Le palmarès annuel des prénoms les plus populaires est toujours établi en deux catégories : féminin (Jade, Emma, Louise) et masculin (Léo, Gabriel, Raphaël). Cette distinction peut paraître désuète à l’heure du non-binaire ou du non genré. Le prénom androgyne, appelé aussi unisexe ou neutre, est un prénom qui peut être porté indifféremment par une personne de sexe féminin ou masculin.
À l’heure de choisir un prénom pour son enfant, on peut s’inspirer du Livre des prénoms bibliques et hébraïques de Marc-Alain Ouaknin et Dory Rotnemer. Mais on peut aussi, comme un nombre croissant d’Israéliens, resté ancré dans la tradition juive ou la langue hébraïque tout en choisissant un prénom unisexe.
Israël a souvent une longueur d’avance sur les communautés de la Diaspora en la matière – souvenez-vous de Dana International, chanteuse transgenre qui avait remporté le concours Eurovision de la chanson en 1998. Pas étonnant que la popularité de prénoms unisexes augmente depuis une bonne quinzaine d’années. Parmi les choix les plus populaires, on trouve Lior (ma lumière) et sa variante Elior (mon Dieu est ma lumière), Gil (la joie) ainsi que de nombreux noms associés à la nature : Gal (la vague), Gefen (la vigne), Rimon (la grenade – le fruit –), Shaked (l’amande), Tal (la rosée). On trouve aussi quelques noms de personnages bibliques qui sont aujourd’hui donnés également à des filles, comme Ariel (lion de Dieu), Ezra (l’aide), Micah (Michée « qui est comme Dieu ») ou Yona (la colombe), mais il faut s’en tenir à la version hébraïque, parce que Michée et Jonas restent très masculins en français.
Il y a aussi les noms d’inspiration mystique, comme Eden (le paradis), Hallel (la louange), Zohar (l’éclat brillant), ou tirés de mois du calendrier hébraïque (Adar, Sivan).
Dans un entretien au Jewish Chronicle de Londres publié le 18 novembre 2009, Miri Rozmarin, qui enseigne les études de genre à l’Université Bar-Ilan à Tel Aviv, remarque que la grande majorité des prénoms unisexes les plus populaires en Israël – Noam, Amit, Ariel, Daniel – ont subi un glissement de prénom masculin à prénom mixte. « Israël est une société où les différences entre les sexes sont très marquées et où la virilité est idéalisée. Le fait que les filles prennent un nom de garçon reflète la tentative des filles de gagner en égalité. C’est une société très patriarcale, et elles se font presque passer pour des garçons à travers ce nom. C’était peut-être un moyen initial pour les parents de prendre quelque chose des hommes aux femmes. Mais la plupart du temps, les échanges de noms vont dans une seule direction – des garçons aux filles. L’autre direction est très périphérique. » Elle observe aussi que les rares prénoms féminins devenus unisexes – Adi, Neta, Ma’ayan – sont grammaticalement masculins. Le choix d’un prénom non genré serait donc plutôt porté par un souffle de féminisme égalitaire (dans le sens prénom de garçon pour une fille) qu’un reflet revendicateur de personnes non-binaires qui adoptent un prénom non genré.
L’examen de ces prénoms révèle autre chose : rien de subversif ou de radical dans cette liste. Les noms sont classiques, de racine hébraïque, qu’ils se réfèrent aux temps anciens ou modernes. Peut-être retournera-t-on aux prénoms doubles – un premier unisexe et un second genré – pour savoir de qui l’on parle, sur le modèle Claude-Alain, Dominique-Anne, mais aussi Tal-David et Gal-Dafna.
Les prochains rapports du Bureau Central des Statistiques israélien nous dirons s’il passe à trois catégories de classement (féminin, non-binaire, masculin), si davantage de prénoms unisexes se hissent plus haut dans le palmarès des prénoms les plus populaires, ou si tout ceci n’aura été qu’un effet de mode, comme beaucoup de prénoms finalement.