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Israéliens à Paris : Ariel Eytan, passer son bac de français, gravir une montagne

Gali Eytan, photographe israélienne, s’interroge sur la présence des Israéliens à Paris. Comment vit‐​on dans la capitale depuis le 7 octobre ? Comment s’ancre-t-on dans un nouvel environnement, dans une nouvelle langue, dans de nouvelles habitudes, quand on sait que nos proches vivent une situation de guerre ? La photographe partage le regard de sa nièce de 17 ans, Ariel Eytan, arrivée à Paris de Tel Aviv avec ses parents et sa petite sœur en août 2023. 

Publié le 10 juillet 2025

5 min de lecture

© Gali Eytan

Nom : Ariel Eytan 

Âge : 17 ans 

Occupation : Lycéenne


Depuis quand es-tu à Paris ?

Depuis le 6 août 2023. 

Pourquoi es-tu venue à Paris ?

Je suis venue à Paris parce que mes parents l’avaient décidé. De mon côté, je pensais que vivre à Paris serait une expérience intéressante que peu de gens vivent à mon âge.

Tu parlais français avant d’arriver ? Et maintenant ?

Quand je suis arrivée, je comprenais le français de manière très basique. Aujourd’hui, presque deux ans plus tard, on peut dire que je parle couramment.

Que t’évoque ton premier jour au lycée ?

Je résumerais mon premier jour en un mot : étrange. Ma mère m’a accompagnée jusqu’au lycée (c’était mon premier trajet en métro), puis je me suis retrouvée devant la porte avec plein d’enfants, la plupart en groupe, et moi seule. Quand les grandes portes très parisiennes du lycée se sont ouvertes, j’ai cherché mon nom sur la liste et je suis allée dans la classe des élèves étrangers, qui était à l’opposé des autres élèves. En marchant dans les couloirs, j’avais l’impression d’être dans un film : contrairement à mon ancien lycée en Israël, celui‐​ci est très beau, dans un bâtiment européen classique. Mais j’étais trop concentrée (et sûrement un peu stressée) pour en apprécier la beauté. Je suis arrivée dans la cour intérieure, où j’ai rencontré ceux qui allaient devenir mes camarades de classe. Je les ai reconnus tout de suite : un groupe d’élèves un peu “décalés”, chacun dans son coin, chacun semblant un peu perdu, parlant tous des langues différentes. Quand la prof (que j’avais déjà rencontrée quelques semaines plus tôt) est arrivée, elle nous a fait entrer en classe, nous a assigné des places, et nous avons fait un tour de présentation : nom, pays, et quelque chose qu’on aime. C’est comme ça qu’a commencé mon premier jour au lycée. 

As-tu été confrontée à des discours ou conflits à caractère anti-israélien au lycée ?

En deux ans, je n’ai eu qu’un seul vrai conflit de ce type : une élève d’une classe supérieure a commencé à parler d’Israël sans savoir que j’étais israélienne. Elle disait plein de choses fausses, alors je l’ai corrigée, et un débat s’est ouvert. Mais j’ai vite arrêté, car j’ai compris qu’il n’y avait pas de dialogue possible – elle ne connaissait pas vraiment le conflit. C’était un cas extrême. Au début, ça me mettait en colère, puis, j’ai ressenti du mépris. J’ai aussi discuté du sujet avec d’autres amis qui ne soutiennent pas Israël dans le conflit actuel, mais ces échanges étaient posés, sans agressivité. 

Comment se prépare-t-on au bac de français quand on est étrangère ?

Mon père dit que le bac de français, c’est comme gravir une montagne : au début, ça paraît immense, il ne faut pas regarder le sommet pour ne pas se décourager. Parfois, on croit ne pas avancer, puis on regarde en arrière et on réalise le chemin parcouru.

C’est frustrant parfois, car même si c’est difficile pour les Français, pour moi ça l’est encore plus. Si eux doivent étudier quelques heures, moi je dois en faire deux fois plus pour arriver au même niveau.

Heureusement, j’ai eu une excellente prof en UPE2A (la classe pour les nouveaux arrivants en France), qui nous a appris les bases – lire, parler, écrire, mais aussi comment réviser, gérer la pression, réussir un examen. Grâce à elle, en arrivant en Première, j’étais au même niveau que les élèves français. Donc oui, c’est dur, mais possible – et même agréable… une fois que c’est derrière soi !

Tu envisages des études supérieures en France ? Qu’aimerais-tu faire ?

Je ne sais pas encore avec certitude, mais peut‐​être que je pourrais m’inscrire en médecine. C’est un domaine qui m’intéresse et dans lequel je me verrais évoluer.

Qu’as-tu apporté avec toi en tant qu’Israélienne?

Je pense avoir apporté surtout une mentalité israélienne, plus détendue que celle des Français. Cela se ressent particulièrement au lycée, où la pression est omniprésente de la part de l’école, des parents, même des amis. Ce n’est pas une pression motivante, mais plutôt une pression qui fait baisser les performances. Quand je sens que je retombe dedans, je me rappelle d’où je viens, et je relativise : une note n’est pas si importante, l’essentiel est de faire de son mieux et de profiter du chemin. Pour moi, c’est très israélien comme manière de penser.

Qu’est-ce qui te manque ici ? Et qu’as-tu découvert ici que tu n’avais pas en Israël ?

Ce qui me manque le plus : le soleil, la mer et les deux ensemble ! Et bien sûr, les amis, la famille et le rythme de vie : en Israël, on voit ses amis tous les jours et la famille très souvent. Mais en vivant ici, j’ai découvert une vraie diversité culturelle. En habitant à Tel Aviv, j’étais peu exposée à des gens qui pensent ou vivent vraiment différemment. Ici, c’est beaucoup plus fort, et je trouve ça très enrichissant.

Comment vis-tu l’éloignement en cette période ?

Ce n’est pas facile. Il y a un décalage constant entre ma vie ici et ce qui se passe là‐​bas. Ici, tout est normal, dans le quotidien, alors qu’en Israël, c’est la guerre. Parfois, je culpabilise de vivre normalement alors que mes amis ne le peuvent pas. Et quand j’ “oublie” ce qui se passe parce que je suis prise dans les études ou dans mes activités, je me sens coupée… Mes amies me disent de profiter du fait d’être loin, à Paris. Alors j’essaie, aussi pour elles.

Quel message pourrais-tu adresser à ceux qui ne comprennent pas ce que c’est d’être une “étrangère” ?

Être étrangère, c’est surtout perdre la maîtrise de la langue et donc perdre une partie de son expression. C’est seulement quand on vit dans une langue qui n’est pas la nôtre qu’on comprend la puissance de la langue maternelle, et à quel point savoir s’exprimer change tout, y compris dans sa personnalité.

Quelles nouvelles habitudes as-tu adoptées ici ?

On a adopté le rituel de l’apéro/goûter – on adore ce concept !

Une anecdote drôle ?

Le premier jour de Première, la prof a lu la liste des élèves et a vérifié les options choisies. Quand elle est arrivée à moi, elle a vu que j’étais inscrite en hébreu comme langue vivante, ce qui révélait que j’étais israélienne. À la pause, des élèves m’ont demandé si j’étais israélienne, j’ai dit oui. Puis ils m’ont demandé si j’étais “feuj”- un mot que je ne connaissais pas – et j’ai répondu que non. Plus tard, en racontant l’histoire à mon père, j’ai compris que… si, je suis feuj !

Cinq choses que tu aimes dans ta vie à Paris ?

Mes nouveaux amis, me balader dans la ville, les cafés, les vacances scolaires et la découverte de nouvelles cultures.