Diane Richard, une alliée éprise de justice

Depuis quelques mois, Diane Richard est une personnalité militante qui a émergé dans nos bulles “lutte contre l’antisémitisme, le complotisme et le négationnisme” sur les réseaux sociaux. Comment a-t-elle atterri ici, dans notre chambre d’écho? À la suite de la marche du 25 novembre 2023, la militante féministe a dénoncé la volonté d’exclusion des femmes juives de certaines organisations féministes. Après plusieurs vagues de harcèlement, Diane Richard continue son combat contre l’aveuglement militant à gauche. Contre l’antisémitisme déguisé en antisionisme. Portrait d’alliée.

Diane Richard – photo © Jennifer Buckle

Un jour, je ne sais plus qui de ma bulle algorithmique a partagé en story une publication de Diane Richard. Une deuxième personne a suivi. Une autre encore. Pourquoi tant d’engouement? Diane Richard décrivait ce que l’on appelle le gaslighting et citait Hélène Frappat pour définir ce terme “une entreprise de manipulation de l’autre qui vise à sa déshumanisation”. Sur plusieurs slides, son raisonnement se déployait: “des personnes non juives expliquent aux Juives et Juifs ce qui est ou n’est pas de l’antisémitisme, comme des hommes expliquent aux femmes ce qui est ou n’est pas du sexisme”. C’est ainsi que j’ai commencé à suivre les prises de parole de Diane Richard, “militante féministe, écologiste et antiraciste”, comme l’indique son compte Instagram. 

Son histoire militante commence en 2021. Elle grandit dans un milieu plutôt bourgeois, entourée d’un père avocat, “orienté à droite voire très à droite”, avec lequel elle débat déjà, et d’une mère, de nationalité allemande, qui ne vote pas. “Ce qui m’a toujours permis de sortir de ma bulle. De me rendre compte de ce qu’il se passe ailleurs, hors des milieux militants”. 

En étudiant à Sciences Po, elle s’éveille au féminisme à travers des cours qu’elle choisit et des textes fondateurs qu’elle apprivoise. À l’été 2021, Diane Richard rejoint #NousToutes, le plus grand collectif féministe de France qui lutte contre les violences sexistes et sexuelles, “je faisais alors partie d’un comité local”. Après quelques actions sur le terrain, en septembre, elle est cooptée à la coordination nationale. Elle s’en étonne encore: “J’ai été surprise par la rapidité comme par le processus de désignation, sans vote ni mandat. Un entretien suffisait”. Même si elle se pose des questions sur sa légitimité à occuper une telle place, elle vit sa première année comme une “lune de miel”. “Je n’avais jamais noué de liens aussi forts dans un groupe: on se retrouvait chaque semaine en visio et, le reste du temps, on échangeait sur WhatsApp”. Diane Richard et d’autres militantes sont chargées de l’organisation de la marche du 20 novembre 2021. “C’était incroyable de réussir à réunir plus de 80.000 personnes autour des droits des femmes”. L’année suivante, la militante alors au chômage dévoue tout son temps au collectif et frôle le burn-out militant. Elle alerte sur certains dysfonctionnements et sur le mode de décision de la coordination nationale qu’elle ne juge pas assez démocratique: “Seul un petit groupe décidait d’une direction qui impliquerait l’ensemble du collectif. Les comités locaux étaient rarement sollicités, rarement prévenus”. 

En juillet 2023, Nahel, un adolescent de 17 ans, est abattu par un policier après un contrôle. “#NousToutes décide donc de soutenir les manifestations organisées en réaction à ce drame, de s’allier à des associations antiracistes. Mais, certaines militantes dont je faisais partie ne comprenaient pas pourquoi des militants accusés de violences sexuelles dont Taha Bouhafs revenaient sur le devant de la scène et, surtout, pourquoi ils n’étaient pas dénoncés par le collectif”. Diane et d’autres ont le sentiment que la question féministe passe au second plan, que certaines militantes laissent faire par “volonté d’être de bonnes alliées antiracistes”. Après deux ans de bons et loyaux services, Diane Richard quitte la coordination nationale “en bons termes” pour revenir dans son comité local. 

7 octobre 2023. Que se passe-t-il dans son esprit? “Je ne sais plus ce que j’ai pensé, je n’étais pas du tout sensibilisée, ni à la question de l’antisémitisme, ni à la question du conflit au Proche-Orient”. Pendant quelques jours, elle ne sait pas quoi dire. Le 11 octobre, elle partage une publication rédigée en anglais dans sa story qui dit : Il est possible de soutenir les droits des Palestiniens et la fin de l’occupation sans pour autant soutenir le Hamas, il est possible d’être pro-palestinien sans être antisémite”. Au même moment, commence une conversation sur l’application Signal avec deux amies dont l’une est juive. La première discussion porte sur le communiqué du NPA qui associait les actes terroristes du Hamas à une forme de résistance. Comment notre gauche peut-elle glorifier des terroristes?, s’indignent-elles. 

Quelques semaines après le 7 octobre, un rassemblement est organisé en solidarité avec le peuple palestinien. Pour un cessez-le-feu. Comme ses amis, elle s’y rend. “Je ne savais pas qui étaient les organisateurs et, à l’époque, je ne savais même pas que certaines de ces organisations pouvaient être gangrenées par l’antisémitisme, le complotisme et le négationnisme”. Elle poursuit: “C’est peut-être naïf, mais je pense que la majorité des personnes qui se rendent à ces manifestations sont des personnes qui ne sont pas renseignées. Et, si on ne sait pas identifier les tropes antisémites, on les tolère, on les diffuse”. Depuis, Diane Richard a découvert, effarée, les liens entre certains milieux d’extrême gauche et des personnalités notoirement antisémites comme Dieudonné et Soral. 

D’octobre 2023 à la marche féministe du 25 novembre, elle continue à discuter avec ses deux amies qui lui donnent à penser l’actualité autrement: “Sous le choc, on se partageait des tribunes écrites par des féministes qu’on aimait beaucoup, des icônes qui considéraient que parler des viols du 7 octobre, c’était participer au pinkwashing d’Israël”. Elle ne comprend pas ce qui se passe. Elle ne comprend pas non plus les directions sur plusieurs groupes de #NousToutes qui appellent implicitement à ne pas accepter les sionistes lors de la marche. Elle ne comprend toujours pas, le jour de la marche, quand le collectif Nous Vivrons (collectif né au lendemain des massacres du 7/10, engagé dans la lutte contre l’antisémitisme) n’est pas autorisé à marcher, quand elle remarque la sur-proportion d’hommes et de drapeaux palestiniens. “Dans les milieux militants, la question palestinienne est au croisement de toutes les luttes. Pour certaines féministes, c’est aussi une question féministe puisque la cause palestinienne symbolise la lutte de tous les opprimés”, analyse-t-elle a posteriori. L’ambiance de la marche n’est pas celle à laquelle elle est habituée, elle s’y sent mal à l’aise et décide de ne pas la terminer. “C’est quelque chose que d’interrompre une marche que j’avais participée à organiser les années précédentes”. 

Dans les jours qui suivent la mobilisation, elle est contactée par plusieurs journalistes et confie son incompréhension quant à l’exclusion des femmes juives de la manifestation. Suite à ses déclarations, elle s’attend à ce que les organisations à l’initiative de la marche se remettent en question. C’est tout le contraire qui se produit. La mauvaise foi gagne les rangs: “Dans un communiqué, #NousToutes justifie ce qu’il s’est passé, en prétendant que ses militantes se sont senties menacées par des fachos. Le collectif répond aussi avoir condamné les viols du 7 octobre dans les jours qui ont suivi le massacre, ce qui est faux”. Diane tente coûte que coûte de comprendre ce qu’il s’est passé. Elle écrit même à Sarah Aizenman, à la tête du collectif Nous Vivrons, pour recueillir sa version des faits et la faire connaître au sein de #NousToutes. “Je m’attendais à du désaccord de la part de militantes mais jamais je n’aurais anticipé une telle violence, je suis tombée des nues”. Face à leur virulence, elle publie un message sur son compte Instagram détaillant le déroulé de la manifestation et invitant la gauche “à se poser la question de son propre antisémitisme, sans quoi les personnes juives de gauche ne se sentiront pas en sécurité dans nos luttes”. 

Et après? Diane se retrouve au beau milieu d’un shitstorm (déferlement de haine sur les réseaux sociaux) qui dure plus de deux semaines: elle est d’abord harcelée sur des dizaines de groupes WhatsApp qu’elle partage avec de nombreuses féministes puis sur ses réseaux sociaux (parce qu’elle a quitté les groupes concernés). “Je recevais des messages de soutien en privé mais personne ne me soutenait publiquement. J’avais l’impression de faire face à un tribunal, c’était affreux”. Au début, elle est estomaquée: “C’était au-delà de ce que j’avais pu imaginer en termes de violence militante”. Du jour au lendemain, certaines de ses amies les plus proches cessent de lui adresser la parole.

En décembre 2023, elle quitte #NousToutes, éreintée. Mais pas découragée. Diane continue à publier sur son compte Instagram ce qui la travaille: “Je suis triste de constater que, trop souvent, se penser du ‘bon côté’ remplace une véritable réflexion. Les postures morales n’ont jamais été suffisantes”. Chaque nouvelle publication engendre à la fois agressivité et soutien d’inconnus qui la remercient “d’autant plus parce que je ne suis pas juive”. Elle tient à faire remarquer que même si elle est sur la même longueur d’onde concernant la lutte contre l’antisémitisme, elle ne partage pas leurs convictions sur d’autres sujets comme le féminisme. Elle déplore que “quand on se concentre sur une lutte, on ne pense pas aux autres, alors qu’en réalité, elles sont indissociables”.  

En mars-avril 2024, après plusieurs mois à lire sur le sujet de l’antisémitisme à gauche et de la guerre au Proche-Orient, elle se rapproche de Golem, un collectif de Juifs de gauche né après le 7 octobre, et accepte de siéger au sein de la commission féministe de l’association. Dans la foulée, elle adhère au collectif À juste titre qui “combat les biais de l’information liés à l’antisémitisme”. C’est au sein de ces espaces qu’elle réalise combien l’antisémitisme se cache derrière l’antisionisme de certains militants et journalistes. 

Comment expliquer son engagement dans la lutte contre l’antisémitisme? “Au début c’était une question purement féministe: je n’ai pas compris pourquoi on n’avait pas soutenu certaines femmes, pourquoi on n’avait pas cru certaines femmes”. Elle poursuit: “Beaucoup de personnes me demandent sur le ton de la blague quand je compte me convertir”. Elle leur répond par un rire (jaune). Ou par cette formule: “Il n’y a pas besoin d’être touchée personnellement par le sujet. Ce n’est que si on se mobilise collectivement qu’on pourra changer les choses”.
Diane Richard n’a pas choisi cette réorientation militante, elle a été entraînée dans cette direction. “Parce que j’y ai vu une injustice”. Une direction qu’elle juge assez irréversible. Comment après un tel déferlement de haine revenir au militantisme féministe traditionnel? Aujourd’hui, elle se réjouit de toutes ces initiatives militantes pro-dialogue et pro-paix, “toutes ces graines qui sont semées et qui donneront peut-être quelque chose”. “Quand je vois que les Guerrières de la Paix [une association de femmes qui militent pour le dialogue interculturel et interreligieux] réunissent toujours plus de monde à leurs événements, ça me donne de l’espoir”.