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ĂȘtre rabbin et homosexuel en France : tĂ©moignage

Si, aux États-Unis, on trouve des rabbins assumant ouvertement leur homosexualitĂ© mĂȘme hors du judaĂŻsme progressiste, il n’y a en France qu’un seul rabbin ouvertement homosexuel. Sans porter son intimitĂ© en Ă©tendard, il refuse pour autant de la taire. Pour Tenou’a, il livre son tĂ©moignage.

Publié le 16 juin 2015

3 min de lecture

IL N’Y A PAS DE “GAY POWER”, NI DE “PROTOCOLES DES SAGES D’URANUS” POUR DOMINER LE MONDE

En 2014, le Leo Baeck College, un collĂšge rabbinique libĂ©ral qui se trouve Ă  Londres, a cĂ©lĂ©brĂ© le 25e anniversaire de l’ordination des deux premiĂšres femmes rabbins lesbiennes : le Rabbin Elizabeth Tikva Sara, et le Rabbin Sheila ShulmanŚ–ŚŽŚœ .J’ai eu l’honneur d’étudier dans ce collĂšge, hĂ©ritier de la Hochschule fĂŒr die Wissenschaft des Judentums, la Haute École pour l’Étude de la Science du JudaĂŻsme, Ă©tablie par le Rabbin Abraham Geiger en 1872, et fermĂ©e par les nazis en 1942. À l’occasion de cet anniversaire, il a Ă©tĂ© soulignĂ© que, depuis 1989, vingt rabbins gays et lesbiennes ont Ă©tĂ© ordonnĂ©s. Je suis pour ma part le vingtiĂšme dans cette lignĂ©e. Le Rabbin Sheila Shulman a Ă©tĂ© mon amie, ma tutrice, et m’a accompagnĂ© durant mes Ă©tudes. Elle m’a aussi transmis l’ordination rabbinique, la semikhah, mais nous a malheureusement quittĂ©s en octobre dernier. 

Je suis bien conscient que lorsqu’on reprĂ©sente une situation nouvelle, en l’occurrence, celle d’ĂȘtre le premier rabbin ouvertement gay en France, il est nĂ©cessaire d’ĂȘtre prudent pour ne pas provoquer de rĂ©action trop violente au changement que cela implique, au sein de nos communautĂ©s, mais aussi envers la sociĂ©tĂ© plus large. Il est aussi essentiel d’ĂȘtre clair sur qui on est, d’oĂč on vient, et ce que l’on se propose de faire. Je n’ai jamais Ă©tĂ© militant radical par nature, mais je suis conscient que cette nouvelle donne dans notre pays entraĂźnera de nĂ©cessaires prises de position. 

ALLIANCE DES CONSERVATISMES 

J’ai choisi pour ma part de faire entendre ma voix, de façon trĂšs modeste, Ă  l’occasion des dĂ©bats houleux sur le « mariage pour tous Â» en 2012. Certes, je m’attendais Ă  des oppositions importantes Ă  cette loi, mais la violence de certains propos m’a surpris. Je ne m’attendais pas Ă  ce que les gays et les lesbiennes soient comparĂ©s Ă  des animaux, ni Ă  des pĂ©dophiles, car dans mon esprit, ces arguments Ă©taient indignes dans le dĂ©bat public. J’ai aussi Ă©tĂ© surpris par cette alliance des conservatismes, politiques, religieux de tous les bords, ceux‐​lĂ  mĂȘmes qui en rĂšgle gĂ©nĂ©rale ont du mal Ă  cohabiter. J’ai aussi Ă©tĂ© peinĂ© par la quasi‐​absence de voix progressistes dans le monde religieux, un peu comme si la voix des traditionalistes avait submergĂ© tout bon sens.

J’ai alors dĂ©cidĂ©, en septembre 2012, de rĂ©pondre Ă  la plus haute autoritĂ© religieuse catholique de la ville oĂč j’exerçais par une lettre ouverte Ă©crite en mon nom propre dans la presse locale, mais sans coordination avec ma communautĂ©, car je n’étais pas encore rabbin ordonnĂ©. Cette initiative privĂ©e a provoquĂ© une certaine Ă©motion au sein de ma communautĂ©, en partie parce que j’avais dĂ©cidĂ© tout seul de cette lettre et de sa teneur. J’ai alors compris qu’il y avait derriĂšre la simple question LGBT des problĂ©matiques plus profondes, qui vont bien au‐​delĂ  de la simple thĂ©ologie.

À mon sens, le problĂšme n’est pas thĂ©ologique, mais humain, si tant est que l’on puisse sĂ©parer les deux. Il y a tant de lois dans la Torah Ă©crite qui ne sont pas applicables Ă  cause de circonstances historiques et sociales, que la lecture de ces deux versets du livre du LĂ©vitique (18:22 et 20:13), interprĂ©tĂ©s comme une interdiction de l’homosexualitĂ© masculine, rĂ©pond Ă  une logique autre qu’un interdit biblique. Une sociĂ©tĂ© masculine qui se sent menacĂ©e ? La peur de ce qui est diffĂ©rent ? La jubilation d’avoir trouvĂ© un ennemi commun ?

UNE MINORITÉ QUI A TOUJOURS EXISTÉ

Le dĂ©fi Ă  relever est passionnant. Il s’agit de dĂ©montrer que le fait homosexuel traverse l’histoire humaine, qu’il ne remet en rien en cause les fondements de la sociĂ©tĂ©, que personne ne sera « converti Â» Ă  l’homosexualitĂ© si l’on en parle, que l’amour entre personnes du mĂȘme sexe peut ĂȘtre aussi fort et pur qu’entre personnes de sexes opposĂ©s.

Il n’y a pas de gay power, ni de Protocoles des Sages d’Uranus pour dominer le monde. Il y a juste une minoritĂ© qui a toujours existĂ©, qui est devenue visible ; elle aspire simplement aux mĂȘmes droits et aux mĂȘmes devoirs que les autres.

Pour moi, ĂȘtre rabbin gay signifie tĂ©moigner que l’on peut mener une vie privĂ©e et publique avec les mĂȘmes joies et les mĂȘmes difficultĂ©s que tous les ĂȘtres humains. L’orientation sexuelle n’est qu’une partie de la dĂ©finition de l’individu, et le, ou la rĂ©duire Ă  cela, est une insulte Ă  l’étincelle divine qui est prĂ©sente en chacun de nous. Comme le disait le poĂšte, ce ne sont pas les mots d’amour qui comptent, mais les gestes d’amour. L’ĂȘtre humain est jugĂ© sur ce qu’il ou elle fait, non pas sur ce qu’il ou elle est. Si mon rabbinat pouvait permettre aux gays, lesbiennes, et transgenres de se sentir accueillis au sein de la communautĂ© juive, j’aurais le sentiment d’avoir accompli quelque chose. Et si mon rabbinat permettait au reste de la communautĂ© de changer de regard sur cette minoritĂ©, je serais alors comblĂ©.