Manger bio, éthique et kasher: la nouvelle “tsniout”

© Michaël Serfaty

*La tsniout recouvre la « modestie religieuse » ou la pudeur, souvent appliquée aux règles vestimentaires en monde orthodoxe

QUATRE QUESTIONS AU RABBIN DAN SMOKLER

Considérez-vous que consommer bio et/ou éthique soit une pratique juive ?

Je crois qu’il faut distinguer entre ce qui relève de la halakhah et ce qui est juif comme catégorie culturelle. La halakha se résume aux pratiques qui ont été définies par les autorités rabbiniques comme cadre législatif juif. Donc, est-ce que je considère que manger bio ou local est un acte moralement bien? Oui, absolument. Dans la mesure où la production de nourriture bio est moins néfaste pour la terre, où la consommation locale provoque moins d’émissions de CO2 et renforce les liens entre les individus, ce sont de bonnes choses. D’une façon générale, être attentif à l’environnement est certainement une injonction halakhique. Pour autant, ne pas le faire ne relève pas d’un interdit légal juif. Donc cela n’entre pas dans la définition du caractère kasher ou non d’un aliment.

Comprenez-vous pourquoi certains mouvements orthodoxes refusent de reconnaître la validité des nouveaux labels dits « éco-kasher » ou « éthico-kasher » ?

En premier lieu, la loi juive, par nature, est conservative et a tendance à résister à l’innovation. Les lois que nous pratiquons résultent des interprétations du texte par les Sages, autrement dit par des êtres humains ; et les êtres humains, par définition, ne sont pas parfaits. La kashrout est d’abord une question de contexte rituel de la production. Je considère que de la nourriture produite de façon non-éthique – lorsque des animaux sont torturés, des ouvriers maltraités ou que les producteurs sont malhonnêtes – ne devrait pas être consommée. Savoir si elle est kasher relèverait plus de questions de catégories. Mais disons que je la considérerais inappropriée. Un exemple classique est que le sacrificateur, le shohet, doit être moralement irréprochable. Nous avons eu ces derniers temps aux États-Unis des cas de sacrificateurs qui fraudaient le fisc, employaient des travailleurs clandestins, bafouaient le droit du travail ; leur production ne devrait pas être considérée comme kasher.

Cela n’empêche t-il de facto la production industrielle de viande kasher ? Comment savoir qui est le shohet qui a mis à mort l’animal que vous mangez ?

D’une façon générale, l’agriculture de masse et l’élevage industriel posent question. On se rend compte que la viande kasher ne devrait pas être produite de façon industrielle. Cela la rend-il non-kasher ? Certes non, mais cela reste quelque chose que nous ne devrions pas faire. il y a des choses comme ça, que vous pouvez faire, qui sont permises, mais que vous ne devriez pas faire malgré tout. Par exemple, il est permis de boire des milliers de sortes de vin kasher ; cela ne veut pas dire que vous devriez le faire ni que vous seriez une personne « morale » si vous le faisiez.

Quels seraient vos conseils pour mener une vie juive et responsable ?

Je crois que les gens doivent se modeler des représentations intégrées. Je veux dire par là que si vous observez strictement la kashrout, vous êtes également sensible à la bientraitance des animaux et à l’état de la planète. Je sais bien qu’au niveau culturel, il est particulièrement difficile pour les juifs orthodoxes d’accepter les critiques qui viennent de gens qui ne sont pas aussi stricts qu’eux quant à la kashrout.
Je voudrais voir les gens se modeler un mode de vie juif modeste, tsniout. Et par modeste, je n’entends pas la façon dont se vêtissent les femmes, mais la façon dont nous consommons. Il faut inventer la nouvelle tsniout: partager nos ressources, essayer de consommer raisonnablement, vivre humblement. Bien sûr ce n’est pas facile, ni pour les autres ni pour moi-même, mais je crois que c’est vers cela que nous devrions tendre.

Propos recueillis et traduits par Antoine Strobel-Dahan