ailleurs pas un substrat divin. Et cela ne veut pas dire qu’il faille tout abandonner ou relativiser : la force de notre civilisation, cette immortalité que chacun est forcé de lui reconnaître, réside surtout dans la conservation de ses rites et de ses lois à travers les siècles. Mais alors, que faire ? Ce qui est sûr, c’est que nous sommes à la croisée des chemins, c’est que l’existence de nombreuses communautés réformées gay friendly ne suffit plus : c’est tout le peuple juif qui est concerné, tout le judaïsme. Des Juifs sont homosexuels, autant qu’ailleurs, c’est leur droit et les juger ou les en empêcher serait atroce. Une chose permettra pourtant toujours aux haineux de les haïr : la vision de la Loi comme entièrement incréée, éternelle, au-dessus de l’histoire. « C’est écrit », disent-ils, « c’est comme ça, on n’y changera rien ! » Et pourtant, oui, nous devons changer de perspective, nous approprier les textes et les rites, voir notre condition non pas comme celle d’esclaves de Dieu, mais comme celle d’un peuple, libre héritier d’une très ancienne civilisation. Je crois que nous possédons, dans notre tradition même, les outils pour résoudre la difficulté posée au judaïsme par l’émergence de la sexualité et des identités sexuelles : comme le dit le Talmud, la Torah n’est pas au ciel, elle est donnée aux hommes, comme la terre où ils vivent, debout et non prosternés, et comme la liberté de contredire leur Créateur. Avoir cela en tête doit aider les Juifs à accepter la différence en leur sein, à l’aimer et “ à la protéger.

Un interdit pour l’animal pulsionnel en l’homme

Jean-Pierre Winter
Psychanalyste

Le moins qu’on puisse dire à propos de ce verset c’est qu’il n’a pas fait couler beaucoup l’encre de nos commentateurs et de nos Maîtres. Rachi, par exemple, passe directement du verset 21, qui condamne le rituel sacrificiel et idolâtrique au dieu Moloch, au verset 23 qui interdit la pratique zoophile… aux femmes. Cela trahit peut-être soit une évidence soit un certain embarras. Considérons plutôt que ces trois versets sont solidaires. Apparaîtrait alors l’idée qu’il s’agit de refuser tout rapport charnel entre l’Homme et le radicalement Autre : un dieu-idole ou un animal mais aussi entre l’Homme et le semblable fusionné avec l’Autre. Ce partenaire, homme ou femme, se doit d’être l’Autre… sexe, d’où la formulation : « Avec un mâle tu ne coucheras pas comme avec une femme ». Ce qui est plus littéral que la traduction du Rabbinat qui dit : « Ne cohabite point avec un mâle, d’une cohabitation sexuelle… ».
« Avec un mâle (zakhar)… » et non avec « un homme » ! D’où se déduira que c’est bien l’animal pulsionnel en l’homme qui est concerné par cet interdit.

Garder la différence des sexes et non se garder d’elle

Gilles Bernheim
Grand Rabbin

Deux observations s’imposent à la lecture de ce verset :

1. L’interdit biblique de l’homosexualité masculine semble ne souffrir d’aucune exception effective, contrairement par exemple à :
– l’adultère, entre David et Bethsabée, dont l’amour coupable est néanmoins générateur à terme d’une histoire, celle de Salomon, édificateur du Temple.
– l’inceste de Loth et de ses filles, ancêtre du Messie, issu de Ruth la Moabite.
Mais il n’y a pas trace d’amour homosexuel effectif dans la Bible par lequel « passerait » l’histoire. Ni d’homosexualité féminine, même si celle-ci reste formellement interdite.

2. Il s’agit, dans ce verset, de garder la différence des sexes et non de se garder d’elle. Mais la prise en compte de ce qu’il nous faut garder suggère une réelle maturité sexuelle, si l’on veut bien accepter ces mots en dehors de toute connotation morale. Car ce deuil de la connaissance complète de l’identité sexuelle de l’autre est nécessaire pour que puisse s’instaurer l’amour. Deuil de tant de leurres et de tant d’illusions, constitutifs de la vie sexuelle.

Ce texte est nôtre mais nous avons le droit de ne pas être d’accord

Yann Boissière
Rabbin du MJLF, Paris

Il y a trois stratégies face à ce texte.
Tout d’abord le degré zéro de l’interprétation – mais c’en est une : la lecture littérale. Dans sa version brute, elle n’a pas grand-chose à ajouter, tant elle est certaine de sa « lecture C.Q.F.D. ». Dans sa version sophistiquée, on verra ce littéralisme se fendre d’un petit air contrit pour décliner son Non possumus : désolé, camarade homosexuel, aussi loin que puissent aller mes sympathies à la cause, il n’y a rien à faire, c’est marqué dans la Bible !

Deuxième stratégie : l’érudition. Par une dose massive de scholarship, de relativisme historique conjugué au Sitz im Leben (étude du contexte de vie), on élargit le propos, on réduit sa portée, on contextualise, bref on « amollit » le verset, on le travaille au corps pour démontrer qu’il réfère en fait à l’homosexualité rituelle, ou aux relations violentes entre non-égaux, ou encore à l’humiliation et au dénigrement, autrement dit, qu’il concerne tout sauf l’homosexualité telle que nous l’entendons (le beau responsum de Joel Roth – CJLS 2006 – se fait le relai des travaux érudits des trente dernières années sur la question).
Thèses parfois brillantes, peut-être même convaincantes. Jusqu’à un certain point.

Car cette stratégie de la chirurgie érudite esquive selon moi le fond du problème, qui exige de prendre ses responsabilités face au texte. Se dédouaner de cette responsabilité en noyant le verset sous un déluge d’érudition, lui appliquer toutes sortes de compresses interprétatives pour prétendre lui faire dire le contraire de ce qu’il dit, certes, nous, rabbins, nous y entendons. En l’occurrence, cependant, ce trop-plein de Wissenschaft (dont les résultats demeurent, tout au plus, conjecturaux) frise selon moi la mauvaise foi. Je veux parler ici de la troisième stratégie, celle, précisément, de la responsabilité : face à certains versets, et Lévitique 18:22 en fait assurément partie, je préfère reconnaître qu’il réprouve bel et bien l’homosexualité. Mais qu’il exprime un état de connaissance et une mentalité que nous ne reconnaissons plus comme les nôtres. Soyons clairs : que nous ne souhaitons pas reconnaître comme les nôtres.

On le voit, il s’agit ici non de la simple interprétation d’un verset, mais d’un principe global de méta-interprétation, d’une attitude globale de lecture et de responsabilité face au texte. Pour le dire très simplement : ce texte est nôtre, mais nous avons le droit de ne pas être d’accord. Alors, tous mes respects à Lévitique 18:22, mais bienvenue à Deutéronome 30:12 : « [Cette Torah] n’est pas dans le ciel, pour que tu dises : “Qui montera pour nous au ciel et nous l’ira quérir, et nous la fera entendre afin que nous l’observions ? ».

est-il questIon d’homosexualité dans ce verset?

Jonas Jacquelin
Rabbin de l’ULIF, Paris

Est-il question d’homosexualité dans ce verset ? Si par homosexualité nous entendons la relation amoureuse entre deux personnes de même sexe, force est de constater que ce verset n’aborde le phénomène que de façon très limitée : il n’est question ici que d’homosexualité masculine et le rapport n’est décrit qu’au travers de sa matérialisation sexuelle, laissant de côté les autres dimensions d’une telle liaison.

Un autre point frappe l’attention, il est écrit : « Tu ne coucheras pas avec un homme comme on couche avec une femme ». Cette union n’est pas envisagée directement pour ce qu’elle est mais au travers d’une comparaison avec la relation hétérosexuelle. Il semble y avoir comme une difficulté à appréhender et penser la relation homosexuelle dans sa singularité d’où le recours à cette comparaison.

C’est sur ce verset que se sont appuyés les décisionnaires rabbiniques pour interdire l’homosexualité. En partant du postulat selon lequel la relation homosexuelle recouvre plus que les rapports sexuels entre deux hommes, mais aussi toute la gamme de raisons et motifs sur lesquels s’appuient les couples en général, il est impossible de ne pas se poser la question de la pertinence du recours à cette seule source scripturaire pour condamner cette orientation sexuelle.

Une approche complète de l’homosexualité exige sans doute dans un premier temps de s’intéresser à toutes les dimensions sur lesquelles se base et se développe un couple homosexuel et à partir de cela rechercher les manières dont la Torah pourra les éclairer et nous donner à les penser.

l’homosexualité est consIdérée comme une faute

Haim Nisenbaum
Rabbin du Beth Loubavitch, Paris

L’immédiate proximité de la fête de Shavouot – le don de la Torah – date à laquelle j’écris ces quelques lignes, invite à réfléchir à l’interdiction biblique des relations homosexuelles dans ce contexte spirituel particulier.

Il faut d’abord relever que, pour la tradition juive, cette interdiction n’est pas une prescription humaine, liée à la morale d’un temps, mais bien un ordre divin. En effet, la création, tant dans sa globalité que dans chacun de ses détails, est la mise en œuvre d’un plan conçu par D.ieu dans lequel l’homme joue le rôle essentiel. C’est dire que tel acte est interdit car c’est cette harmonie qu’il remet en cause, introduisant un véritable déséquilibre.

Dans cette optique, la relation sexuelle homme/femme ne correspond pas seulement à une donnée de nature mais à une correspondance avec des événements spirituels longuement décrits par les textes kabbalistiques. Les hommes en général, et les Juifs en particulier, ayant une mission d’origine Divine à assumer, ce qui en détourne ne peut qu’être interdit. L’homosexualité est donc considérée comme une faute.

Est-ce à dire que l’homosexuel est mis au ban de la communauté ? En aucun cas car le défaut à remplir une obligation spirituelle ne fait pas disparaître la judaïté, qui est un fait d’essence. En d’autres termes, l’orientation sexuelle ne peut servir de marqueur identitaire. Et c’est à la lumière du lien avec D.ieu et de l’importance de la norme fondatrice que la question doit être pensée.

Projeter la question homosexuelle sur cet unique verset est hasardeux

Yeshaya Dalsace
Rabbin de la communauté massorti Dor Vador, Paris

Ce verset reste à mon avis obscur et ne peut être retiré de son contexte historique, d’une part, et de lectures à diverses époques, y compris la nôtre, d’autre part. Dans son contexte, il ne parle pas à mon avis d’homosexualité au sens actuel du terme, mais d’une pratique sexuelle, peut-être rituelle, condamnée. Projeter, comme beaucoup le font de nos jours, la vaste question homosexuelle sur cet unique verset me paraît hasardeux et réducteur. De plus, le judaïsme se méfie d’une approche trop littérale des textes et je ne vois aucune raison de se laisser enfermer dans la littéralité de celui-ci. Par ailleurs, le judaïsme implique la lecture réfléchie et critique de textes très divers, y compris des textes déplaisants, voire choquants, et il n’y a aucune raison que ce verset échappe à cette discipline. Cependant, la condamnation de la « coucherie masculine », de même que celle de la confusion volontaire du masculin et du féminin demeurent et on peut en apprendre quelque chose sans pour autant tomber dans la condamnation facile de l’homosexualité autrement complexe. En d’autres termes, la pratique homosexuelle pose de toute façon un problème à la tradition juive, bien au-delà de ce verset et il faut entendre cela aussi. Mais en tout cas, ce que subissent les homosexuels dans bien des milieux religieux est une honte et la transgression claire de commandements fondamentaux. Lutter contre ces discriminations et aider à réduire la souffrance est une mitsva. Ce verset, en tout état de cause, nous stimule et fait débat, en cela, il ne me pose pas de problème.

Comment priver un individu d’un besoin élémentaire ?

Hervé élie Bokobza
Talmudiste

Il n’est pas chose aisée de commenter un tel verset, surtout lorsque l’affirmation lapidaire ne laisse place à aucun compromis. Je ne vais donc pas tenter de camoufler sa cohérence, mais me contenter d’en questionner son principe.

La Torah ne perçoit pas l’homosexualité comme une norme spécifique mais comme une perversion de l’hétérosexualité. C’est donc toute la question du rapport à la sexualité qui est posée ici.

On sait par ailleurs que la Torah distingue le commandement de procréation, du devoir conjugal. C’est ce que la Torah appelle ona (cf. Exode 21:10).

On connaît le débat au sujet de savoir si la fin des temps verra un changement de la nature du monde. Selon Maïmonide, le principe « le monde suit son cours » est valable même après les temps messianiques. Dans son Épître sur la résurrection des morts, Maïmonide s’appuie sur un passage du Talmud qui dit qu’à la fin des temps cesseront toutes les activités corporelles, telles que le manger, le boire, et les relations sexuelles (Berachot 17, a). Comment ainsi prétendre que Dieu laisse subsister des organes inutiles ?

Ce passage du Talmud qui place la sexualité avec le manger et le boire montre que celle-ci est autant nécessaire à l’être humain que de se nourrir. Comment donc priver un individu, qui n’a aucune attirance pour un membre du sexe opposé, d’un besoin élémentaire à sa vie ?

Nous laisserons la question en suspend afin de nous faire réfléchir sur l’intérêt évident de revoir certaines des dispositions de la Torah à l’aune des questions nouvelles qui se posent à nous au fur et à mesure du temps.