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MONOLOGUE DE JEAN‐BAPTISTE

Avec humour et sĆ©rieux, l’écrivain Catherine Siguret s’est plongĆ©e dans les Ɖvangiles pour imaginer ce que pourrait ĆŖtre la parole de Jean le Baptiste, ce cohen observant qui devint l’un des plus grands agitateurs de son temps et baptisa JĆ©sus avant de payer ses choix de sa vie.

PubliƩ le 18 dƩcembre 2016

7 min de lecture

C’est ’est avec le cœur empli d’amour Ć©videmment que je viens vers vous, mes trĆØs chers FrĆØres et Sœurs, Ć©noncer malgrĆ© tout quelques rudes vĆ©ritĆ©s au sujet du succĆØs interplanĆ©taire de mon cousin dans l’entreprise baptismale dont je suis l’unique et seul instigateur, d’où mon nom Jean‐​Baptiste, alias Jean‐​le‐​Baptiseur, Ć  ne pas confondre avec Jean‑l’apĆ“tre, mon homonyme. Vous devez connaĆ®tre mon cousin de nom (JĆ©sus) : il a marquĆ© les esprits par sa crucifixion. Nul n’a en revanche fait tout un plat du fait qu’on me coupe la tĆŖte, deux ou trois ans plus tĆ“t, Ć  la demande de la fille d’HĆ©rodiade, dite SalomĆ©, alors qu’on l’a apportĆ©e encore chaude au festin du roi HĆ©rode. Je suis mort comme j’ai vĆ©cu : modestement, sans attirer l’attention sur ma personne. Mais quand Tenou’a m’a demandĆ© de raviver des souvenirs vieux de deux mille ans, une forme d’amertume m’a Ć©treint : on me demande qui je suis, alors que JĆ©sus, c’est moi qui l’ai baptisĆ©1 ! Et avant lui, j’avais baptisĆ© des milliers d’habitants de JĆ©rusalem et alentours venant Ć  moi au bord du Jourdain pour se voir lavĆ©s de leurs pĆ©chĆ©s par immersion ! Jusqu’en Ɖgypte, j’étais connu ! Cette idĆ©e m’était tout droit venue de mon enfance, suite Ć  une forme de traumatisme infantile car mon pĆØre Zacharie, prĆŖtre au Temple, sacrifiait des animaux pour purifier les hommes de leurs crimes et dĆ©lits : qu’au sang, je prĆ©fĆØre l’eau, je ne vois pas qui pourrait m’en jeter la pierre !
Je suis nĆ© peu avant JĆ©sus, je ne sais plus trop l’annĆ©e exacte, tandis que l’on a fait de celle de sa naissance le point de dĆ©part du calendrier civil international. Le trĆØs bel archange Gabriel est venu annoncer Ć  mon pĆØre au Temple2 que j’allais naĆ®tre de ses œuvres alors qu’il n’était plus tout jeune et ma Maman Elisabeth pas davantage. Mon pĆØre en est restĆ© muet ! Il n’a mĆŖme pas pu rĆ©pĆ©ter le message3 qui l’avait laissĆ© aussi pantelant de joie, et n’a recouvrĆ© la parole que pour dire Ć  ma naissance le prĆ©nom qu’il voulait me donner : ā€œJeanā€. C’était aussi le prĆ©nom que voulait me donner ma mĆØre, c’est un signe : mes parents s’aimaient. Je le souligne parce que le mĆŖme archange Gabriel a annoncĆ© la naissance de JĆ©sus Ć  Marie, la sœur de ma mĆØre (vous devez la connaĆ®tre, au moins de vue, elle porte toujours un voile bleu sur les photos) alors qu’elle Ć©tait vierge et ne connaissait aucun homme, pas mĆŖme Joseph. Du coup, je me sens moi l’enfant de l’amour ā€œqui enlĆØve le pĆ©chĆ© du mondeā€, et pourtant, c’est mon cousin le Messie, un comble !
Jusqu’en l’an 29, où je suis devenu prophĆØte en mon pays avec cette petite industrie de baptĆŖmes, j’ai vĆ©cu tranquillement Ć  la faƧon des EssĆ©niens, stricto tel qu’Élie le messie annoncĆ© par IsaĆÆe4 : je clamais dans le dĆ©sert (N.D.L.R. pas loin d’Ein Kerem), couvert d’un vĆŖtement en poils de chameau, un pagne autour des reins, me nourrissant de sauterelles et de miel sauvage5. La vĆ©ritĆ© ? J’adorais ! C’est lĆ  et dans cette tenue que me reprĆ©sentent LĆ©onard de Vinci, RaphaĆ«l (qui, sympa, m’a laissĆ© mes phylactĆØres) ou Caravage, beau gosse une main tendue vers le ciel et l’autre tenant le roseau que je ne quittais pas Ć  l’époque, terminĆ© d’une petite boucle en forme de croix chrĆ©tienne, petite licence artistique parfaitement anachronique puisque de ChrĆ©tiens il n’y avait pas avant le christianisme, Ć©videmment. Quelle sauterelle m’a piquĆ©e pour que j’abandonne cette vie ? Je ne sais. Le sentiment d’un profond Ć©goĆÆsme, de manquer Ć  ma mission prophĆ©tique, de trahir la parole donnĆ©e Ć  mes parents ? J’avais de bons amis, Simon, AndrĆ©, Jacques, Jean, qui faisaient les VRP avec une force de conviction incroyable, au point que JĆ©sus himself a dĆ©barquĆ© un jour de sa GalilĆ©e natale au bord du Jourdain pour se faire baptiser. PremiĆØre rĆ©action d’élĆ©mentaire bien‐​sĆ©ance entre Messies comme entre cousins, j’ai commencĆ© par dire ā€œC’est moi qui ai besoin d’être baptisĆ© par toi6 Ā« . Que nenni, il a rĆ©pondu en gros. Là‐​dessus, JĆ©sus se baigne, comme tous les autres avant lui, et qu’est-ce que je vois ? Les Cieux s’ouvrent ! Une colombe en descend et s’attarde sur lui, c’était l’Esprit saint ! Et la Voix dit : ā€œCelui‐​ci est mon fils, le Bien AimĆ© qui a toute ma faveur7 ā€. Que te dire ? Sinon qu’avec le paquet de SaducĆ©ens et Pharisiens que j’avais baptisĆ©s avant, je l’ai trouvĆ© un peu raide, l’Esprit saint ! Et le pire, c’est que je ne peux en vouloir qu’à moi‐​mĆŖme, car il m’était arrivĆ© de dire, prophĆØte comme je suis : ā€œIl vient aprĆØs moi celui qui est plus fort que moi et je ne mĆ©rite pas de me courber pour dĆ©lier ses chaussures (N.D.L.R. c’est une expression de l’époque). Moi je vous ai baptisĆ©s avec l’eau mais lui vous baptisera avec l’Esprit saint8 ā€. Un jour, j’ai aussi pĆ©chĆ© par modestie, en disant que non, je n’étais pas Ɖlie9 . Qu’est-ce que vous voulez faire aprĆØs une aventure pareille, Ć  part mourir, et c’est d’ailleurs, par la grĆ¢ce de Dieu si l’on peut dire, ce qui m’est arrivĆ©, complĆØtement par un autre biais.

ā€œCOUSIN, MERCI !ā€

Les destins de JĆ©sus et le mien ont commencĆ© de s’éloigner dĆØs aprĆØs cet Ć©pisode du baptĆŖme, non sans que JĆ©sus ait embarquĆ© tous mes amis susnommĆ©s, qu’il appellerait bientĆ“t ā€œsesā€ apĆ“tres, complĆØtement saisis par cette irruption de Colombe ; les gens sont trĆØs impressionnables. L’Esprit saint a tout de suite Ć©prouvĆ© JĆ©sus en l’emmenant quarante jours et quarante nuits dans le dĆ©sert pour le soumettre aux tentations du dĆ©mon, qu’il est mieux pour tout le monde que je ne dĆ©taille pas car mĆŖme les Ɖvangiles ont prĆ©fĆ©rĆ© s’en tenir aux gracieuses ellipses. Et tandis que j’étais moi mis aux fers par le roi HĆ©rode, qui vivait dans la hantise de ma popularitĆ© galopante, JĆ©sus a filĆ© en GalilĆ©e pour reprendre Ć  son compte l’entreprise baptismale. Ainsi, un jour que certains de mes disciples sont passĆ©s devant JĆ©sus en train de manger et boire entre amis frais baignĆ©s, tandis que j’exigeais moi jeĆ»ne et sobriĆ©tĆ©, ils ont demandĆ© langue pendante en quel honneur le rĆ©gime diĆ©tĆ©tique en vigueur chez lui Ć©tait Ć  ce point diffĆ©rent du mien. JĆ©sus a lĆ¢chĆ© l’une de ses lĆ©gendaires phrases lapidaires : ā€œVous aurez bien le temps d’être triste quand le moment viendraā€10. D’ici ma mort, la bamboula, et aprĆØs moi, le dĆ©luge ! Un fin politique. Dans l’immĆ©diate foulĆ©e, il s’est illustrĆ© par un tas de miracles aussi : faire remarcher les paralytiques, ressusciter une petite fille, guĆ©rir la belle‐​mĆØre de Pierre, rĆ©ussir une guĆ©rison collective de psychotiques11, toutes nouvelles dont je me rĆ©jouis, mais qu’il a tenu Ć  me faire porter jusqu’à ma prison, avec ce message : ā€œEn vĆ©ritĆ©, je vous le dis, parmi ceux qui sont nĆ©s des femmes, il ne s’en est pas levĆ© de plus grand que Jean‐​Baptisteā€12. Ƈa me libĆ©rait d’un poids, mais mental seulement car pour le reste, j’étais toujours au pain sec en prison. JĆ©sus dĆ©cida toutefois d’une retraite en signe de la plus grande affliction pour mon sort, en compagnie d’un tas de gens car il faisait pĆ©nitence en groupe, c’est une faƧon de voir les choses, mais ayant sous‐​estimĆ© le nombre de ses amis, il a ā€œdĆ»ā€ multiplier les pains et les poissons13 pour nourrir tout le monde. Ɣ miracle (de plus). Alors que dire de tant d’empathie ? Sinon : ā€œCousin, merci !ā€ 

ET LA VOIX DIT : ā€œCELUI‐​CI EST MON FILS, LE BIEN AIMƉ QUI A TOUTE MA FAVEURā€

Je suis donc mort parce qu’HĆ©rode voulait faire plaisir Ć  la fille d’HĆ©rodiade, qui a demandĆ© Ć  sa mĆØre ce qui lui ferait plaisir Ć  elle : la tĆŖte de Jean‐​Baptiste, a rĆ©pondu HĆ©rodiade, qui me dĆ©testait autant que son mari parce que j’avais critiquĆ© leur mariage (elle avait Ć©tĆ© la femme de son demi‐​frĆØre, je n’estime pas Ƨa net‐​net du point de vue halakhique). ƀ quoi Ƨa tient, la vie de Messie… Ma ā€œdĆ©collationā€14 avec ma tĆŖte posĆ©e sur un plateau a Ć©tĆ© immortalisĆ©e, si l’on peut dire, par Caravage en 1607. De moi, on a au fond retenu en images le pire de ma vie, ce banquet sanguinaire, et le meilleur, mon quotidien de mĆ©tĆØque, de juif errant, de pĆ¢tre grec, avec ma peau de bĆŖte et mon roseau, avant ma banqueroute BaptĆŖmes et Cie. Une postĆ©ritĆ© m’a toutefois Ć©tĆ© assurĆ©e par quelques milliers de fidĆØles, bĆ©nis soient‐​ils, les MandĆ©ens, qui ont quittĆ© la JudĆ©e aprĆØs la destruction de JĆ©rusalem en 135, pour s’établir jusqu’encore rĆ©cemment entre le Tigre et l’Euphrate, aujourd’hui vers l’Irak et un peu en Iran. Ce mouvement baptiste tend Ć  dĆ©croĆ®tre, mais enfin, c’est tout de mĆŖme un hommage qui fait chaud au cœur. Me reste une autre satisfaction toute personnelle : je suis la seule personne de tout le calendrier du cousin dont on fĆŖte Ć  la fois la date de conception, le 23 septembre (ah, l’amour !), la date de naissance, le 24 juin15, et la date de dĆ©cĆØs, le 29 aoĆ»t. Pourtant, que l’on songe Ć  cette fĆŖte dĆ©crĆ©tĆ©e le jour où les jours raccourcissent quand on fĆŖte celle de JĆ©sus le jour où ils rallongent, avec un tapage assourdissant, et l’on pourrait y voir une injustice supplĆ©mentaire… Alors, amer, Jean‐​Baptiste, allez‐​vous dire ? Vous pourriez le croire. Mais j’ai juste tenu Ć  dire la vĆ©ritĆ©, pour une fois qu’on me ressuscite. Car c’est tranquille comme Baptiste (moi‐​mĆŖme) que je retourne au presque oubli où je vis en paix, et le plus heureux des hommes morts, hors cette brĆØve sortie de ma torpeur. La raison de mon bonheur ? Elle est simple : jamais, Ć  aucune Ć©poque, un ĆŖtre de cette terre n’a Ć©tĆ© tuĆ© en mon nom. Ken Yehi Ratson [Ainsi soit‐​il], je vous aime !

Jean‐​Baptiste (tout court. J’ai Ć©tĆ© sanctifiĆ© sur le tard et ā€œsaintā€ fait un peu pompeux)

Propos recueillis par mon ghostwriter, Catherine Siguret, auteur de livres et piĆØces de théâtre, scĆ©nariste. Tous les faits ici Ć©noncĆ©s, biographiques ou historiques, sont rĆ©els. On se reportera aux Ɖvangiles de Luc, Mathieu, Jean et Marc, ainsi qu’aux Actes des ApĆ“tres.

1. Marc, 1, 9 ; Mathieu 3, 13.
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2. Luc, 1, 36.
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3. Luc 1, 15 Ć  22.
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4. IsaĆÆe, 40, 3.
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5. Isaïe, rappelé par Mathieu 3.2.
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6. Mathieu 3, 13.
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7. Mathieu 3, 17.
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8. Marc 1, 7.
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9. Jean, 19, 34.
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10. Mathieu 9,14.
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11. Mathieu 8 Ć  9.
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12. Mathieu, 11, 11.
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13. Mathieu 14, 13.
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14. La DƩcollation de saint Jean Baptiste.
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15. C’est bien MA fĆŖte, le 24 juin, et non celle de Jean
l’apĆ“tre Ć©vangĆ©liste, qui est le 29 dĆ©cembre.
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