J’ai rêvé comme vous,
j’ai rêvé de voyages.Et d’abord de lointains autrefois parcourus. D’Équateur, de Brésil, d’Inde et de Birmanie, et puis d’Afrique australe. J’ai rêvé de volcans, de montagnes sauvages, de forêts, de savanes. J’ai rêvé d’Italie. J’ai rêvé de la mer, proche, au pied de la falaise. Et du bruit des galets, emportés par la vague. J’ai rêvé comme vous. Et je me suis lassé. Le monde était petit, il me semblait partout le même. Abstrait, et vide.
Je me suis donc assis, le dos tourné à la fenêtre, j’ai oublié jusqu’au ciel, et j’ai fermé les yeux. Je me suis enfoncé dans la nuit. J’ai rêvé d’autre chose. Non point d’aller là-bas, mais juste de partir. Et j’ai rêvé de ports, de bateaux et de trains, de quais et de nuages. J’ai entendu le bruit de l’eau et les moteurs grondants. J’ai senti sous mes pieds le sol se dérober. J’allais sans savoir où. J’allais et c’était tout.
Dieu, comme à d’autres, me disait : Va ! Comme d’autres avant moi, j’avais sanglé mon âne, j’avançais dans le noir, ma jambe se blessait au muret du chemin. J’avais faim, j’avais soif, j’avais peur. Sans trop savoir de quoi. Dieu ne m’avait rien dit. J’avais juste rêvé. Une promesse pourtant m’avait bien été faite.
Partir, c’est risquer de mourir. Le sacrifice est au bout. Et il est au départ. On a froid, on a chaud, et puis l’âne s’arrête. On est perdu. Et l’on se sent soudain empoigné par un homme, une femme, ou un ange. On n’ira pas plus loin. C’est peut-être un combat, ou juste une rencontre. C’est un visage enfin, un sourire. Une bénédiction. On s’est touché. On s’est vu. Et le masque est tombé. On a la face qui rayonne.
On repart en boitant. Mais on est deux. On ne sait toujours pas où l’on va. Mais on y va ensemble. On entend dans les buissons le frôlement des bêtes. Et le soleil se lève sur les deux qui se parlent en regardant au loin.