Il y a tout ce qui nous sépare, et puis il y a elle, la mère, notre maman, qu’on la connaisse ou pas, qu’on l’adule ou que les relations soient plus tendues (l’un n’empêchant d’ailleurs pas l’autre), qu’elle ressemble à un modèle de magazine ou à une mamie de pubs pour convention obsèques.
À son évocation, certains redeviennent petits enfants quand d’autres frémissent d’admiration (voire les deux en même temps). Tous, nous avons ou nous avons eu une mère et rares sont ceux qui peuvent prétendre y être insensibles.
Mais il est un type de mères plus coriace, plus envahissant, plus emblématique encore : la mère juive. Mais si, vous savez bien, celle qui se vante de vous devant ses amies et vous reproche de ne pas prendre de nouvelles, celle qui a toujours peur que vous ayez froid ou faim ou les deux, qui voudrait tout savoir de votre vie, tout en s’acharnant à en être le centre absolu.
Avec les années soixante et la culture ashkénaze américaine est née cette figure de la mère juive, forcément névrosée et amoureuse de ses enfants, et son cortège de blagues dans lesquelles le ridicule est tendre et l’amour féroce.
Mais pourquoi la mère juive serait-elle différente de toutes ces autres mères, mamme italiennes, mères corses, matriarches du Maghreb ou d’Afrique, soccer moms anglo-saxonnes ou daronnes sacralisées de la culture hip-hop ?
Et si elles tenaient leur spécificité de cette originalité juive : chez nous, la religion se transmettrait, dit-on, par la mère. Pas si simple, nous explique le rabbin Delphine Horvilleur.
Si on la moque, c’est pour mieux l’aimer ou par peur de lui ressembler, raconte le rabbin Marc-Alain Ouaknin, quand Judith Toledano-Weinberg se demande s’il ne serait pas temps, pour la psychanalyse , de materner un peu ses patients. Ce serait compter sans la terrifiante et jamais satisfaite belle-mère juive de Laurent Sagalovitsch ou les mères de Juifs célèbres qu’imagine Natalie David-Weill, Mesdames Marx, Proust, Freud et autres.
Gabriel Abensour adresse sa prière à Dieu·e la Mère quand David Isaac Haziza explore les grandes figures maternelles de la Bible à travers une lecture du Livre de J, couche la plus ancienne du Pentateuque.
Avec Danièle Laufer, nous découvrons une maternité plus rugueuse, celle d’une survivante de la Shoah enfermée dans ses souvenirs.
GPA, PMA, adoption, toutes ces modalités de la maternité font l’objet de décisions halakhiques à la modernité parfois édifiante, relate Sophie Bigot-Goldblum, tandis que Brigitte Sion nous emmène dans la salle d’attente d’une clinique de la fertilité new-yorkaise.
Faut-il pour autant être mère à tout prix, quitte à le regretter ? se demande la sociologue israélienne Orna Donath.
La complexité de la maternité n’autorise aucune réponse définitive, mais elle est propice à la poésie et à la douceur des chansons yiddish que porte la voix de Talila.
Enfin, partons pour un autre voyage vers les langues, maternelles ou réinventées, avec Rosie Pinhas-Delpuech.
Vous tenez entre les mains un numéro de Tenou’a que nous avons réalisé en nous demandant à chaque instant ce qu’en penseront nos mères. Sans être dupes : nous savons bien qu’à la fin, quoi que nous fassions, nous ne leur donnerons jamais vraiment satisfaction, mais qu’elles trouveront forcément ça absolument génial…
Toute l’équipe de Tenou’a vous souhaite, à vous, à vos mères et aux mères juives que vous êtes certainement un peu, une excellente année 2022.