Depuis les années quatre-vingt-dix le zoo de Jérusalem – initialement créé dans les années quarante – a été refondé et réinstallé dans une vaste et verte vallée du faubourg Manahat (connu sous le nom de Malha) de Jérusalem. Il offre un programme qui privilégie aussi bien la préservation des espèces menacées que les collections d’animaux représentés sur la terre d’Israël et tout spécialement les animaux mentionnés dans la Bible pour lesquels l’exposition signale chaque passage du texte comportant une référence. C’est pourquoi le zoo de Jérusalem ou « Jardin zoologique famille Tisch », du nom de ses mécènes, s’appelle aussi le Zoo biblique. Il a le projet de développer la sensibilité du public aux valeurs de la nature et aux nécessités d’une meilleure compréhension de l’environnement. Mais il est aussi question de transmettre aux plus jeunes une des valeurs du judaïsme : l’amour des animaux en tant qu’élément indispensable de notre propre humanité.
Dans ce but, la Jerusalem Foundation et la municipalité de Jérusalem ont commandé une œuvre artistique originale à Niki de Saint Phalle et à l’architecte suisse Mario Botta. Son élaboration s’engage dès 1995 pour n’être achevée qu’en 2001, peu de temps avant la mort de Niki de Saint Phalle. Il s’agit de réaliser un parcours ludique pour les enfants à travers la représentation de statues d’animaux (vingt-deux seront commandées) culminant dans un dispositif de présentation évoquant l’Arche de Noé. Cette partie de la commande est réalisée par Mario Botta.
Niki de Saint Phalle (1930- 2002), une artiste française de naissance et de nationalité américaine, s’est faite connaître à partir des années soixante comme peintre et sculptrice ayant adhéré aux principes de l’école post-moderne des Nouveaux Réalistes avec Klein et surtout Tinguely. C’est à partir de 1994 qu’elle se lance dans la conception d’une série de représentations d’animaux commandée par la Jerusalem Foundation pour son Zoo biblique. Pour ces volumineuses statues dont l’image doit posséder à la fois une puissance onirique et un charme naïf et rassurant sans être trop symbolique, Niki de Saint Phalle emploie sa technique évoquant des émaux cloisonnés multicolores de céramiques et de verre.
Ayant déjà travaillé sur la mise en espace de ses personnages-mosaïques dans des décors naturels, elle œuvre, avec l’architecte suisse Mario Botta, à leur implantation dans un ensemble qui doit offrir une série d’étapes au sein d’un jardin pédagogique. Niki de Saint Phalle s’était liée d’amitié avec lui dans le cadre de la mise en espace de sa donation au musée Jean-Tinguely de Bâle (cinquante-cinq sculptures en hommage à leur aventure artistique initiale).
Mario Botta est né en 1943 dans le Tessin, partie italophone de la Suisse. Il poursuit sa formation d’architecte en Italie. Il commence par l’apprentissage à Lugano dès 15 ans mais est vite amené à intégrer les écoles d’architecture de Milan puis Venise. C’est là qu’il devient l’élève de Carlo Scarpa et a l’occasion de travailler pour Le Corbusier et Louis Kahn qu’il reconnaîtra comme ses maîtres.
Son style d’architecture préserve les structures imposantes et protectrices à l’encontre des architectures dont la « peau » du bâti doit presque s’évaporer, se fondre dans la transparence. Ainsi, Botta choisit des formes tirées d’une grammaire régulière : très géométriques. Il adopte aussi des matériaux assez primaires comme la brique ou le bloc de pierre taillé. Il reconnaît volontiers rechercher une valeur assez primitive à ses structures. Elles doivent être comme des grottes ou des forteresses : protectrices et suggestives.
Pour la commande du Zoo biblique, l’Arche de Noé, référence biblique mais aussi archétype de la protection animale, Mario Botta recourt à une forme respectant ses règles personnelles tout en laissant la place au mythe et à son interprétation.
Au point culminant du jardin paysager où sont déployées les statues de Niki de Saint Phalle, Botta décide d’une structure « négative » : une excavation dans le sol. La forme est régulière, le dessin en vue aérienne évoque presque le fossile d’un trilobite préhistorique. L’arche elle-même est composée d’une partie à ciel ouvert : un petit amphithéâtre qui donne à son tour une continuité antique au décor et de nombreuses possibilités didactiques, et d’une partie sous-terraine qui reprend exactement la forme d’une nef, le ventre d’un bateau.
Conformément à ses principes, Botta amène paradoxalement beaucoup de lumière à sa structure sous-terraine. Cette lumière parvient par l’ouverture vers l’amphithéâtre à l’avant qui fonctionne comme une soute vers l’étrave du bateau imaginaire. Elle est aussi distribuée par les grilles claires-voies qui suivent toute la longueur de la construction et accompagnent à l’intérieur, par des traits de lumières parallèles, toutes les lignes droites formées par les côtes en gradins de brique représentant la carène de l’Arche intérieure.
L’objet architectural prend donc une profondeur particulière car il devient l’occasion d’une série d’interprétations symboliques à la manière des textes eux-mêmes.
Mario Botta conjugue dans son arche « en creux » de multiples paradoxes : la lumière distribuée sous le sol, la rigueur des formes et l’accueil apaisant d’une coque protectrice, la gravité des lignes droites symbolisant la rectitude de la pensée avec les courbes de l’amphithéâtre symbolisant les cercles de la parole. Et au milieu de toute cette marque de l’humanité appliquée à construire, la naïveté émouvante d’un monstre multicolore, symbolisant l’animal se contentant d’exister.
Le judaïsme a toujours fait prévaloir la dignité de la vie animale. L’homme partage la terre avec les animaux. Il ne doit pas leur nuire sans raison et il doit même savoir en préserver la vie car le monde animal procède en toute légitimité du projet de l’Éternel auquel l’homme doit apporter tout son concours.
Le judaïsme possède donc, dès l’origine, cette conviction, qui n’est souvent ailleurs qu’une intuition récente, de la nécessité d’une préservation des êtres pour l’harmonie du monde.