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« Ce que j’ai vu à Auschwitz. Les cahiers d’Alter », un témoignage exceptionnel

Dans un document bouleversant à la mise en page intelligente, s’écrit le témoignage d’Alter Fajnzylberg, Sonderkommando durant 18 mois à Birkenau, des textes écrits en polonais immédiatement en 1945, désormais traduits en français et publiés par la volonté de son fils, Roger Fajnzylberg, qui créent « un livre‐​objet qui devrait figurer dans toutes les bibliothèques », explique Brigitte Sion.

Publié le 23 octobre 2025

4 min de lecture

Ce que j'ai vu à Auschwitz - Les cahiers d'Alter, présenté par Roger Fajnzylberg, Seuil, 2025, 33 €

Lire l'entretien avec Roger Fajnzylberg

C’est un témoignage extrêmement rare, celui d’Alter Fajnzylberg qui a passé 18 mois comme Sonderkommando à Auschwitz. C’est aussi l’un des premiers témoignages écrits, puisqu’il a noirci des cahiers de son écriture appliquée dès 1945, après avoir décrit, devant des commissions d’enquête, ce qu’il avait vu à Auschwitz. C’est enfin un document exceptionnel qui vient d’être révélé au public 80 ans après sa rédaction, grâce à la volonté de son fils, Roger Fajnzylberg, qui a fait traduire du polonais les cahiers de son père et les a enrichis d’une introduction à la fois historique et personnelle, d’une biographie d’Alter par Alban Perrin, le traducteur, et d’une préface de Serge Klarsfeld. 

À l’origine de ce livre, il y a une simple boîte entourée d’une ficelle, dans laquelle Alter a placé ses cahiers. Roger connaît l’existence de la boîte, mais pas de son contenu. Longtemps après la mort de son père (en 1987), après un voyage commémoratif avec des orphelins de Buchenwald en 2005, il se décide à ouvrir la boîte. Son contenu, en polonais lui échappe. Il faudra vingt ans de travail, de traduction, de conservation, de recherches historiques et personnelles pour faire justice au témoignage d’Alter et le replacer dans le contexte plus large de sa vie et de son engagement politique.

Le graphisme de ce livre fait presque penser à une page du Talmud : à gauche, la page manuscrite du cahier en polonais, numérisée en couleur ; à droite, la traduction française, souvent annotée, qui suit les lignes du manuscrit en regard ; en dessous, la transcription en polonais du texte manuscrit, dans une police de caractère différente et beaucoup plus petite. 

Les cahiers d'Alter – pages intérieures

Ces pages sont courtes et elles se lisent vite, pour être relues immédiatement, tant le contenu est factuel et personnel à la fois, concis et dense. Alter a fait œuvre de mémoire, œuvre de témoin alors qu’il était encore détenu à Auschwitz. Rien ne lui échappe. En tant que membre du Sonderkommando, chargé avec d’autres détenus juifs de vider les corps des chambres à gaz, il est un témoin oculaire de l’extermination des Juifs par les nazis dans toutes ses étapes. En tant que témoin, il ne devait pas survivre. Et pourtant, il a passé 18 mois dans le Sonderkommando et il n’a cessé de prendre des notes mentales de ce qu’il voyait pour, un jour, le raconter, l’écrire, le partager. Des descriptions factuelles mais détaillées, des noms, des descriptions de souffrances, de rêves et des réflexions qui l’ont habité. 

Il parle de tout ce qu’il voit, les exactions commises par les bourreaux, la solidarité entre déportés, les mesquineries entre déportés, les hommes qui abusent des femmes, des femmes qui se prostituent pour survivre, ceux qui se suicident, ce qui tentent des actes d’héroïsme et ceux qui attendent. Il existe peu de témoignages de Sonderkommandos – on pense surtout à ceux de Shlomo Venezia et Daniel Bennahmias, deux Juifs grecs. Le récit d’Alter est d’autant plus précieux qu’il a aussi participé à la prise de photos clandestines. 

Mais la personne d’Alter fascine par son parcours atypique, reconstitué par son fils Roger et plusieurs historiens : un Juif polonais né en 1911, engagé très tôt dans les brigades internationales, en rupture avec son judaïsme, qui part combattre en Espagne, se retrouve à Paris où il est arrêté et déporté en mars 1942 dans le premier convoi qui part pour Auschwitz avec 1.100 personnes. Dix‐​huit mois d’enfer à Auschwitz, où il manque de mourir cent fois. Ensuite, il y a son évasion en 1945, au moment de l’évacuation du camp car l’Armée rouge est proche : comment il survit avec un camarade dans une meule de foin, comment il est aidé par des paysannes polonaises qui le nourrissent et comment il retrouve la liberté qu’il chérissait tant. 

Le récit d’Alter s’achève avec la rédaction de ces cahiers après son témoignage auprès de deux commissions d’enquête. C’est ensuite que commence le récit de Roger et des historiens qui ont mis la main sur l’acte de naissance d’Alter, une biographie, des photos et d’autres documents qui permettent d’enrichir le portrait d’un homme resté discret sur les années de guerre.

C’est aussi la voix d’un fils qui reconstitue l’itinéraire de ses parents, comprend mieux leurs silences et leur volonté de le préserver et accepte sa mission de mémoire en tant que fils de déportés. 

Cet ouvrage est magnifique, par son contenu inédit et son style retenu, pudique mais poignant. Il est magnifique dans sa forme, avec ces pages en dialogue, en traduction, en transcription, en couleur et en noir‐​blanc. Les cahiers sont encadrés par une introduction très émouvante de Roger Fajnzylberg et par une biographie d’Alter par Alban Perrin. 
L’ensemble est un livre‐​objet qui devrait figurer dans toutes les bibliothèques.