M

Thématiques

Newsletter

Chaque semaine, recevez les dernières actualités de Tenoua

À propos

Qui sommes-nous

L'équipe

Les partenaires

Contact

Archives

Informations

Mentions légales

“Nous devons prendre conscience que ce qui menace les Juifs menace aussi les cadres institutionnels de la République”

Vous le savez, l’antisémitisme n’a pas disparu cet été (ni même à la rentrée). Bien au contraire : chaque jour, de nouveaux incidents (agressions, profanations, discriminations…) sont recensés. Dans ce contexte (et dans le contexte de la volonté du président français de reconnaître l’État palestinien), plusieurs personnalités politiques comme Benjamin Nétanyahou et l’ambassadeur américain Charles Kushner ont accusé le gouvernement français d’inaction dans la lutte contre l’antisémitisme. Comment la France peut‐​elle prévenir le déferlement de l’antisionisme ? Yonathan Arfi, président du CRIF, nous répond.

Publié le 5 septembre 2025

5 min de lecture

© Crif /​Clémence Demesme

Cet été, des personnalités politiques comme le premier ministre Benyamin Nétanyahou ou l'ambassadeur américain Charles Kushner se sont exprimés dénonçant l'inaction du gouvernement français dans la lutte contre l'antisémitisme. À la suite de ces déclarations, vous avez rappelé sur X "le dialogue régulier établi avec les pouvoirs publics concernant la lutte contre l'antisémitisme depuis une vingtaine d'années et notamment l'engagement des forces de police et de sécurité pour la protection des synagogues et lieux de vie juive". Pourquoi ne peut-on pas accuser l’État français de ne rien faire contre l’antisémitisme ? 

Comme je l’ai rappelé, nous ne pouvons ignorer l’action des pouvoirs publics, le dialogue avec la communauté juive sur la question de la lutte contre l’antisémitisme, et l’engagement et la coopération du ministère de l’Intérieur dans la sécurisation de l’ensemble des lieux de la vie juive en France. Nous devons être conscients de ces engagements sur la longue durée, les oublier me paraît injuste. 

Cela étant dit, les Français juifs sentent bien que les actes antisémites se libèrent et que peu de remparts les contiennent. Nous assistons à quelque chose de vertigineux, comme si s’installait une norme culturelle foncièrement antisioniste dans la société française, ce qui est déjà le cas dans certains milieux universitaires comme culturels. J’ajoute qu’il est nécessaire de prendre conscience que ce qui menace les Juifs menace aussi les cadres institutionnels de la République – l’antisémitisme est devenu la norme du discours antisystème, il n’est rien d’autre qu’un symptôme d’un mal plus large. 

Je terminerai par dire que depuis le 7 octobre, s’est ouvert pour les Français juifs des temps d’incertitudes. Nous devons désormais accepter de vivre avec des questions ouvertes concernant la condition des Juifs dans la société française, ce qui n’était pas le cas avant. Qui n’a pas autour de lui l’écho de familles juives s’inquiétant désormais à voix haute pour l’avenir de leurs enfants en France ?

Vous l’avez dénoncé à de nombreuses reprises : des partis comme des personnalités politiques d’extrême gauche tolèrent voire nourrissent un climat antisémite en France. En mai dernier, le député PS Jérôme Guedj a été exclu de manifestations à l'initiative d'organisations de gauche. Comment nos institutions peuvent-elles réagir face à ces élus ? 

En France, une des priorités des institutions et des acteurs politiques, dans la période qui s’ouvre, doit être de désamorcer les discours de haine portés par des élus. La particularité de la période que nous vivons c’est que l’antisémitisme, en plus de se retrouver dans toutes les strates de la société (religieuses, populaires, culturelles, mondaines), se retrouve aussi en politique. Comment accepter que certains députés LFI hystérisent sans cesse le débat public en réduisant Gaza à un slogan électoral, en sachant que ces raccourcis coupables mettent une cible dans le dos de tous les Juifs ? Il faudra bien qu’un jour ces élus répondent de ces incitations à la haine devant la justice.

Cet été, la haine antijuive n’a pas cessé comme vous l’avez rappelé dans votre édito de rentrée et, depuis le 7 octobre, de plus en plus de Juifs ne se sentent plus en sécurité en France et envisagent même de quitter le pays. Quelles actions le CRIF juge-t-il prioritaires pour mieux combattre l'antisémitisme (et l'antisionisme) ? Qu’exiger pour que la France ne devienne pas "profondément antisioniste", une crainte partagée par bon nombre de Juifs de France ?

Déjà, commençons par rappeler que la haine d’Israël est distincte de la critique, légitime en démocratie, du gouvernement israélien. La haine d’Israël, obsessionnelle et décomplexée, est dangereuse parce qu’elle contribue à alimenter la haine des Juifs, où qu’ils vivent. Le problème, c’est qu’aujourd’hui, certains acteurs de la société française (aussi bienveillants soient‐​ils), face à des discours antisionistes radicaux, considèrent qu’il ne s’agit que de discours politiques. Or, appeler à la destruction d’un État ou contester son droit à l’existence, c’est un discours de haine, pas une opinion politique. 

Aujourd’hui, les pouvoirs publics savent bien traiter l’antisémitisme historique, beaucoup moins l’antisionisme. Il est donc nécessaire de mieux définir l’antisémitisme en y intégrant la dimension liée à la haine d’Israël pour mieux le condamner. Quand un groupe d’enfants juifs est qualifié de « génocidaires », certains refusent encore d’entendre la dimension antisémite de cette insulte. Entre l’antisémitisme historique et l’antisionisme, les réponses pénales ne devraient pas différer. 

Je parlerai également des réseaux sociaux où, trop souvent, la loi semble ne pas s’appliquer. Les auteurs de commentaires antisémites ont peu de chance d’être poursuivis et condamnés, ce qui leur donne un sentiment d’impunité. C’est pourquoi chaque auteur de propos antisémites, racistes ou homophobes devrait se voir imposer une amende forfaitaire systématique comme quand on télécharge un film illégalement. Aujourd’hui, nous avons besoin de marquer le cadre de la loi chez les plus jeunes puisqu’on ne peut matériellement poursuivre en justice tous les auteurs de commentaires antisémites. 

Je suis également frappée par l’indulgence et la clémence des pouvoirs publics envers la chaîne qatari Al Jazeera ou AJ+, son équivalent sur les réseaux sociaux. Ce média véhicule un discours haineux anti‐​républicain qui n’a sa place ni dans le paysage audiovisuel français ni sur les réseaux sociaux. 

Pensez-vous que le gouvernement français sera à la hauteur de ces attentes ? 

Je l’espère. L’antisémitisme n’est pas qu’une question qui concerne les Juifs mais toutes la société. Nous comptons de nombreux alliés dans ce combat au sein du gouvernement et dans la classe politique. En tant que Juifs, nous n’avons pas le droit d’être optimistes, pour ne pas dire naïfs, nous n’avons pas non plus le droit d’être pessimistes et de déposer les armes avant même que le combat ne commence. Il nous faut donc être pragmatiques. Aujourd’hui, l’identité juive est un combat, que l’on vive en diaspora ou en Israël. 

Pour certains Juifs de France, le RN apparaît comme le principal protecteur des Juifs, comment expliquer une telle évolution dans les croyances, dans les perceptions ? Comment ce parti fondé par des anciens SS a-t-il pu faire oublier son passé ? 

Le vote d’extrême droite chez certains Juifs est d’abord brandi comme un recours symbolique face aux menaces de l’extrême gauche. Autrement dit, dans un scénario de fiction qui opposerait le RN à LFI, certains considèrent le vote d’extrême droite comme une réponse aux paroles et aux menaces de LFI. Mais, je reste convaincu que, dans la vie réelle, le débat ne se posera pas dans ces termes et que les Français juifs conservent un ADN profondément républicain. 

Aujourd’hui, dans la communauté juive, la position française sur la reconnaissance prématurée de l’État palestinien, un choix porté par le président de la République, entraîne de très vives réactions. C’est un sujet de désaccord majeur avec le chef de l’État mais nous continuerons à défendre nos positions dans le respect du cadre républicain. 

Certains Juifs de France estiment que la critique du gouvernement israélien alimente l’antisémitisme. Les personnalités publiques qui s’expriment pour la libération des otages, pour un cessez-le-feu à Gaza, et au nom de leur amour pour la démocratie israélienne, sont aujourd’hui disqualifiées par d’autres Juifs et accusées de nourrir les obsessions de l’extrême gauche. Comment comprendre ces nouvelles divisions au sein des Juifs français ? 

Contrairement à LFI, je suis fier de constater que nous ne sommes ni une meute, ni une secte, toutes les opinions sont légitimes. Je défends et continuerai à défendre une vision pluraliste et démocratique dans la communauté juive, en espérant que les débats puissent se tenir sans invective, sans insultes. On retrouve d’ailleurs ce pluralisme, cette vivacité du débat, au sein de la société israélienne, et notamment sur Kikar Hatufim, la place des Otages à Tel Aviv. 

Propos recueillis par Léa Taieb