Dans quelques jours, à Yom Kippour, nous lirons un des textes les plus célèbres de notre liturgie, l’épisode du bouc émissaire. Nous raconterons, dans nos offices, qu’en ce jour sacré de l’année juive, au temps où un Temple se tenait à Jérusalem, un animal était conduit jusqu’au Grand prêtre. Ce dernier le chargeait des péchés du peuple, avant de l’envoyer dans le désert. Depuis plus de 2000 ans, nous faisons le récit de cet épisode ancestral.
Mon collègue, le rabbin Peter Rubinstein, de la Central Synagogue de New York, m’a raconté qu’il y a quelques années, en se préparant aux offices de Yom Kippour, une étrange idée lui était venue. Il avait envisagé, à l’heure du traditionnel récit du bouc émissaire, de faire entrer dans sa synagogue… un véritable bouc. En imaginant l’animal se ruer entre les rangées de la synagogue huppée de l’Upper East Side de Manhattan, il avait renoncé.
L’irruption d’un animal dans un lieu de culte semble, à la plupart d’entre nous, sacrilège. Dans notre recueillement « civilisé », la bête n’a, en apparence, pas sa place. Pourtant, l’animal est omniprésent dans la prière. Il est peut-être l’absent le plus présent dans nos synagogues, tout particulièrement à Yom Kippour où nous soufflons dans une corne de bélier, lisons la Torah dans une peau de bête, rappelons tout au long de la journée les sacrifices pratiqués au Temple, et faisons le récit du voyage d’un prophète, Jonas, englouti par une baleine, et capable de mener au repentir « le peuple de Ninive et tout son bétail ».
Si la liturgie de nos fêtes est, à sa manière, un grand bestiaire, c’est que le judaïsme d’hier plaçait bel et bien l’animal au cœur du culte. Le sacrifice était le vecteur principal d’approche du divin.
Le judaïsme rabbinique, qui se veut l’héritier du judaïsme sacerdotal, s’inscrit dans sa continuité. Ainsi, de nombreux rites sont calqués sur ce qui se passait au Temple de Jérusalem. Nos trois offices quotidiens, par exemple, correspondent aux horaires des sacrifices sur l’autel. L’espace synagogal est inspiré de l’architecture du Temple. Les vêtements blancs que nous portons au jour de Yom Kippour sont ceux des Grands prêtres.
Mais la rupture la plus visible avec le judaïsme sacerdotal est l’effacement de l’animal. D’omniprésent à l’époque du Temple, il est aujourd’hui absent, ou plus exactement substitué.
Depuis la destruction du Temple, pour les rabbins, les prières ont remplacé les sacrifices et, comme l’exprime le verset du prophète Osée (14 : 3), « nos lèvres ont remplacé les taureaux ».
Ce judaïsme sans sacrifice, qui place la narration et le récit au cœur du culte, inaugure un autre rapport à l’animal. C’est cette autre relation à l’animal et la place des bêtes dans la pensée juive contemporaine que ce numéro de Tenou’a propose d’explorer.
Puissions-nous, à l’aube de cette nouvelle année, être inscrits dans le livre des vivants.
Shana Tova