
Chère Blanche,
Au début, quand on m’a dit que vous m’aviez écrit une lettre, je n’y ai pas cru: j’ai pensé que c’était un sketch.
D’ailleurs, je me suis dit que ça tombait bien parce que cette semaine, les Juifs fêtent Pourim: ils se font des plaisanteries pour tenter de tenir le malheur à distance, et pour se dire que, malgré tout ce qui leur est arrivé et toute la haine qui s’est déversée sur eux d’époque en époque, ils parviendront encore à rire.
Bref, je n’y ai pas cru, quand on m’a dit que vous m’aviez écrit une lettre, pour me parler de votre souffrance. J’ai été évidemment touchée que vous preniez cette peine, mais aussi, très surprise de constater que, plutôt que de vous adresser directement à moi, vous aviez préféré la publier sur les réseaux sociaux.
Alors, je me suis demandée si c’était à moi que vous vouliez parler … ou à quelqu’un d’autre, en faisant semblant de m’envoyer un message. Moi, quand je souhaite avoir une conversation personnelle avec quelqu’un, je choisis plutôt de l’appeler, de le rencontrer ou de lui écrire directement.
Dans cette lettre publique donc, vous me demandiez de retirer de mon fil une publication qui serait ”diffamatoire”.
Et là, j’avoue qu’à nouveau, je me suis demandée plusieurs choses :
– pourquoi vous adressiez-vous à moi, qui ai simplement relayé une vidéo (à mon sens pertinente), et non à son auteur?
– pourquoi qualifiez-vous de “diffamatoire” cette analyse très factuelle d’Elishéva Gottfarstein, postée sur le site Akadem ?
– et aussi, pourquoi n’avoir pas précisé à quelle vidéo vous faisiez référence: des gens qui vous lisent sur Facebook cherchent depuis, partout, en vain, un texte que j’aurais personnellement écrit vous concernant.
Vous le voyez, je me pose beaucoup de questions. Les rabbins font souvent cela… mais, pour être honnête, je n’ai pas toujours besoin d’avoir des réponses.
Par exemple, lorsque vous m’affirmez que vous n’êtes pas antisémite du tout, parce que, dites-vous, vous êtes “de gauche” et avez des “cousins juifs “ (sic)… je suis tout à fait disposée à vous croire. Mais admettez que là n’est absolument pas le problème.
La question aujourd’hui n’est pas de savoir qui est antisémite, qui ne l’est pas du tout ou rien qu’un peu, mais qui, dans son discours, ses actes, ses alliances ou ses silences promeut ou nourrit cette haine?
Mettre en avant une instrumentalisation de l’antisémitisme par des Juifs sans jamais rappeler avec force la terrible réalité dans notre pays de cette haine qui a tué des enfants, menacé physiquement tant d’autres et pousse de milliers de citoyens à vivre cachés ou dans la peur…
Ne pas percevoir combien votre parole – qui n’est pas antisémite – crée de désinhibition d’autres paroles tout à fait antisémites qui inondent vos commentaires, et ma messagerie.
Ne pas percevoir ce que votre solidarité avec des collectifs antisionistes qui jouent si souvent de la rhétorique antisémite traditionnelle ou se réjouissent de massacres de Juifs, a de problématique…
Voilà ce que la “non-antisémite” que vous êtes doit interroger, avec l’honnêteté que je n’oserais vous nier.
Vous appelez à la reconnaissance de la souffrance humaine où qu’elle se trouve. J’y souscris pleinement. Et vous conviendrez qu’au Proche-Orient, elle se trouve en tant et tant de lieux, dans tant de vies, chez tant de familles innocentes qui pleurent leurs enfants assassinés, ensevelis, kidnappés, endeuillés. Côté palestinien et côté israélien. Et qu’il nous revient d’appeler TOUS à la fin des injustices, et à la reconnaissance du droit des uns et des autres à un État (c’est le sens du sionisme pour les Juifs et du combat légitime palestinien). Toute critique d’un gouvernement ou d’une politique est légitime (et souvent essentielle), sur la base de la reconnaissance évidente du droit de l’autre à exister.
La lutte essentielle pour les droits des Palestiniens, pour rester pleinement légitime, ne doit tolérer aucune rhétorique à relent antisémite. Suggérer que les Juifs instrumentalisent leur douleur, l’exagèrent ou la “provoquent” eux-mêmes est insupportable, comme l’est de leur dire qu’on ne les soutiendra que (je vous cite) s’il “refusent de se laisser embastillés dans le projet sioniste” (sic), c’est-à-dire s’ils refusent l’idée d’un refuge territorial, au cœur d’un monde qui leur est si hostile.
Voilà donc, chère Blanche, ce que j’ai à vous dire en réponse à cette lettre qui m’était (peut-être) adressée: je me fiche de savoir si vous êtes antisémite ou absolument pas.
Ce qui m’importe est de savoir comment vous luttez contre l’antisémitisme, avec la même force et la même conviction que vous placez dans le combat pro-palestinien.
J’ai souvent ri en écoutant vos sketchs… et j’espère, de mon côté, vous avoir fait réfléchir.
Malheureusement, les rabbins ne sont pas toujours très drôles. J’ai cru comprendre qu’il en était de même pour les humoristes. Mais rassurez-vous, je n’ai vraiment rien contre les humoristes, j’ai d’ailleurs un cousin humoriste.
Delphine Horvilleur