Le livre de Jonas (Yona), qui constitue la haftara de l’après-midi de Kippour, demeure un récit surprenant car, malgré les multiples commentaires qu’il a suscités, de nombreuses questions subsistent.
Certains commentateurs tentent de justifier l’attitude de Jonas en le présentant comme un défenseur inconditionnel d’Israël. Il aurait agi ainsi pour deux raisons : d’une part, il craignait que Dieu puisse montrer en exemple le repentir de Ninive et faire ainsi à Israël de sévères remontrances pour ses propres méfaits ; d’autre part, il craignait aussi qu’une fois Ninive sauvée par un repentir « de façade », elle vienne attaquer à nouveau Israël.
D’autres commentaires considèrent que Jonas n’a pas compris que la mission prophétique d’Israël doit participer au salut des nations, même si celles-ci manifestent leur hostilité à l’encontre d’Israël.
Une autre interprétation, à caractère mystique, envisage le livre de Jonas comme une allégorie du cours de la vie humaine : la naissance est le moment où l’âme descend dans le corps, symbolisé par le bateau dans lequel s’embarque Jonas ; la vie sur terre, pleine de tourments, est traduite par le séjour mouvementé sur le bateau ; la mort est symbolisée par le poisson qui représente la tombe et, enfin, la résurrection par l’éviction de Jonas des entrailles du poisson.
L’idée directrice de cette nouvelle interprétation se résume ainsi : Jonas constituerait le modèle, l’archétype, du processus de la teshouva. Dans cette perspective, Ninive ne doit pas être considérée comme une ville, mais comme le symbole du yetser hara, le mauvais penchant de l’être et, par opposition, Tarsis serait le yetser hatov, le bon côté de l’être. Cela étant, voici chronologiquement les différentes étapes de la teshouva, telles qu’elles peuvent apparaître en filigrane dans le récit de Jonas.
Toute démarche de teshouva demande, au préalable, de prendre conscience de son yetser hara pour s’en débarrasser ou du moins l’amenuiser. Yona et Ninive contiennent les mêmes lettres ; ce qui signifie que Jonas (comme tout un chacun), ne peut fuir sa propre vérité, dont le mauvais penchant fait partie, car il la porte en lui et il devra donc y faire face pour progresser.
Dans le texte l’injonction est brutale : « Crie sur Ninive », ce qui signifie : « Sois impitoyable envers ton mauvais penchant pour pouvoir le vaincre ». « Crier » (Kara, en hébreu) a la même valeur numérique ( 301) que le « Feu » (Esh, en hébreu) ; ce qui peut vouloir dire : rejette ton feu intérieur, tes passions, tes désirs malsains et ton mauvais penchant.
Or, il est très difficile d’affronter d’emblée son yetser hara ; il est préférable de procéder progressivement, sans se faire violence, et pour cela chercher en soi des aspects positifs sur lesquels on prendra appui pour avancer.
Voilà pourquoi Jonas se dirige vers Tarsis, qui est à l’opposé de Ninive, et c’est pour cette raison que nous associons Tarsis au yetser hatov. Il est intéressant de noter que d’après Exode 28 : 20, Tarshish désigne la chrysolithe, pierre verte qui ornait le pectoral du Grand prêtre ; ce qui vient conforter notre hypothèse, car on peut aisément imaginer que tout ce qui concerne le Grand prêtre participe du yetser hatov.
De plus, le bateau que va prendre Jonas se dit onya qui peut aussi se lire ani ya (« Je suis l’Éternel »). L’intention de Jonas est donc claire : en allant prendre ce bateau, il se dirige bien dans la voie de Dieu.
La teshouva nécessite une introspection, un retour sur soi, symbolisé par les différentes « descentes » qu’entreprend Jonas : il quitte Jérusalem pour aller à Yaffo ; là, il embarque sur un bateau, descend dans la cale et sombre dans un profond sommeil. Le bateau est ici désigné par le terme sefina (de la racine sefen qui signifie « secret », « caché ») : Jonas s’apprête donc à affronter sa propre vérité enfouie au plus profond de lui ; il s’impose un intense questionnement qui aboutit à une affirmation identitaire très nette : « Je suis hébreu ; j’adore l’Éternel, Dieu du ciel qui a créé la mer et la terre ferme ».
Ce questionnement qu’il s’impose apparaît dans les questions des matelots du bateau : « D’où viens-tu ? » signifierait « Où en es-tu dans ta progression spirituelle ? » ; « Quelle est ta terre ? » peut signifier « Quel est l’état de ta conscience ? » ; « De quel peuple es-tu ? » voudrait dire « Es-tu fidèle à tes ancêtres ? » On notera aussi que d’après un midrash, seul le bateau de Jonas est pris dans la tempête (et non les autres embarcations environnantes), ce qui semble indiquer que la teshouva ne peut être qu’individuelle et non collective.
Jonas décide enfin de s’engager totalement : il se jette à l’eau ! (au sens propre et figuré). Mais il aura fallu plus de dix versets (1 : 4 à 1 : 15) pour qu’il y parvienne, ce qui montre la difficulté du processus de teshouva.
Cette décision se trouve confirmée dans les changements de genre du mot « poisson » (dag, au masculin ; dagah, au féminin, avec un hé à la fin du mot). En effet, dans Zohar 3, 122a, il est dit : « Celui qui fait teshouva ramène le hé au vav (allusion au Tétragramme divin Youd Hé Vav Hé) et le Nom de Dieu se trouve complet. C’est pourquoi, la teshouva signifie “le retour du hé “». Ainsi la transformation du poisson mâle (dag) en poisson femelle (dagah) marque-t-elle l’engagement de Jonas. En effet, des entrailles du poisson (femelle) Jonas n’adresse à Dieu aucune supplication ; au contraire, il lui dit son acte d’engagement : « C’est en te rendant hautement grâce que je t’offrirai des sacrifices ; j’accomplirai les vœux que j’ai prononcés ». Lorsque Jonas est rejeté du poisson, celui-ci redevient mâle (donc du genre masculin) ; cela signifie que Jonas devra se souvenir de son engagement : en effet, le « masculin », qui se dit zakhar, est souvent associé au « souvenir », zakhor.
Jonas est enfin prêt à affronter son mauvais penchant avec sérénité ; en effet, le texte dit cette fois : « Va vers Ninive », et non « contre Ninive », comme précédemment au premier chapitre. Mais pour cette épreuve, il ne s’accorde qu’une journée, lorsque le texte dit qu’« il fallait trois jours pour la parcourir ».
Le chiffre 3 est important dans la tradition juive, il est celui de la maturation et de la confirmation de l’accomplissement d’un acte : à partir du moment où une action est réalisée trois fois de suite, elle acquiert un statut d’habitude, de certitude.
Si Jonas agit ainsi de façon précipitée, c’est qu’il pense être suffisamment fort et déterminé dans son engagement et sa foi en Dieu ; d’ailleurs, sans plus attendre, il va se reposer sous une soucca (allusion à Souccoth), après sa teshouva (allusion à Kippour). Mais Jonas, en écourtant son combat contre son yetser hara, et donc en réduisant le temps de la maturation et la consolidation de son engagement, commet une grave erreur dans sa démarche de teshouva, comme le montre la fin du récit, illustrée par la cinquième et dernière étape du processus.
La teshouva n’est jamais acquise définitivement car les forces du mal guettent pour lui faire de l’ombre. C’est ce que vient rappeler la présence du ricin qui apporte de l’ombre à la soucca qui constitue déjà une protection bénéfique. Le ricin s’avère donc un élément inutile voire négatif.
Mais Jonas, du fait que sa teshouva est encore fragile car trop récente et pas assez mûrie, va se leurrer en ne distinguant pas le caractère inutile, voire néfaste du ricin ; au contraire, il déplore sa disparition, alors qu’il aurait dû l’ignorer en restant sous sa soucca qui symbolise, elle, la protection divine et la foi en Dieu.
Ce dernier épisode du récit vient nous rappeler qu’il faut rester sans cesse vigilant, pour ne pas confondre l’ombre du ricin (les faux-semblants, les tentations faciles et immédiates, les illusions éphémères) et « l’ombre de la foi » (qui est un autre nom pour la fête de Souccoth), la seule alliée de la teshouva.
Un fait supplémentaire vient appuyer cette explication : le ver qui va détruire le ricin porte en hébreu le nom de tolaath, qui désigne la couleur rouge foncé (cramoisi) qui était celle du rideau du Temple (cf. Exode 26 : 31). Or, un rideau, par nature, voile et dévoile. Ainsi, le tolaath est sans doute là pour nous faire remarquer que les fausses illusions doivent être dévoilées.
Avec cette nouvelle interprétation nous voyons donc que la haftara de Kippour ne magnifie pas le repentir de Ninive, mais raconte celui de Jonas, qui doit être considéré comme la teshouva de chacun de nous. Dès lors, on comprend mieux pourquoi cette haftara est associée à Michée 7 : 18-20, qui montre que Dieu accepte chaque teshouva, si elle est sincère et authentique : « Quel Dieu pourrait être comparé à Toi, qui pardonnes les iniquités, qui accordes l’expiation des fautes commises par ceux qui maintiennent le flambeau de Ton héritage, Toi qui ne conserves pas longtemps Ta colère, car Tu as le désir de la bienveillance ? Oui, Tu nous reprendras par amour en effaçant nos iniquités, car Tu les noieras dans les profondeurs de la mer… ».
- Jonas, sous l’injonction de Dieu, est chargé d’aller prêcher le repentir aux habitants de Ninive. Il se soustrait à cette mission, et s’embarque pour Tarsis. Aussitôt, un vent violent se lève, qui met en danger le navire. Jonas pense être responsable de cette tempête et demande qu’on le jette à l’eau pour que les flots s’apaisent. Les marins à contrecœur, accèdent à sa demande.
- Jonas est englouti dans un poisson, d’où il s’adresse à Dieu, qui ordonne alors au poisson de rejeter Jonas sur la côte.
- Dieu renouvelle sa demande auprès de Jonas pour qu’il aille prêcher le repentir à Ninive, et, cette fois, Jonas obéit ; les habitants se repentent immédiatement et Dieu renonce au châtiment qu’il avait prévu à leur encontre.
- Jonas se retire dans le désert à l’ombre d’une cabane. Dieu fait pousser, à proximité de Jonas, un ricin censé lui procurer davantage d’ombre. Le lendemain matin, Jonas trouve le ricin desséché et manifeste alors un désespoir pour le moins inattendu. Dieu lui adresse une réponse, elle aussi, étrange : « Quoi ! tu as souci de ce ricin qui ne t’a coûté aucune peine, que tu n’as point fait pousser, qu’une nuit a vu naître, qu’une nuit a vu périr ; et Moi, Je n’épargnerais pas Ninive, cette grande ville qui renferme plus de douze myriades d’êtres humains… ! »