Sur la colline aride, au ciel blanc et brûlé,
Une marmotte, radieuse, d’elle bien assurée,
Dans son terrier profond, dans son vaste perclus,
Se plaisait à proclamer toutes ses vertus.
« Moi je suis la marmotte, sereine, juste et prudente,
Rien au monde n’entame ma quiétude ambiante,
Je connais et je sais tout ce qui vaut la peine,
Et je me garde bien jamais d’être incertaine. »
Tandis qu’elle crânait, sûre de son bon droit,
Approchait en sautant et sifflant un chamois
L’œil brillant affûté, dans les boutons de roses,
Errant, curieux, gourmand d’apprendre quelque chose.
« Bonjour, chère marmotte », dit-il dans un sourire,
« N’avez-vous jamais vu naître en vous le désir
De regarder le monde, par-delà vos frontières ?
D’entendre à vos oreilles, quelque voix étrangère ? »
La marmotte se dressa, altière et dédaigneuse,
Pour répondre à l’intrus, suffisante et à l’aise :
« Pourquoi diable devrais-je quitter mon quant-à-moi,
Quand tout ce que je veux savoir est déjà là ? »
La fière marmotte, elle, savait la vérité
Dans son monde, noir et blanc, une ligne était tracée
Il y avait tous ceux, à ses yeux « pauvres gens »
Et il y avait les autres, forcément des méchants.
Le chamois qui voulait comprendre le rongeur,
Interrogea alors, venu du fond du cœur :
« Mais comment pouvez-vous savoir ce qui se joue
Par-delà votre science, qui n’éclaire pas tout ? »
La marmotte, obstinée, bien droite dans ses bottes,
Refusait de céder au monde hors de sa grotte.
Pourtant, le capriné, sans lui chercher chamaille,
Continua de tenter d’entrevoir une faille.
« Dans l’exploration se croise l’altérité,
Et seul l’esprit ouvert fait naître des idées,
Ne craignons point d’affronter nos contradictions,
Car c’est peut-être là que nous rencontrerons. »
Mais la marmotte, plongée en elle et dans son monde,
N’entendait rien entendre que ses propres ondes.
Le chamois qui était averti de leurs drames,
Tenta d’en faire état pour atteindre son âme.
« Votre douleur et votre chagrin sont bien là,
Et comme les miens, ils ne nous constituent pas.
Peut-être en regardant au-delà des souffrances,
Trouverons-nous un chemin vers la connaissance. »
Et ainsi, dans ce monde sourd et incertain,
La marmotte demeura seule dans son coin.
Le chamois s’en alla poursuivre son errance,
Pas moins seul, il portait rien plus que ses souffrances.
La morale est bien floue, et de ces deux apôtres,
Qui a tort dans ce cas, amis, qui a raison ?
Sans doute aucun des deux, seulement l’affliction.
Chacun est reparti sans un morceau de l’autre.
La marmotte était sûre : les autres étaient immondes,
Ses douleurs seules étaient dignes de son combat,
Le chamois avait mal, du moins il savait ça,
Et sa peine ajoutait aux chagrins de ce monde.