Serge Klarsfled vous présente comme deux de ses héritiers, au moins sur le volet historique de son travail. Comment l’entendez-vous ?
Lorsque nous avons présenté pour la première fois quelques-unes des notices biographiques que nous avions pu faire, Serge Klarsfeld nous a encouragés en nous disant : « Si j’avais votre âge, c’est ce que je ferais ». Cette rencontre est à l’origine du premier livre que nous avons publié ensemble, en 2010 : Les 473 déportés juifs du Lot-et-Garonne. Histoires individuelles et archives. Il nous a aidés, financés, fait confiance. Serge Klarsfeld a souvent expliqué que, pour faire ce travail, il fallait être heureux dans sa vie, comme il l’est avec Beate, et je crois qu’il nous a pris sous son aile aussi parce que nous sommes un couple heureux à la ville comme aux archives.
Il nous a alors donné une version en tableur du Mémorial des déportés, nous économisant des mois de travail pour recompiler informatiquement ces données. Cela nous a permis d’enrichir ce fichier de tout un tas d’apports. Il nous a également donné ensuite de très nombreux documents de ses archives. C’est à la fois une énorme responsabilité, une chance inouïe et un honneur qui nous oblige. Ce faisant, il contribue aussi grandement à crédibiliser notre travail, nous qui faisons ça dans l’autogestion la plus totale et n’avons pas de poste universitaire. Il nous les a donnés parce qu’il sait que, quoi qu’il arrive, nous n’arrêterons jamais, nous continuerons toujours à chercher, à documenter cette his- toire, nous apprendrons à connaître intimement chacune de ces archives, chacune de ces histoires.
Recevoir les archives des Klarsfeld, ce n’est pas anodin, qu’est-ce que cela implique pour vous ?
Nous avons décidé, avec l’aide d’un ami archiviste, de ne pas bousculer le classement de ces archives telles que nous les avons reçues. Cela signifie tout simplement que ce sont encore les archives des Klarsfeld. Bon nombre de ces archives portent sur la fabrication du Mémorial des déportés depuis la fin des années soixante-dix, c’est-à-dire qu’elles comprennent à la fois tout le matériau que Serge Klarsfeld a collecté auprès des Archives départementales, mais également toutes les correspondances, extrêmement fournies qui ont permis d’ajuster, de corriger, de compléter les informations par lui recueillies. Cette matière unique raconte la fabrication continue du Mémorial pendant plus de trente ans. Ce n’est pas pour rien que Serge est très préoccupé par le lieu de stockage de ces archives et la façon dont nous allons les faire vivre.
Quel travail d’Histoire et de Mémoire reste-t-il à faire ?
Il reste beaucoup d’histoire locale – ce qu’on appelle aussi la micro-histoire. À chaque fois que l’on collecte des documents, on avance et ces avancées peuvent continuer encore un moment. Cela mis à part, on n’apprendra plus grand-chose sur l’histoire de la Shoah qu’on ne sache déjà. Il reste néanmoins à exploiter la quantité faramineuse de recherches individuelles ou locales, universitaires ou non, qui ont été effectuées un peu partout en France. Serge Klarsfeld est une des rares personnes en France qui ait une excellente connaissance de ces travaux dits de « micro-histoire ».
Il peut également y avoir des surprises. L’an dernier, nous avons publié 1945. Les rescapés juifs d’Auschwitz témoignent1, six cents témoignages immédiats, des procès-verbaux, des questionnaires, remplis par des rescapés à leur retour des camps. Ces archives étaient accessibles mais personne ne les avait jamais remarquées ni publiées. Des archives surprenantes et inédites comme celles-ci peuvent encore resurgir. Il faut espérer que cela maintienne un intérêt pour l’histoire de la Shoah qui, du moins au niveau universitaire, a déjà grandement faibli. Enfin, il y a ces nouvelles formes de témoignage, comme le livre génial de Michel Kichka2, le recours à l’histoire ultra-locale avec les classes, et toutes les formes à inventer.
Propos recueillis par Antoine Strobel-Dahan
1. Lire p. 40
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2. Lire l’entretien avec Michel Kichka p. 19
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