Bar mitsva dans la joie, dit une célèbre chanson. Mais comme souvent derrière les images d’Épinal on distingue une réalité faite de nuances et il arrive que la joie ne soit pas au rendez-vous. En effet, ce moment de passage de la minorité à la majorité religieuse peut être source de révolte ou d’angoisse et entraîner le refus de la jeune fille ou du jeune garçon de « célébrer » sa bat ou bar mitsva.
La question qui se pose alors aux parents, enseignants et rabbins est celle de savoir s’il convient d’encourager énergiquement, d’obliger un jeune à « faire » sa bar mitsva ou si, au contraire, il vaut mieux laisser couler et ne pas insister outre mesure.
Les termes de cette question posent eux-mêmes deux questions. Celle de savoir ce que peut signifier « faire » ou « célébrer » sa bar mitsva et celle de l’existence ou non d’un fondement halakhique à la célébration d’une telle cérémonie.
Pour cela, il faut traduire le terme de bar mitsva et comprendre ce à quoi il correspond. Bar mitsva signifie en araméen « le fils du commandement » alors que bat mitsva désignera « la fille du commandement ». Contrairement à l’usage impropre qui en est souvent fait, la bar mitsva ne désigne pas le rituel ou la cérémonie qui permet d’entrer dans l’âge des mitsvot mais le statut d’adulte d’un point de vue religieux. Les Pirké Avot (5,21) considèrent que l’âge de 13 ans est celui auquel un jeune est apte à l’observance des commandements. Plus tard, Maïmonide (Hilkhot Shevitat Assor 2,11) reprend cet age dans sa codification de la loi juive et indique celui de 12 ans pour les jeunes filles. Avec ou sans célébration, le jeune juif devient adulte religieusement à partir du moment où il a atteint l’âge de 12 ou 13 ans et un jour.
Le fait qu’une « cérémonie » de bar mitsva ne crée par le statut de majeur religieux veut-il pour autant dire que le rituel n’est pas obligatoire ? Cela pose en réalité la question du rituel lui-même. En se penchant sur ce dernier, on comprend qu’il n’est pas d’origine biblique ou talmudique. En effet, pas de trace de bar mitsva dans la Torah où c’est par ailleurs l’âge de 20 ans qui marque l’entrée dans la vie adulte. Pas plus de trace de ce rituel dans le Talmud qui, nous l’avons vu, énonce l’âge de 13 ans pour l’accomplissement des commandements mais ne précise pas les modalités de cette entrée dans cette nouvelle étape de vie. De fait on ne trouve pas de commandement invitant les parents à préparer leurs enfants à ce que l’on nomme bar mitsva. Dans les textes, la seule bénédiction liée à cette étape de la vie n’est pas destinée au jeune adule mais à son père qui se voit enfin délivré de ses responsabilités pour tout ce qui touche à la vie religieuse de son fils (Bereshit Rabba 63). Le père remercie Dieu de ne plus être punissable pour les éventuelles fautes de son fils.
D’un point de vue historique1 , il faudra attendre le Moyen Âge pour qu’émerge un rituel proche de celui que nous connaissons aujourd’hui avec la préparation de la lecture d’un passage de la parasha de la semaine ainsi que d’un commentaire de cette dernière, le tout se voyant souvent accompagné d’une collation. Puis c’est aux XIXe et XXe siècles que cette cérémonie occupera la place que nous lui connaissons et que ces célébrations s’édenteront aussi aux jeunes filles.
Dans une étude récente2 , l’éducatrice américaine Isa Aron considère que le développement et la popularisation d’un rituel de bar mitsva ont été une réponse juive à l’Émancipation. En effet, dans un monde dans lequel les structures et repères juifs traditionnels se disloquaient, il fallait être capable d’en créer de nouveaux susceptibles de garder les nouvelles générations dans le giron du judaïsme. La préparation à la bar mitsva devenait ainsi un moyen de fixer un objectif et d’enseigner aux enfants un certain nombre de connaissances destinées à faire d’eux des adultes juifs conscients de leur identité. Cependant, explique-t-elle, avec le temps, la bar mitsva a pu devenir une sorte de « porte de sortie » du judaïsme dans la mesure où, souvent, on étudie jusqu’à 13 ans pour la préparer et que, par la suite, il arrive qu’on s’estime comme libéré de ses obligations religieuses.
Dans ces circonstances, on peut se poser la question de savoir comment réagir quand un jeune ne veut pas célébrer sa bar mitsva. Nous l’avons vu, d’un point de vue halakhique, cela ne représente pas une obligation. On peut alors se demander quelles obligations la tradition juive assigne aux parents vis-à-vis de leurs enfants. Dans le Talmud (Kiddoushin 29b) il est dit qu’un père doit circoncire son fils, lui enseigner la Torah, le marier, lui enseigner à nager et lui apprendre un métier. On déduit de cela qu’il revient aux parents de fournir à leurs enfants tous les outils qui leur permettront d’être à l’aise dans l’existence. En tant que Juifs, il est alors essentiel qu’ils connaissent l’héritage dont ils sont les dépositaires et qu’ils puissent maîtriser cette tradition qui forge une part de leur identité. Trop souvent, malheureusement, l’enseignement de la Torah se fait avec l’idée qu’il a pour objectif de préparer à une cérémonie de bar mitsva alors qu’en réalité, il devrait avoir pour objectif la réalisation d’une vie juive épanouie.
Rien n’oblige un jeune à célébrer sa bar mitsva, nous l’avons vu. On peut évidemment, s’il est réticent l’y encourager, chercher à le convaincre. Faut-il le forcer ? À mes yeux, non, car la bar mitsva n’est pas l’essentiel. Ce sur quoi il faut insister c’est sur la nécessité de l’étude afin que les choix qu’il fera en matière de judaïsme soient des choix faits en conscience. Peu importe en un sens le degré de pratique qui sera le sien plus tard, l’important est qu’il ne soit pas ignorant.
1. Marcus Ivan G., The Jewish Life Cycle, The University of Washington Press, 2004
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2. Aron Isa, Reverse Engineering the Twentieth-Century Bar/ Bar Mitzvah, in Meyer, Michael A., Between Jewish Tradition and Modernity : Rethinking an Old Opposition, Essays in Honor of David Ellenson, Wayne State University Press, 2014
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