Le débat, la discussion même vigoureuse ont, depuis toujours, fait partie de la tradition juive. La raison en est claire : la Torah, loi écrite et incontestable parce qu’objet de la révélation divine au Sinaï, est très succincte. Elle remet aux sages la tâche de la développer, en appliquant les règles qu’elle établit, afin de rendre le service de D.ieu accessible à tous. Ce développement obéit à des principes. Ainsi, il ne peut jamais aboutir à contredire la règle fixée. Il peut en découvrir de nouvelles qui viennent s’y ajouter selon les besoins du temps mais sans remettre en cause le moindre détail des acquis des siècles. C’est ce qui est défini comme la halakha. Une telle conception du débat renvoie à la mise en garde talmudique : « Tout débat qui est pour le Nom de D.ieu se maintiendra à la fin. Tout débat qui n’est pas pour le Nom de D.ieu disparaîtra à la fin. » Le virulent débat qui se souleva entre les hassidim et leurs opposants au début de l’enseignement du Baal Chem Tov porte la marque de ces notions.
Pour en comprendre les causes, il est nécessaire de se replacer dans le contexte de l’époque. Tout cela se passe au milieu du XVIIIe siècle en Ukraine. Les communautés juives de ces régions sont alors exsangues autant matériellement que spirituellement. Les grands pogroms menés par Khmelnitski ont décimé les communautés pendant deux longues années. Beaucoup ont disparu et le désespoir règne. Par ailleurs, le faux messie Sabbataï Tsvi, dans un tel climat général, a pu convaincre beaucoup d’hommes et de femmes. La déception qui a suivi cet engouement n’en a été que plus grande. Tout cela a anéanti les structures traditionnelles. La connaissance devient fermée au plus grand nombre alors même qu’elle était recherchée par tous dans la période précédente. Pire encore, les érudits qui subsistent estiment qu’ils appartiennent à une sorte de caste qui ne doit pas entrer en contact avec le vulgaire. Ce raidissement entraîne un véritable dessèchement de la pensée et, globalement, de la vie juive.
Le Baal Chem Tov entreprend d’ouvrir des voies renouvelées par la référence à la mystique juive, aux textes de la Kabbale. Cette démarche surprend : la référence à la Kabbale était aussi pratiquée par le faux messie ! De plus, le Baal Chem Tov s’adresse, sans distinction, au plus simple comme à l’érudit le plus subtil. Abattre cette muraille paraît proche de l’hérésie à certains. C’est ainsi que ces derniers lancent une opposition farouche à cette nouvelle école. Ils prennent, du reste, le titre de mitnagdim, « opposants ». Pour eux, c’est tout le judaïsme ancestral qui est ici remis en cause. La réponse des hassidim est celle de l’exemple et de l’enseignement. L’étude continue de tenir sa pleine place mais elle devient ouverte à tous les niveaux de compréhension. Et surtout, la démarche intellectuelle cesse d’être la clé d’entrée unique vers la spiritualité authentique. L’émotion, l’enthousiasme et la chaleur du lien avec D.ieu la complètent. Car, sans eux, la connaissance, même sainte, peut rester morte parce que sans influence sur ce qu’est essentiellement l’homme.
Ce débat dure de très longues années sous une forme très violente. Puis, le temps passant, chacun prend conscience du fait que l’enseignement du Baal Chem Tov n’a pas remis en cause la halakha mais lui a donné une nouvelle dimension enracinée dans la mystique.
Ce débat persiste alors sous une forme plus apaisée. Faut-il un service divin fondé uniquement sur la logique et la raison ou bien la mystique et l’émotion y ont-elles leur place ? Aujourd’hui, c’est là un choix qui ressort de la liberté de chacun.