Manuela Wyler (1960- 2017) portait plusieurs casquettes – chercheuse en archives, conteuse d’histoires familiales, experte en cuisine ashkénaze alsacienne, pionnière dans l’utilisation des réseaux sociaux – avec le même fil conducteur : la recherche, la préservation, la dissémination et la diffusion de la mémoire juive, pour beaucoup liée à la Shoah. En partant de son histoire familiale – des Juifs alsaciens partis aux États-Unis juste avant la guerre et revenus en France juste après – et de celle de son mari, Manuela Wyler a plongé dans les archives locales, nationales et étrangères, interrogé des témoins, révélé des silences et mis le fruit de son labeur à la disposition du plus grand nombre. Elle fonde l’association “Dorot” d’histoires des familles en 1999 et le site Jewishtraces.org en 2006. Le but est double : d’une part, utiliser la toile pour raconter des destins, des vies sauvées ou tronquées, des exils et des retours, des disparitions et des retrouvailles, des spoliations et des créations et maintenir le souvenir d’histoires individuelles ; d’autre part, pour permettre aux survivants et aux descendants de victimes de retrouver des traces, de demander de l’aide pour des recherches en France et surtout, pour les inviter à raconter des parcours familiaux pour que les victimes de la Shoah soient « plus qu’un nom dans une liste ». Manuela Wyler s’est ensuite engouffrée dans le monde encore balbutiant des réseaux sociaux, à nouveau au service de la mémoire. Ainsi, à la date anniversaire de la déportation d’un individu, elle postait sur Facebook et Twitter des liens vers des portraits de victimes et de rescapés, des documents historiques récemment trouvés, une chronologie de la déportation et d’autres éléments souvent inédits.
Elle avait dû ralentir ses recherches historiques ces deux dernières années après le diagnostic d’un cancer avancé qui, là aussi, devint pour elle un canal de transmission, un exutoire aussi, sur la maladie, l’accompagnement médical et psychologique, les abus de certaines organisations « roses » prétendant soutenir les cancéreux, les effets secondaires des traitements et tous les sujets qui fâchent. Manuela tenait un blog coup de poing, disait les choses takhles sans jamais vouloir plaire. Son journal en ligne, fuckmycancer, a donné lieu à un livre vrai, dur et profondément humain qui fait lui aussi œuvre de mémoire (publié chez Fayard). Quelques mois avant sa mort, le 22 février dernier, elle avait eu le temps d’écrire encore un livre, Cher Léon, des lettres posthumes écrites à ses deux grands-pères qui retracent le destin familial avant, pendant et après la guerre, en particulier celui de sa tante morte très jeune et la progression de son propre cancer. Ce regard croisé est publié chez Blurb.
À sa mort, Manuela Wyler avait 2916 followerset avait publié 120000 tweets. Une pionnière de la mémoire sur les réseaux sociaux, par sa générosité à partager des histoires, des documents familiaux, des recettes ou des photos Son tweet quotidien très matinal, « Bonjour le monde et sa banlieue » nous manque terriblement.