
Nous avons écouté quelque chose de rare : des adolescents juifs de France qui mettent des mots sur ce que l’on appelle la culture juive, sur “ce qu’il y a de plus grand que soi”. “Parce que la parole des adolescents est porteuse d’un vrai regard sur le monde, riche et sensible”, remarque Diane Uzan, réalisatrice du podcast.
Pendant une dizaine d’ateliers (un dimanche sur deux entre novembre et juin), aux côtés de Diane, cinq adolescents, Anna, Ben, Alice, Luna et Simon (âgés de 12 à 15 ans) ont tenté de définir la culture juive, d’en dessiner ses contours dans un podcast. Serait‐ce quelque chose qui appartient au passé, aux histoires portées par leurs parents et grands‐parents, serait‐ce quelque chose qui leur incombe, des traditions à perpétuer, serait‐ce une troisième voie ? “C’est un truc qui nous dépasse un peu… Mais, genre, on sait que c’est là”, suggère très justement une adolescente.
Pour guider leur réflexion, Diane Uzan leur propose de lister “des sensations, des souvenirs, des anecdotes où ils avaient ressenti cette culture sans qu'on leur dise qu’elle était là”. À partir de cette “consigne”, chaque adolescent se livre sur ce qu’il connaît, apprivoise ou a observé pour raconter une histoire, l’histoire d’un moment de culture juive.
Alice nous invite à sa table de Rosh haShana (les assiettes s’entrechoquent presque), là où flotte “une douce odeur, un mélange sucré de miel et de jus de raisins”. Elle décrit le rituel qui, chaque année, se répète : “la pomme trempée dans le miel, le miel glisse sur mes doigts avant de fondre dans ma bouche”. La jeune fille remarque qu’entre l’année précédente et cette année, le rituel reste mais “les goûts changent”. Cette année, l’herbe verte (et amère), elle l’aime bien.
Simon propose une immersion dans le grand ménage de Pessah. “Si c’était une émission télé, ce serait : à la recherche de la dernière miette, mission impossible, pression maximale”. L’adolescent achève sa chronique sur une interrogation : “Et si l’avenir des Juifs était le robot-aspirateur ?”
Ben s’offre un voyage dans le temps : il a 8 ans à nouveau, il se trouve dans son salon, nous sommes au premier jour de Hanouka. “Le bruit des flammes qui crépitaient, la vision des cadeaux pas encore ouverts, le jaune-orangé des lumières, les yeux de mes parents brillants et heureux et cette douce odeur de beignet que je ne sentais pas les autres jours de l’année.” Avec lui, nous sommes à deux doigts de quitter la canicule pour allumer les bougies, déchirer avec tendresse des paquets cadeaux et découvrir ce qui s’y dévoile.
Anna déclare son amour inconditionnel pour la halla, “Beyoncé, version boulangerie : tout le monde l’aime, tout le monde se demande comment elle fait pour être si parfaite”. Comment résister à une dégustation ? Possibilité de réponse : ne pas résister et la grignoter petit bout par petit bout. Résultat : “Mskina, la halla commence à ressembler à Beyoncé après un marathon”. Comment ne pas se retrouver dans cette situation de gourmande invétérée ?
Luna décrit avec précision et malice le chaos joyeux d’un soir de séder à Pessah. Comme n’importe quel convive, elle évoque l’attente liée à la traversée du désert (la lecture de la Haggada), la cousine qui grignote (pensant se faire discrète), l’oncle qui parle politique pour “pimenter l’ambiance”. Bref, “un mélange bordélique mais chaleureux où on finit toujours par se retrouver”.
En fin d’épisode, nous reconnaissons la voix de Lucie Spindler, journaliste à Tenoua et à 28 minutes. Elle intervient pour répondre à la question : comment créer à partir de son histoire, que faire de sa culture juive ? Lucie a réalisé le podcast “Itinéraire d’un enfant caché”, un podcast qui retrace l’histoire de son grand‐père et des siens pendant la Shoah. “Est-ce que j’ai tout compris ?”, se demande‐t‐elle au sujet de son histoire familiale, de la culture dont elle a héritée. “Bien sûr que non”. Même adulte, nous n’avons jamais fini d’explorer le sens de l’expression “culture juive”, nous continuons d’ouvrir des portes, de répondre à des questions par des questions.
Pour certains, comme cette adolescente issue d’un couple mixte, ce projet a permis de s’interroger encore davantage sur leur culture juive, “ça donne envie d’apprendre des choses”. Voire de creuser, dans les prochains épisodes, ce qui relie ces adolescents, ce qu’ils partagent (sans forcément le savoir).
Pendant une vingtaine de minutes, on se laisse bercer par les récits des uns et des autres, à la recherche de ses propres sensations, de ses propres traditions entre douceur et nostalgie. Comme si nous n’étions pas en 2025, comme si l’antisémitisme était porté disparu… Comme si ces adolescents avaient sciemment décidé de s’émanciper du monde des adultes, de ce regard parfois désillusionné. Et si l’avenir des Juifs, c’était de les écouter (ou de les faire écouter) ?
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