
M

ThĂŠmatiques

Newsletter

Chaque semaine, recevez les dernières actualitÊs de Tenoua

À propos

Qui sommes-nous

L'ĂŠquipe

Les partenaires

Contact

Archives

Informations

Mentions lĂŠgales

Yizkor : kaddish et souvenir
PubliĂŠ le 25 Septembre 2016

2 min de lecture

Š Yuval Yairi, ÂŤ Untitled Âť from Forevermore series – yuvalyairi.com

Je me souviens des Yizkor de ma jeunesse, quand j’accompagnais ma mère à la synagogue de la rue de la Victoire, où comme sa mère et sa grand‐​mère avant elle, elle occupait la place familiale, en haut, parmi les femmes.

Je me souviens que je tentais de distinguer mon père en contrebas, ce qui n’était pas facile à l’enfant que j’étais, dont la vue plongeait sur les dos et les tallit des hommes.

Je me souviens que c’était le moment oĂš je descendais dans la rue, respirer un peu d’air de ce dĂŠbut d’automne. Je n’étais pas fâchĂŠe de la coupure dans le si long après‐​midi de Kippour, oĂš les enfants n’assistent pas Ă  ce moment de mĂŠditation intense ÂŤ pour ceux que la mort a frappĂŠs Âť, comme disent les paroles qui prĂŠcèdent le Kaddish.

Je me souviens, plus tard, des premiers Yizkor de mes enfants, à l’ULIF que nous avions rejointe, ma famille et moi, et qui à leur tour, sortaient retrouver leurs copains, nous laissant ma mère et moi nous recueillir profondément.

Entre‐​temps, mon père ĂŠtait mort, et j’étais fille unique. Je n’étais pas – et ne suis toujours pas – pratiquante. Je suis un peu plus qu’une juive‐​qui‐​vient‐​à‐​la‐​syna‐​le‐​jour‐​de‐​Kippour, mais Ă  peine. Je suis, en revanche, pĂŠnĂŠtrĂŠe de conscience et d’identitĂŠ juives. Sans doute davantage que la gĂŠnĂŠration de mes parents, qui appartenaient Ă  ces AshkĂŠnazes français, assimilĂŠs depuis longtemps. La Guerre des Six Jours et l’immense frayeur qu’elle dĂŠclencha, les annĂŠes de nĂŠgationnisme et de montĂŠe des extrĂŞmes, la connaissance devenue plus grande de la Shoah et des complicitĂŠs d’un État scĂŠlĂŠrat dans l’arrestation et la dĂŠportation des Juifs, ĂŠtaient passĂŠes par lĂ . Sans compter un zeste de rĂŠvolution fĂŠministe, qui me faisait trouver injuste et scandaleux que seuls les fils aient le droit/​le devoir, dans le judaĂŻsme traditionnel, de dire Kaddish devant la teba. Je dĂŠcidai donc d’aller Ă  la synagogue, pendant un an le soir, dire Kaddish et remplir ce ÂŤ devoir de mĂŠmoire Âť, comme on ne disait pas alors, en souvenir de mon père.

Que les plus religieux me pardonnent : ce n’était pas pour moi un acte de foi, celui de glorifier Dieu mĂŞme dans l’affliction, mais la façon que j’avais, au moins une fois par jour, de me raccrocher Ă  des images, qui, tous ceux qui ont perdu un ĂŞtre cher le diront, se rarĂŠfient de plus en plus avec le temps. Il faut s’appliquer pour que vienne le souvenir, et, ĂŠvoquer un proche disparu n’est pas que ÂŤ chose douce Âť, comme on le dit ce jour‐​lĂ  pendant la lecture du Livre de Jonas, mais est aussi effort. Les jours passent, le temps coule, la vie court, et s’arrĂŞter, un moment, pour penser – ou pour prier, comme on voudra – est peut‐​être le dernier hommage qu’on peut rendre Ă  la figure aimĂŠe.

Depuis, ma mère a disparu à son tour. Je suis seule à ma place avant que me rejoignent pour Neïla mes enfants et petits‐​enfants, qui se sont absentés, comme le veut la tradition. Pourtant, Yizkor, et ses chants déchirants que conclue le Kaddish, n’ont pas pour moi l’amertume du chagrin, mais la douceur très vivante d’une double évocation.