Le nouveau film d’animation réalisé par Véra Belmont Les Secrets de mon père, adapté de le roman graphique de Michel Kichka Deuxième génération – Ce que je n’ai pas dit à mon père s’ouvre tout en douceur. Le dessin-animé est emprunt de la nostalgie de l’enfance, des bêtises entre frères, des jeux de cours d’école et des premières amours. Pourtant, au-delà des lignes claires du dessin et des voix enjouées des enfants, rapidement la narration se densifie et s’assombrit, marquée par l’ombre de la Shoah qui plane, d’abord non dite, sur l’image d’Épinal de cette famille belge des années soixante.
Cette famille, vue à hauteur d’enfant, c’est celle de Michel et de son petit frère Charlie. Leur père est revenu d’Auschwitz. Lieu effrayant et nimbé de mystère pour les deux petits garçons qui mettent en œuvre une série de stratagèmes pour percer le secret de leur père. En vain. Au fil du temps et d’événements fondateurs, comme le procès Eichmann, la parole des témoins se libère. Le père de Michel va parler, il va même beaucoup parler; à des étudiants d’abord, au grand public réuni devant sa télévision ensuite. Mais pas à ses enfants. Jamais. Séparés par ce silence, Michel et son père trouvent tout de même un langage commun : le dessin. Michel en fera son métier. Charlie, peut-être faute de mots communs, trouvera quant à lui une manière autre et radicale d’exprimer la souffrance de cette deuxième génération suivant l’extermination des Juifs d’Europe. Le silence du père ne protégera pas ses enfants, bien au contraire. Emprunt d’une authentique volonté pédagogique (on croise certaines des images emblématiques des camps ou d’Eichmann à Jérusalem), ce documentaire s’adresse évidemment aux enfants à partir de 10 ans mais son scénario subtil (co-signé par Valérie Zenatti) nous emporte tous. À travers le personnage du père de Michel, le film met en abyme une thématique encore trop souvent passée sous silence: celle de la figure du témoin et la manière dont, tout au long de la fin du XXe siècle, elle s’est construite, immense et solitaire, avec ses failles si profondément humaines.
A l’occasion de l’avant-première des Secrets de mon père à Paris, une rencontre entre Delphine Horvilleur, Michel Kichka, Eliott Covrigaru et Valérie Zenatti a eu lieu le 11 septembre 2022 au Mémorial de la Shoah, regardez la ici.
1Voir à de propos l’entretien avec Michel Kichka en pages 19 et suivantes du numéro hors-série de 2016 de Tenou’a