Cāest āest avec le cÅur empli dāamour Ć©videmment que je viens vers vous, mes trĆØs chers FrĆØres et SÅurs, Ć©noncer malgrĆ© tout quelques rudes vĆ©ritĆ©s au sujet du succĆØs interplanĆ©taire de mon cousin dans lāentreprise baptismale dont je suis lāunique et seul instigateur, dāoĆ¹ mon nom JeanāāBaptiste, alias JeanāāleāāBaptiseur, Ć ne pas confondre avec JeanālāapĆ“tre, mon homonyme. Vous devez connaĆ®tre mon cousin de nom (JĆ©sus) : il a marquĆ© les esprits par sa crucifixion. Nul nāa en revanche fait tout un plat du fait quāon me coupe la tĆŖte, deux ou trois ans plus tĆ“t, Ć la demande de la fille dāHĆ©rodiade, dite SalomĆ©, alors quāon lāa apportĆ©e encore chaude au festin du roi HĆ©rode. Je suis mort comme jāai vĆ©cu : modestement, sans attirer lāattention sur ma personne. Mais quand Tenouāa māa demandĆ© de raviver des souvenirs vieux de deux mille ans, une forme dāamertume māa Ć©treint : on me demande qui je suis, alors que JĆ©sus, cāest moi qui lāai baptisĆ©1 ! Et avant lui, jāavais baptisĆ© des milliers dāhabitants de JĆ©rusalem et alentours venant Ć moi au bord du Jourdain pour se voir lavĆ©s de leurs pĆ©chĆ©s par immersion ! Jusquāen Ćgypte, jāĆ©tais connu ! Cette idĆ©e māĆ©tait tout droit venue de mon enfance, suite Ć une forme de traumatisme infantile car mon pĆØre Zacharie, prĆŖtre au Temple, sacrifiait des animaux pour purifier les hommes de leurs crimes et dĆ©lits : quāau sang, je prĆ©fĆØre lāeau, je ne vois pas qui pourrait māen jeter la pierre !
Je suis nĆ© peu avant JĆ©sus, je ne sais plus trop lāannĆ©e exacte, tandis que lāon a fait de celle de sa naissance le point de dĆ©part du calendrier civil international. Le trĆØs bel archange Gabriel est venu annoncer Ć mon pĆØre au Temple2 que jāallais naĆ®tre de ses Åuvres alors quāil nāĆ©tait plus tout jeune et ma Maman Elisabeth pas davantage. Mon pĆØre en est restĆ© muet ! Il nāa mĆŖme pas pu rĆ©pĆ©ter le message3 qui lāavait laissĆ© aussi pantelant de joie, et nāa recouvrĆ© la parole que pour dire Ć ma naissance le prĆ©nom quāil voulait me donner : āJeanā. CāĆ©tait aussi le prĆ©nom que voulait me donner ma mĆØre, cāest un signe : mes parents sāaimaient. Je le souligne parce que le mĆŖme archange Gabriel a annoncĆ© la naissance de JĆ©sus Ć Marie, la sÅur de ma mĆØre (vous devez la connaĆ®tre, au moins de vue, elle porte toujours un voile bleu sur les photos) alors quāelle Ć©tait vierge et ne connaissait aucun homme, pas mĆŖme Joseph. Du coup, je me sens moi lāenfant de lāamour āqui enlĆØve le pĆ©chĆ© du mondeā, et pourtant, cāest mon cousin le Messie, un comble !
Jusquāen lāan 29, oĆ¹ je suis devenu prophĆØte en mon pays avec cette petite industrie de baptĆŖmes, jāai vĆ©cu tranquillement Ć la faƧon des EssĆ©niens, stricto tel quāĆlie le messie annoncĆ© par IsaĆÆe4 : je clamais dans le dĆ©sert (N.D.L.R. pas loin dāEin Kerem), couvert dāun vĆŖtement en poils de chameau, un pagne autour des reins, me nourrissant de sauterelles et de miel sauvage5. La vĆ©ritĆ© ? Jāadorais ! Cāest lĆ et dans cette tenue que me reprĆ©sentent LĆ©onard de Vinci, RaphaĆ«l (qui, sympa, māa laissĆ© mes phylactĆØres) ou Caravage, beau gosse une main tendue vers le ciel et lāautre tenant le roseau que je ne quittais pas Ć lāĆ©poque, terminĆ© dāune petite boucle en forme de croix chrĆ©tienne, petite licence artistique parfaitement anachronique puisque de ChrĆ©tiens il nāy avait pas avant le christianisme, Ć©videmment. Quelle sauterelle māa piquĆ©e pour que jāabandonne cette vie ? Je ne sais. Le sentiment dāun profond Ć©goĆÆsme, de manquer Ć ma mission prophĆ©tique, de trahir la parole donnĆ©e Ć mes parents ? Jāavais de bons amis, Simon, AndrĆ©, Jacques, Jean, qui faisaient les VRP avec une force de conviction incroyable, au point que JĆ©sus himself a dĆ©barquĆ© un jour de sa GalilĆ©e natale au bord du Jourdain pour se faire baptiser. PremiĆØre rĆ©action dāĆ©lĆ©mentaire bienāāsĆ©ance entre Messies comme entre cousins, jāai commencĆ© par dire āCāest moi qui ai besoin dāĆŖtre baptisĆ© par toi6 Ā« . Que nenni, il a rĆ©pondu en gros. LĆ āādessus, JĆ©sus se baigne, comme tous les autres avant lui, et quāest-ce que je vois ? Les Cieux sāouvrent ! Une colombe en descend et sāattarde sur lui, cāĆ©tait lāEsprit saint ! Et la Voix dit : āCeluiāāci est mon fils, le Bien AimĆ© qui a toute ma faveur7 ā. Que te dire ? Sinon quāavec le paquet de SaducĆ©ens et Pharisiens que jāavais baptisĆ©s avant, je lāai trouvĆ© un peu raide, lāEsprit saint ! Et le pire, cāest que je ne peux en vouloir quāĆ moiāāmĆŖme, car il māĆ©tait arrivĆ© de dire, prophĆØte comme je suis : āIl vient aprĆØs moi celui qui est plus fort que moi et je ne mĆ©rite pas de me courber pour dĆ©lier ses chaussures (N.D.L.R. cāest une expression de lāĆ©poque). Moi je vous ai baptisĆ©s avec lāeau mais lui vous baptisera avec lāEsprit saint8 ā. Un jour, jāai aussi pĆ©chĆ© par modestie, en disant que non, je nāĆ©tais pas Ćlie9 . Quāest-ce que vous voulez faire aprĆØs une aventure pareille, Ć part mourir, et cāest dāailleurs, par la grĆ¢ce de Dieu si lāon peut dire, ce qui māest arrivĆ©, complĆØtement par un autre biais.
āCOUSIN, MERCI !ā
Les destins de JĆ©sus et le mien ont commencĆ© de sāĆ©loigner dĆØs aprĆØs cet Ć©pisode du baptĆŖme, non sans que JĆ©sus ait embarquĆ© tous mes amis susnommĆ©s, quāil appellerait bientĆ“t āsesā apĆ“tres, complĆØtement saisis par cette irruption de Colombe ; les gens sont trĆØs impressionnables. LāEsprit saint a tout de suite Ć©prouvĆ© JĆ©sus en lāemmenant quarante jours et quarante nuits dans le dĆ©sert pour le soumettre aux tentations du dĆ©mon, quāil est mieux pour tout le monde que je ne dĆ©taille pas car mĆŖme les Ćvangiles ont prĆ©fĆ©rĆ© sāen tenir aux gracieuses ellipses. Et tandis que jāĆ©tais moi mis aux fers par le roi HĆ©rode, qui vivait dans la hantise de ma popularitĆ© galopante, JĆ©sus a filĆ© en GalilĆ©e pour reprendre Ć son compte lāentreprise baptismale. Ainsi, un jour que certains de mes disciples sont passĆ©s devant JĆ©sus en train de manger et boire entre amis frais baignĆ©s, tandis que jāexigeais moi jeĆ»ne et sobriĆ©tĆ©, ils ont demandĆ© langue pendante en quel honneur le rĆ©gime diĆ©tĆ©tique en vigueur chez lui Ć©tait Ć ce point diffĆ©rent du mien. JĆ©sus a lĆ¢chĆ© lāune de ses lĆ©gendaires phrases lapidaires : āVous aurez bien le temps dāĆŖtre triste quand le moment viendraā10. Dāici ma mort, la bamboula, et aprĆØs moi, le dĆ©luge ! Un fin politique. Dans lāimmĆ©diate foulĆ©e, il sāest illustrĆ© par un tas de miracles aussi : faire remarcher les paralytiques, ressusciter une petite fille, guĆ©rir la belleāāmĆØre de Pierre, rĆ©ussir une guĆ©rison collective de psychotiques11, toutes nouvelles dont je me rĆ©jouis, mais quāil a tenu Ć me faire porter jusquāĆ ma prison, avec ce message : āEn vĆ©ritĆ©, je vous le dis, parmi ceux qui sont nĆ©s des femmes, il ne sāen est pas levĆ© de plus grand que JeanāāBaptisteā12. Ća me libĆ©rait dāun poids, mais mental seulement car pour le reste, jāĆ©tais toujours au pain sec en prison. JĆ©sus dĆ©cida toutefois dāune retraite en signe de la plus grande affliction pour mon sort, en compagnie dāun tas de gens car il faisait pĆ©nitence en groupe, cāest une faƧon de voir les choses, mais ayant sousāāestimĆ© le nombre de ses amis, il a ādĆ»ā multiplier les pains et les poissons13 pour nourrir tout le monde. Ć miracle (de plus). Alors que dire de tant dāempathie ? Sinon : āCousin, merci !ā
ET LA VOIX DIT : āCELUIāāCI EST MON FILS, LE BIEN AIMĆ QUI A TOUTE MA FAVEURā
Je suis donc mort parce quāHĆ©rode voulait faire plaisir Ć la fille dāHĆ©rodiade, qui a demandĆ© Ć sa mĆØre ce qui lui ferait plaisir Ć elle : la tĆŖte de JeanāāBaptiste, a rĆ©pondu HĆ©rodiade, qui me dĆ©testait autant que son mari parce que jāavais critiquĆ© leur mariage (elle avait Ć©tĆ© la femme de son demiāāfrĆØre, je nāestime pas Ƨa netāānet du point de vue halakhique). Ć quoi Ƨa tient, la vie de Messieā¦ Ma ādĆ©collationā14 avec ma tĆŖte posĆ©e sur un plateau a Ć©tĆ© immortalisĆ©e, si lāon peut dire, par Caravage en 1607. De moi, on a au fond retenu en images le pire de ma vie, ce banquet sanguinaire, et le meilleur, mon quotidien de mĆ©tĆØque, de juif errant, de pĆ¢tre grec, avec ma peau de bĆŖte et mon roseau, avant ma banqueroute BaptĆŖmes et Cie. Une postĆ©ritĆ© māa toutefois Ć©tĆ© assurĆ©e par quelques milliers de fidĆØles, bĆ©nis soientāāils, les MandĆ©ens, qui ont quittĆ© la JudĆ©e aprĆØs la destruction de JĆ©rusalem en 135, pour sāĆ©tablir jusquāencore rĆ©cemment entre le Tigre et lāEuphrate, aujourdāhui vers lāIrak et un peu en Iran. Ce mouvement baptiste tend Ć dĆ©croĆ®tre, mais enfin, cāest tout de mĆŖme un hommage qui fait chaud au cÅur. Me reste une autre satisfaction toute personnelle : je suis la seule personne de tout le calendrier du cousin dont on fĆŖte Ć la fois la date de conception, le 23 septembre (ah, lāamour !), la date de naissance, le 24 juin15, et la date de dĆ©cĆØs, le 29 aoĆ»t. Pourtant, que lāon songe Ć cette fĆŖte dĆ©crĆ©tĆ©e le jour oĆ¹ les jours raccourcissent quand on fĆŖte celle de JĆ©sus le jour oĆ¹ ils rallongent, avec un tapage assourdissant, et lāon pourrait y voir une injustice supplĆ©mentaireā¦ Alors, amer, JeanāāBaptiste, allezāāvous dire ? Vous pourriez le croire. Mais jāai juste tenu Ć dire la vĆ©ritĆ©, pour une fois quāon me ressuscite. Car cāest tranquille comme Baptiste (moiāāmĆŖme) que je retourne au presque oubli oĆ¹ je vis en paix, et le plus heureux des hommes morts, hors cette brĆØve sortie de ma torpeur. La raison de mon bonheur ? Elle est simple : jamais, Ć aucune Ć©poque, un ĆŖtre de cette terre nāa Ć©tĆ© tuĆ© en mon nom. Ken Yehi Ratson [Ainsi soitāāil], je vous aime !
JeanāāBaptiste (tout court. Jāai Ć©tĆ© sanctifiĆ© sur le tard et āsaintā fait un peu pompeux)
Propos recueillis par mon ghostwriter, Catherine Siguret, auteur de livres et piĆØces de thĆ©Ć¢tre, scĆ©nariste. Tous les faits ici Ć©noncĆ©s, biographiques ou historiques, sont rĆ©els. On se reportera aux Ćvangiles de Luc, Mathieu, Jean et Marc, ainsi quāaux Actes des ApĆ“tres.
1. Marc, 1, 9 ; Mathieu 3, 13.
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2. Luc, 1, 36.
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3. Luc 1, 15 Ć 22.
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4. IsaĆÆe, 40, 3.
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5. IsaĆÆe, rappelĆ© par Mathieu 3.2.
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6. Mathieu 3, 13.
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7. Mathieu 3, 17.
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8. Marc 1, 7.
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9. Jean, 19, 34.
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10. Mathieu 9,14.
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11. Mathieu 8 Ć 9.
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12. Mathieu, 11, 11.
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13. Mathieu 14, 13.
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14. La DĆ©collation de saint Jean Baptiste.
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15. Cāest bien MA fĆŖte, le 24 juin, et non celle de Jean
lāapĆ“tre Ć©vangĆ©liste, qui est le 29 dĆ©cembre.
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