Les premiers musées-mémoriaux de la Shoah ont vu le jour quelques années après la guerre, tant sur lesite même des crimes commis (Auschwitz) que dans des lieux où se trouvèrent un grand nombre de rescapés (Israël). Établis souvent dans l’urgence, ces musées dédiés à une histoire traumatique ont dû changer leur muséographie au fil du temps, en accord avec les recherches historiographiques, les développements technologiques et les nouvelles générations de publics. On dit qu’un lieu de mémoire est le reflet de la société qui l’érige à une époque donnée. On le remarque immédiatement dans certains musées-mémoriaux qui ont fait du « bricolage » plutôt que de se réinventer : vitrines poussiéreuses, panneaux explicatifs monolingues et narration très politisée (nationaliste dans certains mémoriaux en Italie ou en Grèce, prosoviétique dans des expositions qui n’ont pas été mises à jour à Auschwitz, Sachsenhausen et ailleurs à l’Est). Parmi les « pavillons nationaux » du musée d’Auschwitz, celui de l’Italie, inauguré en 1980, a été déclaré obsolète par le Conseil du Musée et fermé en 2012. Les textes de cette représentation multimédia (pour l’époque) avaient pourtant été rédigés par Primo Levi et la bande sonore par Luigi Nono, pour ne citer que les artistes les plus connus. Le gouvernement italien avait débloqué 900000 euros pour une nouvelle exposition nationale, mais rien ne s’est concrétisé. Aujourd’hui, l’exposition a été remisée à Florence et le Block 21 va être proposé à un autre pays.
À l’heure où les derniers survivants font d’ultimes visites guidées, les musées de la Shoah (et, plus généralement, les musées historiques juifs) doivent relever cinq défis pour rester pertinents :
Avec la disparition des derniers témoins, l’utilisation de témoignages audiovisuels est essentielle; elle contribue aussi à rendre le propos plus ciblé en sélectionnant des extraits spécifiques, par exemple sur les enfants dans le ghetto, la « sélection » à l’entrée du camp, ou la libération. Un exemple réussi : la nouvelle exposition de Yad Vashem.
Plutôt que de diaboliser la technologie, certains musées ont su l’utiliser intelligemment à des fins didactiques : engagement participatif des visiteurs, reconstitution d’ambiances sonores, utilisation d’archives visuelles, etc. Un exemple d’échec : le Musée juif de Berlin, dont le parcours interactif, élaboré au début des années 2000, abuse de gadgets et de jeux abêtissants avec presse-bouton et joysticks (« Lequel de ces objets Glückel de Hameln n’avait pas dans son sac de voyage ? – Bonne réponse! Elle n’avait pas de téléphone portable »). Fort heureusement, l’exposition permanente sera entièrement refaite d’ici 2018. D’autres musées, spécifiquement dédiés à la Shoah, se sont laissés séduire par une « approche Disneyland » comme Yad Mordehaï, un kibboutz dans le sud d’Israël, dont les visiteurs font « l’expérience » du ghetto de Varsovie avec une étoile jaune éphémère projetée sur leurs vêtements.
Faut-il rénover un camp d’extermination qui tombe en ruines ? Doit-on montrer la réplique d’un objet que l’on ne possède pas, ou trouver des alternatives intangibles ? Les réponses à cette question délicate sont diverses : certains musées qui avaient pris le parti d’exposer des reproductions préfèrent aujourd’hui trouver d’autres solutions. Un exemple récent : le nouveau Musée de l’histoire des Juifs de Pologne (Polin) à Varsovie a opté pour des installations virtuelles faute d’objets authentiques dans sa très jeune collection (ou absence de collection).
Le vieux débat entre historiens s’est déplacé au sein des musées-mémoriaux : Faut-il parler exclusivement de la Shoah, ou en tirer aussi des leçons universalistes s’appliquant à d’autres génocides, qu’il faut alors mentionner? Parmi les thèmes universalistes, on trouve la discrimination raciale, le souvenir des victimes, les procès de criminels, les réparations, le renouveau démocratique. C’est le choix qu’ont fait la Maison d’Izieu, le Mémorial du Camp des Milles et le Mémorial du Camp de Rivesaltes. C’est aussi le choix, nettement moins réussi, du Musée de la Tolérance (dépendant du Centre Simon Wiesenthal) à Los Angeles.
Qui sont les visiteurs des musées historiques ? Sont-ils en majorité locaux et nationaux, ou étrangers ? Voit-on surtout des scolaires ou des particuliers ? S’adresse-t-on à un public essentiellement non-juif ? On ne peut faire l’économie d’une analyse de son public pour répondre adéquatement à ces questions et penser son exposition permanente en conséquence. Un musée juif dans une région sans communauté juive qui accueille chaque jour une classe d’élèves n’ayant jamais vu de juif a sans doute un rôle tout aussi essentiel à jouer qu’un grand musée établi dans une métropole avec une vie juive épanouie. À chaque institution d’évaluer sa mission et sa muséographie en tenant compte de la nature de ses visiteurs.
Aujourd’hui, il ne suffit plus d’avoir quelques objets authentiques (deux chandeliers de shabbat et un manteau de Torah), un lieu spécifique (une vieille synagogue) et quelques panneaux (inspirés d’Internet) pour se prétendre musée et remplir une mission pédagogique, historique et culturelle. Mais devant les nouveaux défis muséographiques, les musées juifs en général et de la Shoah en particulier, grands ou petits, intrinsèquement liés à un lieu ou pas, se doivent de constamment repenser leur mission et leur exposition pour rester pertinents et garder une raison d’être.