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Union de la gauche, sacrifice des Juifs ?

Où va la gauche française ? Peut‐​elle encore accueillir les Juifs de gauche (et lutter contre l’antisémitisme) ou est‐​ce condamné d’avance ? Les Verts, qui se disent le trait d’union entre le PS et LFI, sont‐​ils prêts à toutes les compromissions pour amener la gauche au pouvoir ? Comment se préparer à une énième union des gauches pour contrer le RN ? Les Juifs seront‐​ils une nouvelle fois sacrifiés ? Spoiler alert : nous ne sommes guère rassurés. 

Publié le 30 mai 2025

6 min de lecture

Dessin : Amir Gauthier @gauthieramir

En commençant l’écriture de ce papier, nous étions déjà un peu défaitistes. Parce que la gauche, les gauches, ne se montrent pas à la hauteur de la détresse des Juifs en France : l’augmentation exponentielle des actes antisémites, l’instrumentalisation de la lutte contre l’antisémitisme et l’importation d’une guerre qui oppose le Hamas à Israël. Nous avions prévu de nous attarder sur la figure de Marine Tondelier, secrétaire nationale des Écologistes, réélue en avril à la tête de son parti, parce qu’elle s’exprime largement en faveur d’une candidature de gauche en 2027. Parce que l’une de ses dernières interventions médiatiques nous a particulièrement interpellés. 

Interrogée sur RTL sur l’exfiltration de Jérôme Guedj, député PS, le 1er mai (il avait déjà été exfiltré de la manifestation en hommage à Aboubakar Cissé, assassiné alors qu’il priait dans une mosquée du Gard), elle avait déclaré : “Personne ne doit être évincé des manifestations mais je vois aussi comment Guedj donne rendez-vous, vient avec vingt journalistes…” Autrement dit, Jérôme Guedj serait responsable des violences qui le visent. Le lendemain, retournement de situation : Marine Tondelier présente ses excuses à toutes les personnes qu’elle aurait pu blesser. Comment interpréter son “imprécision”, terme qu’elle a elle‐​même employé ? Comment comprendre son ambiguïté sur la question de l’antisémitisme (et de la lutte contre) sachant qu’en 2023 déjà, elle avait tenu à convier le rappeur Médine accusé d’antisémitisme (reprise de la quenelle de Dieudonné et jeux de mots plus qu’hasardeux) et d’homophobie aux journées d’été d’EELV ? 

“Marine Tondelier se trouve dans une position particulièrement inconfortable, comme elle le reconnaît dans une interview récente donnée à La Provence. D’un côté, elle affirme sa volonté de combattre l’antisémitisme. De l’autre, sa survie politique dépend de sa capacité à élargir sa base électorale et à nouer des alliances avec des partis plus influents, analyse l’historienne Stéphanie Share. La situation est d’autant plus délicate que l’extrême droite tente aujourd’hui de se présenter comme le "bouclier des Juifs" — ce qu’elle n’est évidemment pas.”

En matière de lutte contre l’antisémitisme, les Verts semblent s’engager, plus que les autres partis de gauche. Depuis 2021, un groupe de travail “Lutte contre l’antisémitisme”, réunissant une trentaine de personnes, s’est constitué et est toujours actif. Et, d’après de nombreux sondages d’opinion de la CNCDH (Commission nationale consultative des droits de l’homme), les sympathisants des Verts adhèrent le moins aux stéréotypes antisémites par rapport aux sympathisants d’autres partis. Ce qui ne veut pas dire qu’ils sont épargnés. Lundi 26 mai, lors d’un conseil municipal de la Mairie du 20e arrondissement de Paris, Lila Djellali, élue EELV, a déclaré (pensant citer de Gaulle qui avait qualifié les Juifs de “peuple d'élite, sûr de lui-même et dominateur”) : “Le jour où on rassemblera au même endroit les Juifs, nous avons peur aujourd’hui qu’ils puissent devenir des dominateurs, qu’ils puissent faire l’impensable”. Et après ? Le parti a réagi, l’élue en question a été priée de se retirer, s’est excusée et s’est engagée à suivre une formation, selon un communiqué d’EELV. Comment écrire ce papier, alors que chaque jour, un nouvel incident nous est rapporté ? Devrions‐​nous inventorier l’antisémitisme des élus ou quelqu’un s’en charge‐​t‐​il déjà ? Quel intérêt aurait cet inventaire, serait‐​ce une archive pour la postérité ? 

Que dire de la proximité apparente entre Marine Tondelier et le collectif Urgence Palestine dont les organisateurs et les partisans relaient la propagande du Hamas ? “Marine Tondelier compose avec les problèmes pour tenir des alliances impossibles. S’il existait un mouvement équivalent et sincèrement pro-palestinien, elle rejoindrait ce mouvement. Mais, à défaut d’en trouver un, elle soutient Urgence Palestine, nous confie‐t‐on. 

Le livre La Meute, une enquête des journalistes Charlotte Belaïch et Olivier Pérou consacrée à l’absence de démocratie au sein de LFI et à l’emprise idéologique de Jean‐​Luc Mélenchon sur ses jeunes lieutenants, et l’enquête IPSOS/CRIF sur l’antisémitisme en France, nous enseignent que l’antisémitisme est largement toléré chez les lfistes. 22% des sympathisants LFI considèrent que “les Juifs ont une part de responsabilité significative” dans la montée de l’antisémitisme. Même chose pour le député LFI Éric Coquerel, invité sur RTL le 21 mai, qui estimait que le couple de Juifs assassinés devant le Musée juif de Washington était responsable de la haine dont il avait été victime : “Ma réaction, c’est qu’il faut très rapidement que s’arrête le génocide en cours à Gaza, voilà ce que je veux dire.” En février 2025 déjà, Mélenchon “somme la « diaspora » de protester contre le refoulement de Rima Hassan en Israël, rendant les Juifs français comptables de la politique israélienne”, relatent les auteurs de La Meute. Dans leur enquête, on apprend par Alexis Corbière, ancien député LFI, surnommé “le sioniste” par ses anciens camarades lorsqu’ils tractaient contre lui dans sa circonscription (Seine‐​Saint‐​Denis), que, “pour eux, la lutte contre l’antisémitisme c’est un truc de bourgeois”. De son côté, Clémentine Autain “n’en peut plus de cette absence d’empathie pour les Juifs” alors que pour tous les autres racismes, le parti s’élève pour les dénoncer. “Dans la vision décoloniale qui s’est imposée au sein de LFI, les Juifs sont du côté des Blancs, donc de l’oppresseur. À l’inverse – et tout en en jouant –, les dirigeants insoumis ont du mal à admettre un antisémitisme qui émane des quartiers populaires ou de la communauté musulmane, puisque ceux-ci sont du côté des opprimés”. Est‐​on étonnée de lire ça ?

Depuis leur communiqué du 7 octobre 2023, les positions de LFI ne sont pas pro‐​palestiniennes mais pro‐​Hamas (une organisation qui n’a toujours pas été désignée par ses cadres comme terroriste), commentent certains militants en interne. Nouvel extrait du livre : Mélenchon “va placer le conflit israélo-palestinien au cœur de la campagne des européennes. […] Désormais, l’objectif assumé est de faire voter. « La question palestinienne mobilise à mort, notre stratégie est gagnante », se félicitent les lieutenants insoumis.” 

N’est-ce pas accablant ? Pourquoi vouloir s’allier à un parti dont l’identité antisémite n’est plus à prouver ? “La gauche française peine à se désolidariser de figures pro-Hamas ou ouvertement anti-républicaines. Elle devrait pourtant s’inspirer du parti travailliste britannique, qui a adopté en 2018 la définition de l’antisémitisme de l’IHRA (Alliance internationale pour la mémoire de l’Holocauste) et a exclu en 2020 Jeremy Corbyn, son ancien leader, après que celui-ci a qualifié le Hamas et le Hezbollah — deux organisations terroristes — de ‘frères’”, rappelle Stéphanie Share. Pourquoi la gauche français ne prend‐​elle pas exemple sur ses voisins britanniques ? Parce qu’il n’y a pas véritablement de réponse convenable à cette question. Parce que l’extrême droite est de plus en plus menaçante, de plus en plus puissante. Parce que LFI est de plus en plus imposante (même dans l’agression, surtout dans l’agression). Selon un sondage Harris Interactive pour le magazine Regards, 26% des électeurs voteraient pour un candidat unique de la gauche, 20% pour un candidat insoumis. “Si le Parti socialiste et Place publique présentaient leur propre candidat, les voix de gauche se dispatcheraient [...]. Dans ce cas-là, le second tour se jouerait entre l’extrême droite et le centre droit”, lit‐​on dans un décryptage proposé par Libération

Marine Tondelier, qui a grandi à Hénin‐​Beaumont, le fief de Marine Le Pen, en a bien conscience : dans la lutte contre l’extrême droite, les Verts ne comptent que parce qu’ils cherchent à relier les partis de gauche, à bâtir une coalition pour faire front (comme c’était le cas avec la NUPES ou le NFP). Aux dernières élections européennes, ils n’ont obtenu que 5 sièges sur 81, leur plus mauvais score depuis trente ans. “Les Verts qui décideraient de renoncer à cette coalition, politiquement, ils meurent. Donc, s’ils veulent exister, ils sont obligés de composer avec des positions, y compris celles avec lesquelles ils ne sont pas en accord”, résume un militant à gauche. 

Peu importe les circonstances (et la gravité de l’antisémitisme, du sectarisme, de l’antidémocratisme de LFI), Marine Tondelier reste favorable à une candidature commune. Même en ayant connaissance des méthodes de Mélenchon. “À l’approche des municipales de 2020, la tension monte. Au lieu d’affronter la droite, Mélenchon se bat contre la gauche. Pas question de faire un quelconque cadeau aux socialistes. Il ne veut pas non plus laisser EELV revendiquer une potentielle dynamique à deux ans de la présidentielle, ni renforcer une aspiration unitaire alors que sa stratégie nationale consiste à s’opposer à la « soupe de logos ». Hésitant, il laisse donc émerger des scénarios et, comme d’habitude, fait croire à chacun qu’il le soutient”, découvre‐​t‐​on dans le livre‐​enquête. Lors de la Convention d’investiture des Écologistes en avril 2025, elle réaffirme son message : la gauche doit s’unir C’est ainsi qu’elle pourra s’imposer aux élections présidentielles de 2027. Même si Mélenchon se porte candidat ? Même si. 

Dans un entretien publié dans Le Monde le 23 mai 2025, Raphaël Glucksmann, favori des élections européennes de 2024 à gauche, s’est déclaré contre une alliance avec LFI, contre une primaire à gauche : “il n’y aura pas de candidature commune avec Jean-Luc Mélenchon. Nous sommes en contradiction frontale sur tellement de sujets, de l’Europe, sa défense et son rôle, au mix énergétique et au nucléaire, en passant par la manière même de faire de la politique. Prétendre l’inverse serait mentir et je ne mentirai pas. Quand Marine Tondelier dit : « Rangez vos ego dans votre poche et participez à l’offre collective », elle doit comprendre qu’il ne s’agit pas d’ego justement. Il s’agit d’idées, de principes. Et mettre ses principes dans sa poche, c’est la certitude de la faillite morale et de la défaite politique.” Ceci pourrait nous donner de l’espoir si l’on était sans mémoire… Or, on se souvient de l’inflexion de Raphaël Glucksmann au lendemain des européennes et à la veille des législatives. En dépit de ses divergences avec LFI, le NFP auquel il a contribué est quand même né pour incarner une “résistance électorale contre la perspective du pire, c’est-à-dire le triomphe de l’extrême droite”.

Et les Juifs, où peuvent‐​ils trouver leur place à gauche ? Pourquoi sont‐​ils les seuls (ou presque) à dénoncer un problème d’antisémitisme dans leur camp politique ? “Les partis ne se forment ni à la lutte contre l’antisémitisme ni à la lutte contre d’autres discriminations… C’est ce qui explique aujourd’hui la faiblesse des gauches”, nous répond‐​on. On vous avait prévenus, ce n’est pas rassurant.