
Ā« Ć MON ĆPOQUE, LA FĆTE DE BAR MITSVA, cāĆ©tait quelques verres de vodka chez le rabbin, on offrait une orange au bar mitsva et puis cāest tout ! Ā», me racontait mon pĆØre, se souvenant de son enfance polonaise Ć Lublin et de son passage dans le monde des adultes juifs en 1938. Ć son Ć©poque aussi, pas de bat mitsva, pas dāoranges pour les fillesā¦
Jāai fait la mienne en 1973 Ć la synagogue parisienne de la rue de Montevideo, peu avant le dĆ©part pour JĆ©rusalem de son extraordinaire rabbin, Jean Schwartz. Je nāĆ©tais (dĆ©jĆ ā¦) pas un exemple de fervente piĆ©tĆ©, le Talmud Torah māennuyait prodigieusement, jāy Ā« brillais par mon absence Ā» comme le notait dans mon carnet de correspondance mon facĆ©tieux professeur, Monsieur Droumachkine, dont lāimposante barbe rousse māimpressionnait terriblement et qui me surnommait affectueusement Ā« Haham de Ma Nishtana Ā».
Jāai conservĆ© amoureusement la K7 audio de mes rĆ©pĆ©titions de la parasha (ne me demandez pas laquelle, je ne suis pas du genre Ć se souvenir de la parasha de sa bar mitsva) chez lāun des plus grands hazan quāil māait Ć©tĆ© donnĆ© de connaĆ®tre, Monsieur Karvaly.
Dāorigine hongroise comme le rabbin Schwartz, jāai toujours en mĆ©moire la profondeur inouĆÆe de sa voix de basse. Il aurait fait un merveilleux Sarastro dans La FlĆ»te enchantĆ©e. Quand ma cantillation lui donnait enfin satisfaction, jāavais droit Ć une part de leyker, et surtout Ć la contemplation de son album de photos dāavant-guerre, qui me fascinait.
Tournant prĆ©cautionneusement les pages de lāalbum Ć la couverture en cuir tannĆ© par les annĆ©es, il me commentait ces photos noir et blanc dentelĆ©es, pour la plupart prises Ć Budapest. Je nāai jamais su comment il avait rĆ©chappĆ© Ć la Shoah, ni comment il avait pu conserver ces souvenirs prĆ©cieux. Celle quāil ne manquait pas de me remontrer Ć chaque fois le reprĆ©sentait jeune hazan, chantant dans la Grande Synagogue de la capitale magyare devant des milliers de fidĆØles (lāĆ©difice permet dāaccueillir 3500 personnes).
Je me souviens aussi de mes essayages de costume chez un ami de mes parents, confectionneur dans le Sentier. Plus sensible alors aux sirĆØnes de la mode quāaux enseignements de la Torah, jāavais choisi un superbe costume en alpaga bleu marine, veste croisĆ©e et pantalon pattes dāephā, rehaussĆ© dāun⦠col roulĆ© blanc en lycra. Total look seventies, immortalisĆ© par le cĆ©lĆØbre studio photo RenĆ©e et Arnold, 12 boulevard StāāMarcel, tĆ©l. 707ā30ā16.
Le jour J (comme Juif), tout sāest dĆ©roulĆ© Ć merveille. Jāai fait honneur Ć mes parents, au rabbin Schwartz et Ć Monsieur Karvaly, lu avec conviction devant lāassistance le discours dĆ» Ć la plume de mon frĆØre Bertrand, nettement plus douĆ© et compĆ©tent que moi pour lāexercice.
Le soir de la fête, je me souviens de cette cassette en bois contenant cigarettes, cigares et cigarillos, que je trimballais de table en table pour les proposer aux invités, façon Bunny dans un club de strip de Vegas.
Je le sais bien, ces accents de nostalgie vous paraĆ®tront absolument rĆ©acs, mais quand jāy repense, cāĆ©tait quand mĆŖme plus cool de pousser Ć la consommation de Cohibas les invitĆ©s de mes parents, que de leur balancer un Power Point avec mes photos les plus gĆŖnantes, ou une chanson pourrie (mal) entonnĆ©e en chÅur dont personne ne pige un traĆ®tre mot.
Le meilleur pour la fin ? Lors de mon sĆ©jour linguistique en Allemagne qui suivit ma bar mitsva (oui, Ć lāĆ©poque dans les familles ashkĆ©nazes parisiennes, on ne faisait pas espagnol seconde langue au lycĆ©eā¦), Ć©trangement pris dāune soudaine crise de mysticisme qui nāa durĆ© que quelques semaines, je mettais chaque matin mes tĆ©filines face au bahut en bois massif où trĆ“nait la photo de mon hĆ“te dans sa jeunesse. Posant fiĆØrement devant lāobjectif en uniforme dāofficier de la Luftwaffe. Woody Allen aurait adorĆ©.