Si La France Insoumise (LFI) prend autant à cœur la question de l’antisémitisme et si les accusations à son encontre sont aussi graves qu’ils le disent, pourquoi aucun élu n’a pris la peine de se rendre au procès intenté contre Raphaël Enthoven ? C’est la question que pose l’avocat de l’essayiste, Richard Malka, ce mardi 23 septembre à la 17e chambre du tribunal judiciaire de Paris. En effet, le parti n’est représenté que par ses avocats.
Tout a commencé lorsque l’eurodéputé Raphaël Glucksmann a dû être exfiltré de la manifestation du 1er mai 2024 après avoir été pris à partie par des militants de gauche. Raphaël Enthoven avait alors qualifié, sur X, LFI de « mouvement détestable, violent, complotiste, passionnément antisémite », ajoutant « ils sont tellement cons » et « on n’en peut plus de ce club de déficients qui tente de faire entrer le Hamas au Parlement européen ». Le parti de Jean‐Luc Mélenchon a porté plainte contre Raphaël Enthoven pour « injure publique » et réclame 10.000 euros de dommages et intérêts.
Dans la salle d’audience, le public d’une soixantaine de personnes se compose majoritairement des soutiens de M. Enthoven, notamment ses collègues du journal Franc-Tireur. À la lecture des chefs d’accusation, des rires fusent dans la salle, provoquant un rappel à l’ordre des magistrats. Le reste de l’audience – qui durera plus de six heures – se déroule dans le calme.
« Antisémitisme d’atmosphère »
À la barre, Raphaël Enthoven prend le parti de tout assumer. Interrompant presque le magistrat qui le questionne, il semble pressé de se justifier. Lorsque son avocat lui demande de confirmer qu’il n’a pas été payé pour écrire ce tweet, il répond avec sarcasme : « Je fais ce travail bénévolement, pour le plaisir ». Sa voix s’échauffe lorsqu’il décrit LFI comme un parti « délétère », « dangereux », « violent en interne et en externe ». Selon lui, le mouvement instaure un « antisémitisme d’atmosphère », ce qu’il illustre par une série de citations de ses cadres. Il concède cependant : « Est-ce que j’ai jeté de l’huile sur le feu ? C’est possible mais j’avais besoin de le faire ». À la question du lien de causalité entre les discours de LFI et l’agression de Raphaël Glucksmann, il répond qu’on ne peut pas, d’un côté faire un lien direct entre les discours de l’extrême droite et les attaques racistes, et de l’autre ne pas le faire lorsqu’il s’agit de LFI.
L’essayiste, tout comme son avocat, s’étonne que ce soit contre lui seul que la plainte du parti de Jean‐Luc Mélenchon ait été dirigée. Pourtant, rappelle M. Enthoven, Raphaël Glucksmann a eu des mots plus violents que les siens en ce fameux 1er mai, en accusant directement LFI d’avoir provoqué l’altercation. D’autres, comme le député du Parti socialiste, Jérôme Guedj qui avait traité M. Mélenchon de « salopard antisémite », n’ont jamais été poursuivis.
Trois témoins sont convoqués par la défense : Yonathan Arfi, le président du CRIF ; Paul Salmona, le directeur du Musée d’art et d’histoire du Judaïsme et Rudy Reichstadt, politologue et fondateur du site Conspiracy Watch. Ce dernier explique que, si l’antisémitisme, le racisme et le complotisme ne sont pas assignés à un bord politique, les enquêtes d’opinion montrent que l’adhésion aux théories du complot se retrouve surtout aux deux extrêmes du spectre politique.
Banaliser un sujet grave
Dans sa plaidoirie, l’avocat de LFI, Me Mathieu Davy, commence par affirmer que les discours des témoins l’ont « ému » et que le mouvement qu’il représente est « très attaché à la lutte contre l’antisémitisme et toute forme de racisme ». Il explique cependant que les arguments du prévenu sont remplis de « contre-vérités » et l’accuse de pratiquer « l’inversion accusatoire ». Selon lui, la défense ne fait pas la différence entre injure et diffamation : « M. Enthoven a toutes les qualités, mais il n’aime pas le droit », assène‐t‐il. La stratégie est posée : le droit, le droit et uniquement le droit, pour éviter de parler du fond et de la question de l’antisémitisme de LFI. Le sujet est balayé par un argument déjà utilisé maintes fois par le parti : l’antisémitisme est un délit, or aucun militant Insoumis n’a été condamné pour des propos antisémites. « C’est un peu dans l’air du temps de distribuer des qualificatifs d’antisémites à tout le monde », s’énerve Me Davy en accusant l’essayiste de banaliser un sujet pourtant grave.
Marine Viegas, avocate de la défense, entame ensuite une plaidoirie sous la forme de « Dix commandements » qu’elle attribue à LFI. Le premier : « L’injure facile tu auras, quand des autres il s’agira ». Selon elle, « l’injure est le moyen de communication préféré de LFI ». Elle pointe les double standards en rappelant que, lorsque Jean‐Luc Mélenchon a traité Marine Le Pen de « fasciste », il a été jugé que c’était son droit. « La liberté d’expression ne s’applique pas qu’entre adversaires politiques », explique Me Viegas. Elle se lance ensuite dans une liste des propos insultants, injurieux et même antisémites qui ont été jugés comme relevant de l’opinion. « On ne peut pas se proclamer le principal parti de gauche de la septième puissance mondiale et faire plus de sorties de route qu’un pilote de Formule 1 sous champignons hallucinogènes », termine‐t‐elle.
Richard Malka estime grave qu’un parti politique utilise la justice pour tenter de faire taire les critiques de son idéologie. Après l’audience, il se confie à Tenoua sur l’importance de ce procès : « L’enjeu démocratique et moral est crucial. On peut espérer une prise de conscience de ce mouvement sur leurs innombrables dérapages, leur indifférence à l’antisémitisme voire leur mépris et l’avalanche de préjugés qui sont les leurs. On peut espérer la fin des amalgames, des assignations identitaires, de la négation de l’existence même de l’antisémitisme, on peut espérer… mais je crains que l’antisémitisme ne soit un chemin sans retour. Or entre dragons célestes, jeux de mots sur les camps ou les fours, déclaration sur l’antisémitisme résiduel, indifférence aux meurtres de Mohammed Merah ou au viol d’une jeune fille de douze ans… ils sont allés très loin sur ce chemin. Sans oublier les caricatures dignes du IIIe Reich sur Cyril Hanouna. »
La décision est attendue le 6 novembre.