“ Je bénirai ceux qui te bénissent », dit l’Éternel à Abraham au chapitre 12 de la Genèse. Une phrase que de nombreux chrétiens des ÉtatsUnis adoptent pour lire la relation politique américano-israélienne. Le soutien massif qu’apportent des groupes de pression chrétiens américains à l’État d’Israël et à son gouvernement ne se dément jamais et explique, selon certains observateurs locaux, une partie des choix politiques de Washington, notamment lorsque le président est lui-même un Born Again Christian (les baalé teshouva du christianisme) comme Georges W. Bush ou qu’il bénéficie du soutien de groupes évangélistes majeurs comme Donald Trump.
Cette relation intime entre christianisme et sionisme, pourtant, ne peut être réduite aux seuls États-Unis. Le sionisme chrétien, né dans l’Angleterre du XIXe siècle, est même antérieur au sionisme politique juif. Déjà bien avant la naissance de l’État d’Israël, alors que le journaliste suisse Theodore Herzl théorisait l’idée d’un État pour les juifs, il comptait dans son entourage des soutiens chrétiens, et notamment le pasteur évangélique William Hechler. Le 10 mars 1896, Herzl s’amuse dans son journal de ce que « Hechler affirme que mon mouvement est “biblique” ». « Herzl ne prenait pas au sérieux la foi messianique de Hechler et considérait son ami chrétien comme un visionnaire naïf, mais lui faisait néanmoins confiance. De son côté, Hechler considérait le projet sioniste comme un mouvement prophétisé et prévu de longue date », écrit l’historien américain Yaakov Ariel.
Le soutien chrétien au sionisme va donc plus loin que ce souci individuel d’être béni par Dieu. Il y a un agenda messianique chrétien qui explique pourquoi on trouve des évangélistes américains en nombre parmi les donateurs les plus importants d’Israël. Un sondage publié en 2013 par le Pew Research Center montrait ainsi que seuls 40 % des juifs américains croient que la terre d’Israël a été donnée par Dieu aux juifs contre 44 % de la population globale et 82 % des évangélistes blancs. Plus étonnant encore, selon un sondage publié par Bloomberg en 2015, 60 % des évangélistes américains estiment que les États-Unis doivent soutenir Israël même quand cela va à l’encontre des intérêts américains.
Pour qui connaît un peu les États-Unis, la seule chose plus importante que le sentiment national y est le sentiment religieux. C’est donc bien sur une base religieuse que ces chrétiens américains soutiennent inconditionnellement Israël. Le pasteur John Hagee, fondateur de Christians United for Israel, considéré comme l’un des plus importants groupes de pression pro-israélien aux États-Unis, le résumait ainsi en 2015: « Le soutien à Israël n’est pas une question politique… c’est une question biblique ».
À côté de cette conviction largement partagée parmi les évangélistes américains que « Dieu a donné cette terre aux juifs à jamais » et que les juifs sont le peuple élu de Dieu, il en est une autre, moins connue et moins ouvertement assumée, qui explique pourquoi c’est d’abord vers l’alya (l’installation des juifs de Diaspora en Israël) que se tourne le soutien des chrétiens sionistes américains: les juifs auraient un rôle primordial à jouer dans le retour de Jésus sur Terre et ils doivent jouer ce rôle sur la terre d’Israël.
Cette prophétie millénariste a été popularisée par la série de livres best-sellers Left Behind de Tim La Haye, puis par le film du même nom (en français Le Chaos) en 2014 avec Nicolas Cage. Bien que la critique ait unanimement salué la contre-performance absolue d’un des pires navets du cinéma et, plus tôt, d’une série littéraire douteuse et haineuse, le succès commercial de la série s’explique par la résonance qu’elle offre à une idée largement partagée dans certains milieux évangélistes. Selon cette théorie, la restauration juive en Palestine est un prérequis au retour du Christ. Cette vision extrême soutient donc non seulement le sionisme mais appelle au Grand Israël, du Nil à l’Euphrate, bien au-delà des frontières actuelles du pays. Alors se produira l’Apocalypse, l’Armageddon, et les quelques juifs survivants devront reconnaître Jésus ou souffrir les tourments de l’enfer à jamais. L’intérêt de ce sionisme chrétien est alors d’éviter la paix et de forcer le retour de tous les juifs en Israël pour qu’ils y soient détruits ou convertis.
Bien sûr, il y a tous ces chrétiens qui soutiennent les juifs d’un amour pur et sincère, bien sûr il y a tous ceux qui veulent « bénir les enfants d’Abraham » pour être bénis par Dieu, bien sûr il y a, comme le rappelait le pasteur Antoine Nouis il y a un an dans Tenou’a, cette proximité éthique, historique et médiologique. Mais il y a aussi cette frange radicale millénariste qu’incarne si bien son leader, le pasteur télévangéliste John Hagee, chef de file des chrétiens sionistes américains, lorsqu’il déclare dans un sermon rendu public sur son site en 2008 qu’Hitler était un envoyé de Dieu, un chasseur ayant pour mission divine de débusquer les juifs où qu’ils se trouvent, « parce que Dieu a dit: « Ma priorité des priorités pour les juifs, c’est de faire en sorte qu’ils reviennent sur la terre d’Israël » ». Pour ceux-ci, le sionisme n’est qu’un outil qui doit servir la conversion ou la destruction des juifs à la fin des temps.