À quelques minutes de la villa Seurat qui abrite son ancien atelier (ouvert aux visites), le musée Zadkine présente la première exposition consacrée à la sculptrice Chana Orloff en France depuis 1971. Née en 1888 dans une famille juive ukrainienne, Chana Orloff a grandi en Palestine, puis s’est installée à Paris dès 1910 où elle a fréquenté des artistes et des intellectuels tels que Modigliani. Son travail, comme sa vie, font écho à des questionnements contemporains sur la maternité, l’émancipation féminine ou encore l’exil.
Chana Orloff sculpte des visages et des corps de femmes. Des traits ronds et enveloppants, qui rappellent parfois des déesses égyptiennes. L’un de ses thèmes de prédilection est la maternité. En 1916, l’année de son mariage, elle réalise la “Dame enceinte”, deuxième sculpture consacrée à cette thématique après “Maternité” en 1914. Chana Orloff devient elle-même mère en 1918 d’un fils, Élie, surnommé Didi. Son mari, le poète Ary Justman meurt l’année suivante emporté par la grippe espagnole. Malgré cet événement, la maternité ne cesse d’occuper une place centrale dans son travail. Pour la sculptrice, devenir mère est synonyme d’émancipation créatrice. Une idée novatrice pour l’époque. Avec “Moi et mon fils”, elle se représente aux côtés de Didi, alors âgé de 9 ans.
Chana Orloff sculpte des corps de mères mais aussi des femmes sportives ou des artistes de son temps. Au cours de l’exposition, on croise la figure d’Ida Chagall, la fille du célèbre peintre, ou encore l’athlète Georgette Cagneux pour qui elle réalise une stèle funéraire au moment de son décès. Les visages féminins se drapent parfois d’une certaine forme de mélancolie, comme cette “Femme au turban”, un portrait de sa contemporaine, la peintre Sarah Lipska.
En juillet 1942, Chana Orloff et son fils Didi doivent fuir le nazisme. Ils échappent à la rafle du Vel d’Hiv et quittent la France pour la Suisse. Son atelier de la villa Seurat est alors spolié par les nazis. Lorsqu’elle rentre en France en 1945, plus de 100 œuvres ont disparu. L’histoire de ce pillage a fait l’objet d’un podcast du ministère de la Culture, dans le cadre de la série “À la trace” réalisée par Léa Veinstein. Deux épisodes racontés avec la voix de Florence Loiret-Caille reconstituent avec précision la mécanique de la spoliation. On y suit les héritiers de Chana Orloff, Ariane Tamir et Eric Justman, à la recherche des œuvres disparues – jusqu’à un ultime dénouement.
Chana Orloff a traversé le XXe siècle au rythme de l’antisémitisme et des exils. Sa famille a quitté l’Ukraine après un pogrom en 1905 pour se rendre en Palestine. Jeune adulte, elle a ensuite rejoint la France qu’elle a quitté pour la Suisse afin d’échapper aux persécutions nazies. Après la guerre, elle a assisté à la naissance de l’État d’Israël, qui lui a commandé plusieurs pièces comme une sculpture de David Ben Gourion (ci-dessous). En 1951, Chana Orloff réalise une œuvre en hommage à une jeune combattante du kibboutz Ein Gev – morte au combat lors de la guerre de 1948. Cette sculpture représente une jeune mère qui porte son enfant vers le ciel (ci-dessus). La voir en 2024 revêt une signification particulière. Le 7 octobre dernier, dix membres de la famille de Chana Orloff qui vivaient au kibboutz Beeri ont été touchés lors des attaques terroristes du Hamas. Trois sont morts et un est toujours retenu en otage à Gaza.
Cette exposition, à voir jusqu’au 31 mars au musée Zadkine dans le 6e arrondissement de Paris, est conçue en partenariat avec les Ateliers-musée Chana Orloff et avec le soutien de la Fondation pour la Mémoire de la Shoah.
Pour aller plus loin :
Visite de l’exposition “Sculpter l’époque” au musée Zadkine
Visite des Ateliers-musée de Chana Orloff
Le podcast “À la trace” de Léa Veinstein
L’exposition au mahJ consacrée à “L’enfant Didi”