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Élection de Mamdani à New York : un symptôme plus qu’un syndrome

Cette semaine, Zohran Mamdani a été élu maire de New York. Inconnu du public il y a à peine un an, ce musulman revendiqué aux positions tranchées sur Israël, a recueilli 30 à 40% du vote juif (jusqu’à 60% chez les jeunes). Tenoua a demandé au New‐​yorkais David Isaac Haziza son sentiment sur ce scrutin et ses implications.

Publié le 7 novembre 2025

6 min de lecture

CC BY 2.0 edenpictures

Antoine Strobel-Dahan - Zohran Mamdani vient de remporter la mairie de New York avec un discours "radical" et une campagne singulière, clivante et controversée. Est-il réellement un anti-Trump ou est-il un miroir inversé de Trump ?

David Isaac Haziza – Mamdani est effectivement un miroir inversé de Trump dans la mesure où les deux répondent au même désespoir. Ce désespoir, c’était déjà ce dont parlait le sociologue Robert Putnam dans Bowling alone il y a plus de vingt ans, et il n’est pas le seul, des livres – y compris des romans, des films l’ont évoqué : c’en est fini des grands collectifs et même des petits ; l’Amérique est désunie, les gens sont esseulés, désaffiliés. D’où les tueries de masse d’ailleurs, qui sont bien plus le produit de cette situation que de la libre circulation des armes… Et tout ça donne MAGA [Make America Great Again, slogan politique de Donald Trump] d’un côté, et Mamdani de l’autre. Les deux mouvements sont semblables, oui, les causes sont les mêmes. Sans avoir les mêmes effets, c’est sûr – ni, pour commencer, la même géographie : être esseulé et privé de collectif est très différent dans une grande ville comme New York ou dans la ruralité du nord de l’État de New York, dans le Missouri… Alors les trumpistes ne veulent évidemment pas de la sécurité sociale universelle ou des propositions généreuses (parfois irréalisables) d’un social‐​démocrate comme Mamdani mais, pour autant, ils sont eux aussi nostalgique d’une époque où la relative absence d’État‐​providence était compensée par une espèce de socialisme immanent : l’église, la community (le quartier au sens le plus resserré), le bénévolat, etc. C’est la même nostalgie, qui s’exprime différemment. Et le même désir de changement.

ASD - New York est réputée être la plus grande ville juive au monde. La communauté juive new-yorkaise s'est scindée sur cette élection avec une partie des Juifs (y compris des rabbins) qui a appelé à voter Mamdani quand une autre s'y refusait absolument. Quel pourrait être l'impact de cette élection sur la communauté juive new-yorkaise ?

DIH – Globalement, les rabbins new‐​yorkais se sont vivement opposés à Mamdani, et cela va du mouvement réformé aux haredim. Il y a effectivement eu un soutien à Mamdani de la part de rabbins Satmar, une importante hassidout ici, connue pour son antisionisme et son attachement au yiddish, mais aussi pour son robuste système éducatif et son rôle dans divers organismes de bienfaisance – et aussi pour quelques scandales et pas mal de divisions internes ! À part eux, rien. Il faut comprendre que la Modern Orthodoxy (qui serait l’équivalent américain du judaïsme consistorial mais avec une bien meilleure formation des rabbins et, dans certains cas, une ouverture revendiquée sur la question du féminisme), est composée de gens qui votaient démocrate depuis toujours par tradition, comme les autres Juifs. Or c’est ce segment des Juifs américains qui s’est le plus droitisé ces vingt dernières années. Eux n’ont évidemment pas appelé à voter Mamdani ! Ils avaient un peu de mal avec Trump au début, plus du tout, et là, on parle d’un candidat non pas seulement opposé à Trump, mais ayant tenu des propos indignes à l’égard d’Israël et du projet sioniste (meme sous sa forme progressiste). Cela dit, je connais des Modern Orthodox qui, individuellement, ont bel et bien voté pour lui et on m’a dit qu’il y en avait plus que ce qu’on pourrait croire, des jeunes ou, je cite une mauvaise langue, « des petites vieilles de l’Upper West Side qui vendraient leur âme pour que leur loyer n’augmente pas ». Au niveau individuel, de toutes les manières, c’est très différent : un nombre important de Juifs, y compris de Juifs affiliés à une communauté, ont voté pour Mamdani – et ce nombre est assez considérable chez les jeunes Juifs. Il faut dire que les Juifs « galèrent » comme les autres dans cette ville…

Résultat : la division au sein de la communauté juive est immense. Et au‐​delà ! Je ne me souviens pas avoir vu des regards aussi haineux entre les gens que ce que j’ai vu au lendemain de sa victoire électorale. J’ai vu des gens se hurler dessus en pleine rue – et pour des raisons politiques, c’est un niveau de tension très inhabituel ici à New York.
Par parenthèse, un peu de prudence quant au côté « musulman pratiquant » de Mamdani : ce pourrait aussi bien être une posture. Mamdani est marié à une artiste engagée pour les droits des femmes et qui n’est pas voilée. Elle est au contraire très coquette et le revendique ! Il est né d’une mère hindoue et d’un père à ma connaissance plutôt agnostique, quoique de culture musulmane, issu de la communauté indo‐​pakistanaise d’Ouganda. Il hérite d’un islam culturel, en partie choisi – et d’ailleurs il se décrit comme chiite duodécimain, non pas comme sunnite. Ce qui m’interpelle plus, c’est le côté « religion des damnés de la Terre », l’islam comme religion essentielle des opprimés. C’est une vision absurde quand on considère la richesse des puissances esclavagistes du Golfe, mais beaucoup de gens à gauche la partagent et en effet, ça peut faire peur. 

ASD - Cela nous amène à la question du gouffre générationnel au sein du judaïsme américain, où il semble que la jeune génération ne place plus les mêmes enjeux (Israël notamment) aux mêmes endroits ?

DIH – Je pense qu’Israël n’est pas un aussi grand enjeu pour les Juifs américains que pour ceux de France. Et par ailleurs, en effet, cela doit jouer. Je peux imaginer que certains enfants de militants de l’AIPAC seraient moins concernés par les combats de leurs parents. Mais ce n’est pas juste un gouffre générationnel. Il y a des milieux très sionistes ici, d’autres pas du tout – ou alors très très à gauche sionistement parlant ! Et dans certains cas, ceux qui ne le sont pas, ou qui sont très à gauche, sont quand même plutôt affiliés, comme Juifs. C’est très différent de la France. Ces jeunes gens sont des Juifs assumés, et ils ont voté Mamdani. Il faut bien comprendre que beaucoup de ces jeunes gens, parfois diplômés et avec des bons jobs, constatent une chose : ils vont devoir quitter New York, pas à cause de l’antisémitisme, mais parce qu’ils ne peuvent plus se payer la vie new‐yorkaise. 

ASD - Que dit cette élection du lien des Juifs de New York à Israël, étant entendu que Mamdani a eu des propos non seulement propalestiniens mais aussi franchement anti-israéliens ?

DIH – Ça dit que l’élection de Mamdani, ou plutôt le vote juif pour Mamdani, est encore une nouvelle défaite de l’Israël Nétanyahou. Voilà ce que je pense. Et c’est terrible d’ailleurs, parce que c’est tout Israël qui est rejeté – et c’est injuste. Mais oui, cela fait 20 ans que Nétanyahou vient montrer tout son mépris à la communauté juive américaine. Israël sous Nétanyahou a tout raté, en interne et en externe. Ce Premier ministre, qui confisque le pouvoir depuis 20 ans, n’a rien compris à la plus grande communauté juive de diaspora. Il faut avoir conscience que l’Israël Nétanyahou ne reconnaît pas leur judaïsme, ne reconnaît pas leurs rabbins – même des conversions orthodoxes ont été refusées, par exemple, tenez‐​vous bien, dans la synagogue Kehilat Yeshurun, celle de la famille Kushner, de la propre fille de Trump ! Ça a fini par se régler mais cela montre la rupture et le dédain qui existe de la part de l’administration israélienne, y compris religieuse, envers la communauté juive américaine. Par conséquent, ce n’est pas seulement qu’Israël n’est pas une priorité pour ces électeurs Juifs, c’est surtout qu’il existe maintenant une hostilité, une détestation même, presque physique aujourd’hui, envers ce qu’est devenu Israël. C’est évidemment un mélange de faux et de vrai, et parfois cette gauche juive américaine est injuste – ou très naïve quant a l’islam ! Mais la rupture est réelle, même en milieu orthodoxe – du moins à Manhattan où les Modern Orthodox sont moins droitisés qu’ailleurs, et les jeunes parmi eux encore moins.

ASD - Juste avant l'élection, Donald Trump a dit que "les Juifs qui votent pour Mamdani sont des idiots". Il y a un an, avant son élection, il ciblait aussi les Juifs, les accusant par avance de sa possible défaite. Que pensez-vous de ce ciblage systématique des électeurs juifs par Trump ?

DIH – À mon avis, Trump est vexé, c’est une question d’orgueil. Il se dit qu’il fait tellement de choses pour eux : pourquoi diable ces gens ne l’aiment-t-il pas ? Or la haine anti‐​Trump est effectivement très forte chez les Juifs, très forte. Trump ne l’accepte pas. 


David Haziza est l'auteur de Dibbouk, un Substack que Tenoua vous recommande.
En 2024, il a publié Mythes juifs : Le retour du sacré, chez Calmann Lévy