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Puis‐​je ĂȘtre ta shikse* ?
Publié le 10 décembre 2018

2 min de lecture

Oui, je te pose la question chĂšre lectrice que je ne connais pas. Pour l’instant, je te suis uniquement accessible par les mots, par la reprĂ©sentation que tu te fais de moi, entre les lignes ou, si tu t’approches, entre les courbes de mes lettres. Je suis donc ta shikse, dans le sens d’une personne lointaine, une crĂ©ature fantasmĂ©e. Bon, il ne faut pas exagĂ©rer, disons imaginĂ©e. Un faire‐​part adressĂ© Ă  celle qui m’accueillerait, parmi de nombreux articles de ce sĂ©duisant numĂ©ro de Tenou’a, dans son salon. Polygamie textuelle oĂč tu tournes les pages dĂ©licatement avec ton doigt jusqu’à ce que tu t’arrĂȘtes sur mon invitation, page 46. 

Contrairement aux attentes habituelles de l’emploi, je ne suis pas grande, pas blonde et pas femme. Donc, si tu te nommes Scarlett Johansson et/​ou Jennifer Lawrence, je serai ta/​votre parfaite shikse. Oui, j’accepte de n’ĂȘtre que la demi‐​shikse des deux en mĂȘme temps. Si tu n’es ni Jennifer ni Scarlett (je ne suis pas sĂ»r qu’elles aient renouvelĂ© leur abonnement au magazine), on risque une plus grande similaritĂ©. Je te ferai donc moins fantasmer, que tu sois petite, brune ou homme. Mais la promenade peut ĂȘtre agrĂ©able quand mĂȘme. 

Car la shikse idĂ©ale est avant tout une invitation au voyage, bien plus qu’une reprĂ©sentation physique ou culturelle. S’inspirant peut‐​ĂȘtre des deux charmantes rencontres de MoĂŻse lors de son sĂ©jour prolongĂ© en classe de mer dans le SinaĂŻ, le Roi Salomon fit un trĂšs beau voyage en connaissant la Reine de Saba. Ils furent heureux, sans vivre longtemps ensemble et eurent une abondante descendance. MoĂŻse et Salomon se moquĂšrent des « on‐​dit Â» chuchotĂ©s par les ronds de cuir de leur Ă©poque, vivant leurs choix au grand jour. 

Quelque 3000 ans plus tard, sur le campus de Columbia Ă  New York, se croisĂšrent Ă  une soirĂ©e un joueur de football amĂ©ricain catholique de droite et un Ă©tudiant en poĂ©sie juif, communiste et homosexuel. À cause d’une mauvaise blague, ils en vinrent presque aux mains. Suite Ă  l’altercation, ils apprirent Ă  se connaĂźtre mais n’eurent pas le temps de devenir mutuellement la shikse d’autrui. Car, grĂące aux rĂ©cits de leur muse, Neal Cassady, qui va et qui vient entre les trains et installe de nombreux arcs‐​en‐​ciel dans les chambres de motels, Jack Kerouac et Allen Ginsberg Ă©cumĂšrent Ă  leur tour les routes des États‐​Unis et rĂ©volutionnĂšrent la poĂ©sie et la littĂ©rature amĂ©ricaine. Nous montrant, depuis bien longtemps, que les partages culturels et sensuels dĂ©mystifient toute shiksisation latente. 

Sur cette lancĂ©e de la Beat Generation et de ses partages, il faudra encore quelques fusions corporelles, si bien prĂ©sentĂ©es cette annĂ©e dans la sĂ©rie tĂ©lĂ© Sense8 des sƓurs Wachowski, pour que ce terme se banalise complĂštement. Ainsi, en 2039, lorsqu’on sera confrontĂ© Ă  la question « Comment rĂ©agirais‐​tu si ton fils Ă©pousait une femme non juive ? », la rĂ©ponse Ă©vidente sera « Il est dĂ©jĂ  si difficile d’ĂȘtre heureux dans ce monde que le jour oĂč mon fils sera en Ăąge et en envie de se marier, ce sera avec la femme ou l’homme de son choix. Â» 

* Une Shikse (ou Shiksa) dĂ©signe en yiddish Ś©Ś™Ś§ŚĄŚą une fille non juive. On retrouve largement cette figure dans la culture populaire nord-amĂ©ricaine.