Nouvel album de NoĆ«mi Waysfeld & Blik : āAlfamaā
āOUI JE SUIS TELLE SI JE MāĆLOIGNE DU FADO JE MāĆLOIGNE DE MOIāMĆMEā¦ā
Alfama, second album de NoĆ«mi Waysfeld & Blik qui vient de paraĆ®tre chez AWZ Records, est centrĆ© sur la cĆ©lĆ©bration du fado, cet Ā« hymne national Ā» portugais, de sa mĆ©lancolie, de ses mĆ©lodies dĆ©chirantes. Mais le moins que lāon puisse dire est que cet hommage se dĆ©marque dāemblĆ©e par un parti pris dāune forte originalitĆ© : sāil sāagit bien pour NoĆ«mi de chanter le fado, la toute jeune trentenaire a fait le choix de le faire dans sa Ā« langue Ć©motionnelle Ā», le yiddish. Soit un double dĆ©centrement pour la chanteuse franƧaise et son trio de musiciens aux assises solides (guitare, contrebasse, accordĆ©on) : de la France vers le Portugal, du Portugal vers ce monde dāEurope orientale qui avait dĆ©jĆ empli de sons le premier opus de NoĆ«mi Waysfeld, Kalyma (paru en 2012 chez AWZ). Le format discographique est dāailleurs identique Ć celui expĆ©rimentĆ© pour Kalyma en ce quāil accorde une place centrale aux textes et Ć leurs multiples traductions en anglais, yiddish, franƧaisā¦ Seul le russe dāalors a cĆ©dĆ© ici la place au portugais. Ce jeu dāentre les langues produit dāailleurs un subtil brouillage de leurs signifiants respectifs : le yiddish, arrachĆ© au territoire fantasmatique de lāOrient de lāEurope, se voit introniser lingua franca de la chanson populaire, comme longtemps (et pour encore un certain temps certainement), ce fut le cas pour lāanglais. Quant au portugais, idiome naturel du fado, il se trouve ici rejetĆ© dans une arriĆØrelangue qui vient rappeler lāimage subliminale de lāimmense Amalia Rodrigues (1920ā 1999), la Ā« reine du fado Ā», dont la dĆ©couverte par NoĆ«mi Waysfeld fut le point de dĆ©part de cet album. Seul le titre Ć©ponyme de lāalbum, Ā« Alfama Ā», nous replonge, le temps du couplet introductif, dans la langue portugaise pour ensuite retrouver le yiddish Ā« restituĆ© Ā» par le talent du grand yiddishiste Yitzhok Niborski, dont le parcours biographique, entre lāArgentine natale et la France reflĆØte les tensions gĆ©ographiques et culturelles qui agitent en sousāāmain cette musique de passionā¦ bien que, on lāaura remarquĆ©, en toute rigueur, cāest davantage le tango qui aurait alors pu plus naturellement que le fado servir de point de jonction entre ces diffĆ©rents mondes. Quoi quāil en soit, si cet album apporte la preuve sensible que les accents du yiddish sont, du moins en partie, solubles dans le fado, rĆ©ciproquement, on peut rendre grĆ¢ce Ć la voix de mezzo soprano de NoĆ«mi Waysfeld et Ć ses musiciens ā avec une mention particuliĆØre pour lāaccordĆ©oniste Thierry Bretonnet, toutes harmoniques dehors ā dāavoir rĆ©ussi Ć faire sourdre un balancement incisif rapprochant Lisbonne de Varsovie, avec transit par dāautres Orients, tel celui portĆ© par un oud sur Ā« Amalia Ā». Si on reste de bout en bout dans lāunivers balisĆ© des musiques dites traditionnelles, sans forcĆ©ment une grande audace formelle, lāinvitation au voyage vaut largement la peine. On en ressort certes la gorge moins serrĆ©e quāaprĆØs les traversĆ©es dĆ©solĆ©es des chants de prisonniers qui hantaient Kalyma. Mais par les temps qui courent, un peu de douceur ne peut pas faire de malā¦
NoĆ«mi Waysfeld & Blik, āAlfamaā, AWZ Records
TROIS QUESTIONS Ć NoĆ«mi Waysfeld
Quelle est l'histoire de ce projet, Alfama, de Fado en Yiddish ?
Amatrice de fado, je suis bouleversĆ©e par cette musique et cāest venu un jour comme une Ć©vidence. Mais je ne suis pas une fadista. Jāai besoin de tordre les rĆ©pertoires que jāai envie de chanter, et de les faire rencontrer dāautres rĆ©pertoires. Il fallait, pour moi, que Ƨa passe par le yiddish. Par mes contacts avec mon professeur de yiddish qui a traduit les chansons, ou avec lāethnomusicologue HervĆ© Roten, jāai Ć©tĆ© confortĆ©e dans cette sensation de proximitĆ© des gammes, du chant. Le fado est un tĆ©moignage vital des chanteurs.
Les textes du Fado sont des textes de femmes qui disent l'absence, la perte, l'impossible, des chants d'exil et ocƩaniques, est-ce que Ƨa, Ƨa fonctionne en Yiddish ?
Le premier album, Kalyma, Ć©tait trĆØs masculin : jāinterprĆ©tais des hommes, des prisonniers de SibĆ©rie. Et cet album est comme la rĆ©ponse des femmes, de lāautre cĆ“tĆ© de la mer. Jāavais envie de parler des femmes, de faire parler les femmes qui sont assez malmenĆ©es dans les chansons du premier album. Cet album, aussi, sāest construit pendant la maladie et autour du dĆ©cĆØs de ma sÅur, ChloĆ©, qui māa appris Ć chanter et Ć©tait de tous mes projets. Jāavais besoin, pour cette raison Ć©galement, de parler des femmes, des femmes abandonnĆ©es.
Quant au cĆ“tĆ© ocĆ©anique du fado, il fait Ć©cho pour moi Ć la steppe, Ć ces paysages Ć nāen plus finir. Ce disque est le deuxiĆØme volet dāun triptyque qui sāachĆØvera par un album qui traverse lāAtlantique, avec lāimmigration russe vers les ĆtatsāāUnis. Les trois albums se rĆ©unissent autour de lāexil en gĆ©nĆ©ral.
Le Fado, c'est aussi une mise en scĆØne, une gestuelle, qui le rend plus adĆ©quat dans les tavernes que sur les CD. PrĆ©voyez-vous aussi de vous approprier cette scĆ©nographie ?
Je me suis complĆØtement Ć©loignĆ©e de tout Ƨa : je ne prĆ©tends absolument pas faire du fado, quoi que je me retrouve dans la sobriĆ©tĆ© dramaturgique du fado. Mais je nāai pas choisi de changer mes instruments, māaccompagnent toujours une contrebasse, un accordĆ©on, une guitare oud. Nous jouons ces chansons comme nous sommes. Et puis il sāagissait pour moi dāoffrir Ć cette langue europĆ©enne quāest le yiddish un peu de la culture portugaise.
Sortie de lāalbum le 1er fĆ©vrier 2015 Ć lāAlhambra Ć Paris pour le Festival Au Fil des Voix.